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Yves Saint Laurent: ses rencontres avec l'art, de Piet Mondrian à Claude Lalanne

Le Musée Yves Saint Laurent Paris renouvelle son parcours avec la mise en avant de deux créations majeures du couturier : les robes Mondrian inspirées par le peintre Piet Mondrian et celles réalisées en collaboration avec l’artiste sculpteur Claude Lalanne. Dans les années 60', Yves Saint Laurent a entamé un dialogue avec l'art que d'autres artistes poursuivront.
Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Robes Mondrian exposées au musée YSL Paris, février 2019
 (Corinne Jeammet)

Pour moi, faire d'un Mondrian ou d’un Poliakoff une robe, c’est mettre leur toile en mouvement (…) Poliakoff et Mondrian m’ont apporté un rajeunissement et un rafraîchissement extraordinaires : ils m’ont appris la pureté, l’équilibre 
Yves Saint Laurent

La révolution Mondrian : les robes-tableaux

"Révolutionnaire", c’est le terme utilisé à l'époque par le Women’s Wear Daily pour qualifier la collection automne-hiver 1965 dont le style moderne et avant-gardiste marque les esprits. Il s'agit d'une série de robes inspirées des peintres Serge Poliakoff (1900-1969) et surtout Piet Mondrian (1872-1944). 
Trois robes de cocktail, hommage à Piet Mondrian
 (Yves Saint Laurent/photo Eric Koch/Nationaal Archief)
La collection haute couture automne-hiver 1965 est présentée le 6 août. Un mois plus tôt, alors qu'elle est partiellement achevée, Yves Saint Laurent décide d'en redessiner une large partie et lui insuffle un vent de modernité. En s’inspirant du livre sur Mondrian - offert par sa mère "Piet Mondrian, Sa vie, son oeuvre (Michel Seuphor, 1956)" - le couturier présente vingt-six modèles inspirés du peintre sur les cent six que compte le défilé.

Le jersey de laine, travaillé en incrustations, ne laisse apparaître aucune couture, permettant à Yves Saint Laurent de transposer la matière picturale en matière textile et de sublimer le sens de la géométrie du peintre hollandais. Le couturier jette ici les bases d’une esthétique épurée privilégiant la simplicité de la coupe et la géométrie des lignes.

Ces robes vont dès lors modifier les liens entre la mode et l’art, en transformant un tableau en une oeuvre animée. En 1931, Yves Saint Laurent avait déjà peut-être pressenti cette évolution : 

Non seulement la mode est le fidèle miroir d’une époque mais elle est une des plus directes expressions plastiques de la culture humaine
Yves Saint Laurent

Robes de cocktail, hommage à Serge Poliakoff et Piet Mondrian. Collection haute couture automne-hiver 1965 + Nicolas Saint Gregoire. Projet Yves Saint Laurent-Robe Mondrian, 2009-2012.  ©photo Brigitte Sauvignac
 (Yves Saint Laurent/photo Sophie Carre + photo Brigitte Sauvignac)
Yves Saint Laurent participe alors à la popularité de Piet Mondrian jusqu’alors peu connu du public. Le succès est tel que les robes Mondrian sont copiées, notamment aux États-Unis.
Planche de collection, ensemble habillés collection de 1965 Yves Saint Laurent
 (Yves Saint Laurent)

Aujourd’hui ces robes iconiques sont devenues l’objet de réinterprétations par les artistes contemporains dont certaines oeuvres sont présentées au rez-de-chaussée du musée dans la première salle du parcours. On découvre ainsi une planche de la BD "Les triplés" de Nicole Lambert sur laquelle la mère explique à ses enfants qu'elle porte une robe vintage YSL. A côté accroché au mur, c'est une Marge Simpson qui joue une Style Icon en robe Mondrian sur une illustration d'aleXandro Palombo. Entre ces deux tableaux, un autre de l'illustrateur Pablo Lobato représente Yves Saint Laurent au côté d'une robe Mondrian. 

La robe Mondrian réinterprété par des artistes
 (Corinne Jeammet)


La robe de mariée Matriochka inspirée des poupées russes

Au-delà des robes Mondrian, cette collection est marquée également par les robes hommage à Serge Poliakoff et surtout par une étonnante robe de mariée en tricot de laine, crochetée à la main, avec alternance de points en relief et de rubans noués.

Inspirée des poupées russes "matriochkas", elle ne laisse apparaitre que le visage du mannequin. Cette robe devient rapidement une îcone de mode. Elle n'a jamais été reproduite pour une cliente et la pièce exposée, ici, est donc l'unique version jamais réalisée. 

Yves Saint Laurent : robe de mariée dite Babouchka, collection hc ah 1965
 (Yves Saint Laurent/ photo Guy Marineau)

La rencontre avec la sculptrice Claude Lalanne

Les robes Mondrian marquent le début du "dialogue avec l’art" que le couturier poursuit avec Pablo Picasso, Vincent van Gogh, Georges Braque, Henri Matisse, Fernand Léger ou Pierre Bonnard. Si dans ses collections, Yves Saint Laurent rend hommage à des artistes, c’est seulement avec la sculptrice Claude Lalanne qu’il collabore réellement. Il fait la rencontre du couple de sculpteurs François-Xavier et Claude Lalanne à la fin des années 1950. Si leurs oeuvres sont aujourd’hui très prisées, les Lalanne sont à l'époque peu connus. Leur sculpture marquée par une imagerie végétale et un bestiaire aux accents surréalistes fascine Yves Saint Laurent et Pierre Bergé. Au fil des années, ils acquièrent de nombreuses pièces des Lalanne avec qui ils se lient d'amitié.

Pour moi, elle a créé des bijoux et des sculptures que j’enroulais autour de mes mannequins. (…) Ce qui me touche en elle, c’est d’avoir su réunir dans la même exigence l’artisanat et la poésie. Ses belles mains de sculpteur semblent écarter les brumes du mystère pour atteindre les rivages de l’art.
Yves Saint Laurent

Robes du soir pourvues d'éléments sculptés créés par Claude Lalanne. Collection Yves Saint Laurent haute couture automne-hiver 1969 
 (Yves Saint Laurent/ photo Alexandre Guirkinger)
Pour la haute couture automne-hiver 1969, le sculpteur réalise des moulages de la poitrine et du ventre de l'un de ses mannequins. Ces cuirasses anthropomorphes (à la forme humaine, ndrl) en cuivre galvanique viennent orner deux robes de mousseline vaporeuse, bleue et noire. Pour ce défilé, Claude Lalanne crée aussi des bijoux de doigts, gaines de cuivre doré, moulées sur la main, qui inaugurent une collaboration ponctuelle autour de la confection de bijoux-sculptures jusqu’aux années 1980.

Pour la collection automne-hiver 1970, elle créera des torques articulés en bronze doré ponctués pour l’une de lèvres et pour l’autre d’un papillon aux ailes déployées. Pour la collection printemps-été 1971, ce seront des ornements de turban, ceintures, broches et colliers en cuivre galvanisé ornés d’anémones ou de mandarine. La collaboration se poursuit avec des ras-de-cou marguerite et papillon en 1976 puis avec des parures de tête et tiares de végétaux tressés constitués de fleurs et de feuilles d’hortensia pour l'automne-hiver 1981... Véritables oeuvres d’art, ces bijoux contrastent, par leur pureté et leur légèreté avec les parures fantaisies qui complètent habituellement les créations haute couture.

Un nouveau regard sur les grands thèmes

Outre cette section consacrée aux artistes, le musée renouvelle tout son parcours. La partie consacrée aux modèles qui sont la quintessence du Style Saint Laurent - smoking, caban, saharienne, jumpsuit, trench-coat... - est enrichie car il n'a eu de cesse de les réinterpréter : smoking-jupe (automne-hiver 1983), robe-smoking (automne-hiver 1992), smoking-boléro (automne-hiver 2000) succèdent au premier smoking plus formel de 1966.

Une alcôve est consacrée au photographe de mode Claus Ohm. Si durant toute sa carrière, les créations YSL ont été immortalisées par les plus grands photographes de mode - Helmut Newton, Guy Bourdin, David Bailey, Jeanloup Sieff ou David Seidner - les photographies prises durant les défilés ont rarement fait l’objet d'une présentation spécifique. Quinze tirages montrent le travail de Claus Ohm qui a collaboré avec la maison de 1976 à 1997. Son approche se distingue par le traitement en plan rapproché de ses clichés.
Vue de la section la photographie de défilé, févier 2019
 (Yves Saint Laurent/Thierry Ollivier)
Enfin à l'étage où la visite se termine par le studio se tient le toujours émouvant bureau du couturier reconstitué.  

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