50e Festival de Saint-Denis : la chef Speranza Scappucci illumine la Basilique avec Scarlatti et Pergolèse
Le 5 juin, peu avant 20h. Le parvis de la Basilique de Saint-Denis a pris ses couleurs d'été. Un joli mélange de populations : clients des terrasses, danseurs de rue, badauds habituels, et une faune nouvelle, de saison, liée au Festival de musique de Saint-Denis. Gens du coin et gens de Paris, tous amassés devant la Basilique, leur précieuse - mais abordable - place à la main. Parmi eux, on croise quelques musiciens, comme le claveciniste Jean Rondeau, le luthiste Thomas Dunford et la mezzo Léa Desandre venus en amis ou en curieux, eux seront ici, en concert, d'ici une dizaine de jours.
Bon nombre des soirées programmées affichent complet
Nathalie Rappaport aussi aime traîner là avant le concert. Sourire de satisfaction pour l'actuelle directrice du festival. L'édition 2018 vient de débuter et bon nombre des soirées programmées affichent déjà complet. Joli. La manifestation fête ses cinquante ans et se porte donc comme un charme. Sa fierté ? "C'est un tout", lance Nathalie Rappaport : "il y a la rencontre musicale, internationale et d'un grand niveau d'exigence. Il y a ce lieu chargé d'histoire où la musique est présente depuis le 12e siècle. Et enfin il y a l'échange avec un territoire, Saint-Denis, où se côtoient plus de cent nationalités !".Ce soir-là, une jeune chef d'orchestre italienne, Speranza Scappucci, est aux commandes. Une valeur sûre dans le métier, où on suit sa fulgurante ascension, mais qui reste une découverte totale pour le grand public. "Là aussi, c'est une tradition du festival", explique la directrice, "qui a toujours accompagné les débuts de carrière de chefs et non des moindres : Alarcon, Rohrer, Franck, Pichon…". La directrice n'est pas peu fière d'avoir misé sur l'Italienne que l'on présente comme une "disciple" de Riccardo Muti : "il fallait oser, en revanche, associer cette chef expérimentée dans le répertoire symphonique ou dans le bel canto (Puccini, Verdi, Mozart) à un ensemble sur instruments d'époque armé pour le répertoire ancien, Il Pomo d'Oro". Au programme : le très célèbre "Stabat Mater" de Pergolèse, précédé, à l'initiative de Speranza Scappucci, de celui de Scarlatti.
Direction énergique
Dans la Basilique pleine à craquer (les 1200 places sont occupées), Speranza trouve sa place. Vue de dos, tailleur noir irisé, une crinière blonde coiffant l'épaule, son geste est ample, pour le moins énergique, mais tout en sensibilité. Le regard sans cesse porté sur les musiciens, complices, du Pomo d'Oro, remarquable formation. "La direction d'orchestre est une chose mystérieuse, une atmosphère se crée à travers l'énergie déployée", nous explique à sa manière, plus tard, Speranza Scappucci.La parole du "Stabat Mater", poème religieux du 13e siècle, de compassion devant la Vierge souffrant au pied de la Croix, s'exprime tout en délicatesse et en retenue dans la version de Scarlatti (composé entre 1708 et 1717). Des solos et des duos, portés par la soprano américaine Laura Claycomb et la contralto italienne Sara Mingardo. Bouleversante la douloureuse séquence de syncopes du "Sancta Mater" ("Exauce moi, ô Sainte Mère"), moment de grâce, le "Tui nati vulnerati" ("Pour moi Ton fils, couvert de plaies"), comme en suspension.
Puissance et profondeur
Après une pause sans entracte, c'est au "Stabat Mater" de Pergolèse (1736), l'un de ceux que l'on connaît le mieux. Il a été créé, selon Speranza Cappucci, dans le développement de celui de Scarlatti, vingt ans plus tard, dans l'idée de le remplacer. "Celui de Scarlatti était déjà très expérimental pour son époque, mais Pergolèse va beaucoup plus loin, il appartient à une période historique où déjà se profile le classicisme de Gluck, de Mozart", dit la chef. Autant le "Stabat Mater" de Scarlatti était sobre, autant celui de Pergolèse, sur le même texte, déborde de puissance, de profondeur. Comme l'empathie est forte dans le "Quis non posset", chanté par Laura Claycomb ! Sans parler des envolées lyriques du "Vidit suum dulcem natum" ("Elle voit son petit garçon"), jusqu'aux velléités opératiques du "Sancta Mater", l'un des plus beaux moments du concert.Lumière bleue et jaune
A mesure qu'avance la soirée, la lumière du jour laisse la place aux spots bleutés et jaune sur la scène. "Il se crée quelque chose de particulier dans cet endroit", avoue Speranza Scappucci : "dans la grandeur du lieu, il y a une certaine intimité que donne le lieu lui-même". Et puis, il y a le son et sa réverbération inévitable dans un tel espace. "Comment faire ? Il faut s'écouter beaucoup", lance la chef très simplement. "Par exemple, les pauses deviennent plus longues parce qu'il faut attendre que le son meure avant de recommencer. Mais avec ce type d'orchestre qui possède déjà une telle clarté de son, c'est plus facile".Speranza Scappucci a réussi son baptême du feu à la Basilique. "Il s'est créé une intimité particulière. J'aime quand il y a cette proximité entre le chef, l'orchestre et le public. A quoi était-elle liée ? Difficile de le dire", pense-t-elle. Une chose l'aura marquée. "En dirigeant, j'ai pensé que dans ce public ce soir, nous avions les rois de France. Et ça, c'est quand-même impressionnant !".
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