Aux Baumettes, un chœur de détenues initiées à la musique contemporaine
"Quand j'ai vu dans les coursives les affiches qui annonçaient cette activité, je me disais que des musiciens allaient nous faire danser", explique Marie-Christine. Cette quinquagénaire, qui ignorait tout de la musique contemporaine, promet "d'aller écouter un concert" de cette musique dès qu'elle sera dehors.
Comme ses codétenues, chaque jeudi après-midi, cet automne, elle a appris à lire la musique répétitive du compositeur new-yorkais et a composé dans sa cellule ses propres partitions sur le modèle de "Stripsody" de Cathy Berberian. Cette forme d'écriture se situe à mi-chemin de la bande dessinée : une fermeture éclair, par exemple, pour chanter un zzzziiiippp qui passe du grave à l'aigu ou le dessin d'un chien pour un aboiement.
"Nous nous sommes vraiment prises au jeu"
Sur l'écran : un clip réalisé par une dizaine de détenues et un film d'une durée de vingt minutes, original making-off de la création de ce chœur de prisonnières, réalisé par les participantes avec l'aide de la vidéaste Octavia de Larroche.Les condamnées s'étaient inscrites à "Camera Songs" dans le seul but de sortir de leur cellule. Mais "nous nous sommes vraiment prises au jeu", témoigne Karina. Dans ce monde où l'individuel prime sur le collectif, ces ateliers ont tissé un véritable lien entre les participantes, s'étonne Laurence Pascot, directrice de la maison d'arrêt des femmes.
Les exercices de décontraction, de postures, de respiration ont conduit à "ce que chacun soit responsable de son corps mais aussi du corps de l'autre", analyse Nathalie Négro dont la dernière création, un opéra slam, avait été programmée dans le cadre de Marseille 2013, capitale européenne de la culture.
"Nous n'étions plus aux Baumettes"
"Au début, chacune est venue avec sa musique familiale, celle de Kabylie ou Mylène Farmer", souligne Nathalie Négro. D'une séance à l'autre, les chanteuses cherchent la bonne note pour accompagner le bruit de l'imprimante qui édite leurs photos. Elles se mettent au rythme de l'horloge qui égrène les secondes. Ou improvisent sur Reich un "Je-vou-drais-par-tir-des-Bau-met-tes" qui jaillit spontanément.Nathalie Négro avoue "la peur" qu'elle avait d'encadrer ces ateliers pénitentiaires. Pourtant, "chaque jeudi, pendant une heure trente, nous n'étions plus aux Baumettes mais un groupe soudé à travailler le rythme, le souffle, la voix, mais aussi l'image".
Le clip et le film devaient respecter une règle imposée par l'administration pénitentiaire : ne pas identifier les personnes. Tels des strips de bande dessinée , les images montrent donc le bas des corps, des glottes, des épaules, des regards ou encore un tatouage.
"Je n'aurais pas cru qu'on puisse arriver à ça"
Nathalie Négro s'amuse de ses "bourdes" nées d'une méconnaissance de l'univers carcéral : demander une pièce de monnaie pour visser quelque chose, solliciter un portable pour travailler sur les sonneries. Les détenues sont enthousiastes. "Je n'aurais pas cru qu'on puise arriver à cela", s'étonne Marie-Christine. Ingrid confie qu'elles quittaient toutes l'atelier "totalement vidées. Mais c'était un vrai moment où l'on s'est évadées".Le lien a été tel, observe Nathalie Négro, que dans cet univers souvent dur et fait de conflit, "deux femmes qui ne se supportent pas en détention sont parvenues à jouer le jeu, à chanter et composer ensemble".
"Ces ateliers ont touché à la sphère de l'intime et au rapport à l'autre", ajoute Aurélie Bédu-Seys, directrice adjointe du service pénitentiaire et de probation des Bouches-du-Rhône, qui pilote ce projet avec le conseil régional Paca. "Cela fait bouger les lignes à l'intérieur de la détention et les lignes intérieures personnelles", dit-elle.
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