Ambronay 2016 : "Carmina Latina", coulisses d’une pétillante soirée de festival
Cela commence dès le trajet en voiture qui nous emmène de Bourg-en-Bresse à Ambronay. Une demi-heure de route, l’occasion de reparcourir l’histoire de ce drôle de festival, imaginé en 1980 autour d’une abbatiale à la superbe acoustique, par et pour des amateurs. Notre chauffeur, Jean-François Prémillieu, est l’un d’eux, aujourd’hui retraité, mais bénévole depuis près de trente ans. Ancien directeur d’établissement, il a rejoint l’équipe peu après sa création. Les bonnes années, les difficultés, les chefs invités, les musiciens… il connaît. C’était le temps où les bénévoles s’engageaient au point d’inviter les artistes chez eux.
« Ah, Leo ! »
Depuis les années 2000, le festival s’est transformé en Centre culturel de rencontres, s’est en partie professionnalisé, l’esprit est pourtant resté. Les résidences d’artistes à l’année dans cet ensemble médiéval entièrement restauré, l’Académie pour les jeunes, l’accueil des projets « eeemerging » (projet européen de soutien à des jeunes artistes), la création d’un label de disque réputé… Tout ça a renforcé l’attachement à un lieu… et à ses habitants.Citez un nom : William Christie, parmi les premiers venus, ou Jordi Savall (idem), ou Sébastien Daucé, ou Gabriel Garrido. Les gens d’ici les appellent par leur petit nom. Ou, encore mieux, Leonardo Garcia Alarcon, devenu en peu de temps le chef incontournable, à l’affiche cette rentrée à Garnier avec "Eliogabalo" de Cavalli. Ah Leo ! Et avec lui la non moins reconnue soprano Mariana Flores, devenue sa femme. Ils ont habité les lieux. Ils sont à l’affiche ce soir à l’Abbatiale. Et ils sont attendus. Par les bénévoles, par les habitants de la région qu’on voit ici et là avant et après le concert.
Mèche blanche et sourire en bouche, Alain Brunet qui a laissé sa place de directeur à Daniel Bizeray, mais qui reste président de ce festival qu’il fondé, est l’un des très proches d’Alarcon. Il sait sans doute que le chef argentin l’appelle son père spirituel. "Leonardo, c’est la fidélité.", raconte-t-il. "Je découvrais un jeune homme d’à peine plus de vingt ans, élève dans la première Académie de Gabriel Garrido. Etudiant, il expliquait déjà tout du continuo à ses camarades ! J’ai vite décelé son potentiel et dès que je l’ai pu, quand il a créé son ensemble, je l’ai mis en résidence pour six ans. Avec Ambronay, il y a de l’amitié et de l’estime réciproque. Et maintenant, il est associé."
A table avec le Chœur de chambre de Namur
19 heures : rendez-vous à la Tour Dauphine, l’un des lieux de l’ensemble abbatial pour le repas avec les musiciens. Moment privilégié de rencontre de la vie d’artiste à Ambronay, comme un rituel monastique. Attablés, déjà, les chanteurs du Chœur de chambre de Namur, l’un des plus réputés au monde. A côté du doyen et fondateur Emmanuel Poiré, dit Manu, venu en ami, il y a Philippe Favette, "l’indéboulonnable basse", disent ses collègues, la jeune soprano Amélie Renglet et Jean-Marie Marchal, chanteur et directeur administratif du choeur. "Leo" est leur directeur depuis six ans, mais pour tout musicien de ce niveau qui touche au baroque, Ambronay est présent depuis bien plus longtemps."On y a nous aussi nos racines ! ", affirment-ils en chœur. "On est venus une quinzaine de fois depuis 1993. On a une longue histoire. Mais y passer jouer en concert ou y résider, ce qu’on a fait depuis qu’on est avec Alarcon, ce n’est vraiment pas pareil. L’immersion est totale. On y vit, on s’imprègne des lieux. "Diluvio" de Falvetti (en 2010) puis "Nabucco" (du même, en 2012) ou les "Vêpres" de Monteverdi (2014), ont été marqués par ce lieu". Pour Jean-Marie Marchal, "Ambronay réussit l’adéquation entre l’abbaye retirée du monde, avec un accueil propice à la réflexion et à la détente, et un chaudron terrible". "On est un peu chez nous ici", poursuit Philippe : "on a des points de repères. D’ailleurs, la répétition d’aujourd’hui s’est faite dans un climat inhabituel, il y avait comme une sorte de relâchement, ce qui n’a pas empêché du bon travail. C’est peut-être aussi que cette musique invite à ça".
« Carmina Latina »
Le programme du soir, défini par Alarcon est "Carmina Latina", un hommage à la musique des compositeurs espagnols et portugais partis à la conquête de l’Amérique latine, fin du 16e siècle et courant 17e siècle. Rencontre des polyphonies ibériques et des mélodies populaires locales.Déjà largement présenté (et enregistré) ce répertoire reste néanmoins un défi de chaque soir : "C’est un programme où il faut en permanence tout remettre en jeu très vite", explique Marchal. "S'alternent d’un côté l’esprit catholique de la contre-réforme, une musique magnifique mais très sévère, et pour lesquels nous musiciens, chanteurs, nous transformons en moines du 16e siècle (rires). Et puis, de l’autre côté, traversée l’Atlantique, une vitalité musicale extraordinaire, des rythmes débridés et il faut changer d’esprit. Amélie (Renglet, soprano, ndlr), par exemple, se mue en quelques instants d’ange en démon ! (rires)".
Procession joyeuse
Le public de l’abbatiale répond immédiatement présent, dès l’entrée de Leonardo Garcia Alarcon, du chœur et des musiciens en procession joyeuse vers l’autel et la scène. Chant religieux, polyphonique, destiné au culte marial, chanté en quechua.Le rouge et le noir. Code couleur vestimentaire chargé de sens, image tour à tour de fête et de recueillement. Le "Salve Regina" de Juan de Araujo est profond mais d’une grande simplicité chorale. Mais son "Vaya de gira" est une explosion de couleurs, hymne à la fête, cadencé par les tambours et les castagnettes et littéralement dansé par les solistes parmi lesquels Mariana Flores fait figure de superstar. Déhanchement heureux et synchronisé qui offre une jolie chorégraphie. Leonardo Garcia Alarcon lui-même franchit la ligne, quitte volontiers son clavecin, chante, danse et s’enthousiasme. Pour "La Bomba" de Mateo Flecha, salade fourre-tout très entraînante, sacrée et profane à la fois, chantée dans un joyeux mélange de galicien, catalan et latin… Et pour un "A este sol peregrino" particulièrement réussi. "Bonsoir Ambronay", lance-t-il au milieu du programme : "Quel bonheur de se retrouver en famille, à la maison !".
"C’est vraiment ce qu’il ressent ", dit sérieusement Jean-Marie Marchal, le concert terminé, et "le public répond tout aussi sincèrement. Il a été en permanence bienveillant et attentif, en voyage avec les musiciens. L’important pour nous est de s’assurer que dans le feu de l’enthousiasme la maîtrise technique aille toujours de pair avec l’émotion". La librairie d’Ambronay a ouvert ses portes aussitôt le concert terminé. Une longue file se forme pour acheter des disques dédicacés par Leo. Embrassades, retrouvailles et quelques nouvelles rencontres. Comme ce couple d’une soixantaine d’années, amateur de baroque et fidèle d’Alarcon. Pas fan, mélomane. Reparti avec un nouveau disque et une poignée de main, content.
Une communion
Son jeune fils sur les épaules, le chef argentin rejoint enfin ses troupes dans le cloître où l'on a l'habitude de se retrouver après les grands concerts.Visiblement heureux mais épuisé. "C’est une grande fête, une communion", dit-il. "D’un côté il y a ce programme, retour à mon pays, à mon enfance, au type d’instruments que me transmettait mon père. Mais c‘est un retour transformé, avec un contrepoint extraordinaire, d’origine espagnole ou allemande. Une métamorphose spirituelle, et émotionnelle : tous les sens y sont développés au plus haut degré. Satisfaction du corps, de la raison, de l’esprit. Et de l’autre côté, ce concert c’est aussi le retour à Ambronay, mes débuts en Europe, et un public avec lequel il y a un vécu. Il a vu grandir mes pièces, il m’a donné la possibilité de créer. Et ça continue, c’est formidable !"
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