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Beyoncé, Taylor Swift, Lady Gaga... Les femmes dominent-elles la musique pop ?

Elles seront les reines de la 57e cérémonie des Grammy Awards, dimanche. Mais les chanteuses ont-elles définitivement pris le pouvoir ? Francetv info a posé la question au spécialiste de la musique Steven Jezo-Vannier.   

Article rédigé par Florian Delafoi
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
La chanteuse Beyoncé sur la scène des MTV Video Music Awards, le 24 août 2014, à Inglewood (Etats-Unis). (MATT SAYLES/ SIPA / AP)

La 57e cérémonie des Grammy Awards sera tout feu tout femme, dimanche 8 février. Beyoncé est l'une des favorites pour remporter la prestigieuse récompense de "l'album de l'année". La soirée sera aussi marquée par les prestations de Lady Gaga ou encore Gwen Stefani. Mais l'événement de la soirée sera, sans doute, la prestation de Madonna, éternelle reine de la pop, qui présentera son nouvel album, Rebel Heart. Les femmes ne s'illustrent pas que sur la scène des Grammy Awards. En octobre 2014, les artistes féminines ont réalisé une performance inédite (en anglais). Elles se sont, en effet, emparées des cinq premières places du classement musical Billboard pendant six semaines. Une première depuis la création du top 100 du magazine américain.

Steven Jezo-Vannier, historien et auteur de Respect, le rock au féminin, explique comment les femmes ont pris leur revanche sur les hommes dans la musique pop.

Francetv info : Lors Super Bowl, Katy Perry a assuré le show pendant la mi-temps du match de football américain. Elle sera aussi présente aux Grammy Awards dimanche en compagnie de Beyoncé, Lady Gaga, Taylor Swift et de nombreuses autres artistes féminines. Les femmes dominent-elles aujourd'hui la scène musicale ?

Steven Jezo-Vannier : Les musiques contemporaines accordent une grande place aux femmes. Les chanteuses ont réussi à s'affirmer derrière les micros et se sont imposées sur des créneaux qui ne sont pas ceux des hommes. Les femmes se posent à la fois en égales et en rivales des artistes masculins. Leur présence sur la scène, le discours qu’elles portent et leur identité artistique sont tout à fait singuliers.

Madonna, Lady Gaga, Rihanna... Toutes ces artistes se sont construit des personnages. La musique ne leur suffit pas pour avoir du succès ?

Les stars contemporaines ont une personnalité très forte, maîtrisent leur image et savent surtout en jouer. Madonna le faisait très bien avec la religion et la féminité. Ces évolutions poussent à une sur-médiatisation des artistes féminines. Elles construisent un véritable personnage qui va répondre à certains symboles et attentes du public. Beyoncé est l'emblème de cette appropriation de l’image. Elle est maîtresse de sa musique et de sa carrière artistique.

Beyoncé a su construire sa notoriété grâce à une mise en avant de son corps comme objet de désir, mais aussi grâce à des paroles qui défendent le féminisme. La chanson Independent Women, lorsqu'elle faisait partie des Destiny's Child, est très révélatrice d'un discours d’émancipation des femmes. Britney Spears a, elle aussi, joué de sa féminité pour défendre des textes plutôt féministes. Dans la chanson Stronger, elle dit à son copain qu’elle ne sera plus sa propriété. Mais ce discours n’est pas toujours présent dans ses chansons. I’m a Slave 4 U ("Je suis ton exclave") en est même l’exact opposé.

Mais ce n'est pas le monopole des femmes... Les hommes aussi jouent avec leur apparence. Quand James Brown revient sur scène transpirant et torse nu avec une serviette autour du cou, c’est déjà hyper sexuel.

Certaines artistes comme Nicki Minaj ou Miley Cyrus sont constamment dans la provocation. N’y a-t-il pas un écart entre leur discours féministe et ces postures qu’elles adoptent ?

C’est tout le débat. Certains estiment que c’est un retour en arrière, que le corps de la femme se vide de son humanité pour être réduit à l’état d’objet. Mais d’autres pensent qu’adopter des postures provocantes et suggestives est un moyen de se réapproprier son corps en tant que femme. Ce qui est certain, c’est que cette hypersexualisation des chanteuses permet de vendre des albums et cela s’est accentué avec l’apparition des clips vidéos. A partir de ce moment-là, l’image compte autant que la musique et les chanteuses pop ou r'n’b sont plus sexy à l’écran qu’un groupe de rock... Et Jennifer Lopez n'a hésité à suivre ce mouvement. 

Dans le clip de Booty, sorti en 2014, on voit plus souvent des plans de ses fesses que de son visage. Cela peut prêter à sourire, mais c’est extrêmement révélateur. Tina Turner jouait, elle aussi, de sa féminité dès les années 1980 en aguichant le public masculin. Des stars comme Miley Cyrus ou Nicki Minaj vont beaucoup plus loin et sont même souvent à la limite de la vulgarité. Quand Miley Cyrus fait du twerk avec Robin Thicke aux MTV Video Music Awards, elle veut juste choquer. On n’est plus vraiment dans un discours d’émancipation des femmes.

Comment les femmes ont-elles obtenu cette place de choix ?

La place des femmes dans la musique est le reflet de la société. En 1927, Bessie Smith chantait Send me to the Electric Chair où elle explique qu’elle a tué son amant parce qu’il l’avait trompée. C’était très fort. Mais à partir des années 1930, les hommes reprennent le pouvoir sur le blues et c’est ce qui donnera naissance au rock’n'roll. Un genre est très masculin à ses débuts. Le mouvement de bassin d’Elvis Presley, par exemple, est machiste. C’est une manière de dire : "Moi, je suis l’homme actif sur la scène" alors que la femme reste dans l’ombre, dans le public. Elle est cantonnée au rôle d'admiratrice, de la muse ou, au mieux, à celui d’une choriste pour accompagner l’artiste masculin sur scène. 

Cela commence à changer quelques années plus tard. Les femmes deviennent des consommatrices de produits culturels, au même titre que les hommes, et les maisons de disques vont s’adapter pour répondre à cette nouvelle demande. En 1967, Aretha Franklin a été la première chanteuse à demander le Respect des hommes en modifiant les paroles de la chanson machiste d’Otis Redding. Ses paroles ont séduit les femmes et la chanteuse s’est hissée en haut des charts. 

A quelle période s’est opéré ce tournant dans la musique ?

Le monde de la musique a vu déferler une grosse vague féminine dans les années 1990, avec le mouvement du "girl power". Le nombre de femmes présentes dans le top 30 de Billboard a doublé entre 1946 et les années 1990. C'est la preuve qu'il y a eu un gros boom à cette période avec des figures emblématiques comme Madonna mais aussi des artistes moins commerciales comme Björk. C’est aussi une décennie où l’on voit apparaître les divas afro-américaines, comme Mariah Carey ou Whitney Houston. Mais la musique de ces artistes était quand même très conventionnelle. Elles se limitaient à des chansons d’amour.

Les artistes féminines ont-elles supplanté les hommes dans la musique pop ?

Je n’irais pas jusqu’à dire que les femmes ont pris le pouvoir sur les hommes dans la musique pop. Ce qui est certain, c’est qu’elles ont réussi à se faire une belle place sur scène. Mais il reste encore du chemin à faire pour arriver à une égalité des sexes. On ne s’en doute pas, mais dans les années 1990, les femmes étaient beaucoup plus présentes dans le top 30 de Billboard. Il pouvait y avoir jusqu'à une quinzaine d'artistes féminines présentes dans ce classement à cette période. En 2010, on ne comptait plus que six chanteuses dans le top 30. Ce n’est donc pas le point final du combat pour l’égalité.

Les hommes ne lèvent pas encore le poing sur scène pour appeler à l’égalité des sexes comme le fait Beyoncé. Mais il y a eu des avancées ces cinq dernières années. Beth Ditto, la chanteuse du groupe Gossip, montre un renouvellement. C’est une femme qui ne correspond pas aux canons de beauté contemporains et elle le revendique. Elle fait voler en éclats les codes de la société. D’ailleurs, l’album Heavy Cross a atteint le sommet des charts à sa sortie en 2009. C’est le symbole d’une vraie affirmation des femmes dans la musique populaire.

Les cérémonies musicales, comme les Grammy Awards, sont-elles un moyen pour les femmes de s’imposer ?

Les Grammy Awards sont un véritable show. La mécanique du discours qui se cache derrière le spectacle est très intéressante à observer. Par exemple, à la cérémonie de 2008, Beyoncé a rendu un hommage appuyé aux artistes féminines qui ont chanté l’émancipation des femmes. Lors de sa performance, elle cite Donna Summer, qui s’inscrit dans la libération sexuelle des femmes avec son titre Love to Love you Baby. A travers cet hommage, Beyoncé indique qu’elle est la digne héritière d’artistes comme Aretha Franklin. Cela participe à la construction de son image et de son succès. Les Grammy Awards sont, pour les artistes féminines, une forme de sacre.

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