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"Yves Saint Laurent 1971": la collection du scandale à la Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent

Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Janvier 1971, Yves Saint Laurent présente la collection dite "Libération". Robes courtes, semelles compensées, épaules carrées : ces références au Paris de l’Occupation font scandale. Jugée hideuse par la presse de l'époque, elle est, aujourd'hui, estimée fondamentale dans la mode contemporaine. 28 des 80 modèles sont à découvrir à la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent, à partir du 19 mars.

Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent, Paris

Critiquée par la presse, la collection 1971 donne de l'ampleur au courant rétro qui envahira ensuite la rue. Elle fait entrer la mode dans son histoire contemporaine et provoque l'effondrement des cloisons qui séparent haute couture et prêt-à-porter. La collection 1971 est aussi une rupture dans la trajectoire d’Yves Saint Laurent. Cette collection marque enfin un changement dans l'image du couturier, qui "jusqu'alors avait été le Saint Laurent de Dior ou le Saint Laurent de l'androgynie des années 1960. A partir de là, c'est le Saint Laurent qui veut bien habiller la bourgeoisie mais s'en moquer un peu aussi", explique Olivier Saillard.
 (Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent)
La collection 1971 chasse un monde disparaissant pour une nouvelle génération. Jugée "hideuse" par la presse de l'époque en raison de son style rappelant les années d'Occupation, la collection 1971 d'Yves Saint Laurent, est aujourd'hui estimée fondamentale dans la mode contemporaine
 (Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent)
"Le 29 janvier 1971, quatre-vingt passages portés avec nonchalance par six mannequins sèment l'agitation rue Spontini. À cette adresse Yves Saint Laurent et Pierre Bergé ont inauguré leur maison de couture en 1961. C’est également là que se déroulent tous les défilés. Les 180 sièges réservés aux clientes, acheteurs et journalistes venus du monde entier ont vacillé. Une partie du public n’a pas dissimulé son aversion et a crié à l’horreur devant le spectacle d’une collection qu’ils jugent hideuse. Le sujet de ce trouble provient de l’inspiration revendiquée par le couturier pour l’élégance des années de guerre et d’occupation" explique Olivier Saillard, le commissaire de l’exposition
 (Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent)
"La presse qui voit en lui l'héritier légitime, le seul de la grande tradition de la haute couture française ne lui pardonne pas les épaules carrées, les jupes au genou, les semelles compensées, souvenirs des années de privation et de restriction que beaucoup d'entre eux ont vécues. À l'unisson, les articles condamnent l'écart de style d'un couturier «qui a la nostalgie de cette époque... et l'excuse de ne pas l'avoir connue" explique encore Olivier Saillard, le commissaire de l'exposition.
"Ce que je veux ? Choquer les gens, les forcer à réfléchir. Ce que je fais à beaucoup de rapport avec l'art américain contemporain... les jeunes, eux, n'ont pas de souvenirs", explique alors Yves Saint Laurent.
 (Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent)
Claude Berthod dans Elle du 1er mars 1971 : Yves Saint Laurent, que pensez-vous de l’accueil fait à votre collection ? Nous sommes loin de l’enthousiasme habituel... Yves Saint Laurent : Je crois même que le mot scandale n’est pas trop fort... Je suis triste et flatté. L’ « Olympia » de Manet a suscité le même genre de réaction : « On se moque de nous... »... «C’est une honte... » Ce n’est pas tant visuellement que moralement que les gens ont été choqués.
Claude Berthod : Pourquoi avez-vous choisi de choquer avec du « rétro » plutôt qu’avec du nouveau ? Yves Saint Laurent : Que peut-on appeler « nouveau » dans le costume ? Du péplum au collant, tout a été fait et refait cent fois. Le costume hippie, c’était emprunté à l’Orient, le short, c’est emprunté aux stades et pourtant ce sont des apports nouveaux dans la mode. Et aucun ne vient de la haute couture. La haute couture ne sécrète plus que des nostalgies et des interdits. Comme une vieille dame. Je me moque que mes robes plissées ou drapées évoquent pour des gens cultivés la mode des années 1940. L’important c’est que les filles jeunes qui, elles, n’ont jamais connu cette mode, aient envie de les porter.
 (Sophie Carre)
Inspirée des années 1940, avec des silhouettes aux épaules carrées, des jupes au genou, des semelles compensées, cette collection a scandalisé les clientes et les chroniqueuses qui avaient vécu ces années de guerre. Vestes de tailleur gansées aux revers de col exagérés, manteau en renard vert, manteau de velours noir brodé de bouches en paillettes roses, robes de soir à imprimés grecs représentant des éphèbes : sur 80 modèles présentés, 28 sont exposés. Les autres sont représentés par des croquis grandeur nature sur les murs, accompagnés des échantillons de tissus utilisés et du nom du mannequin portant la tenue. Influencé par l'allure de Paloma Picasso qui s'habillait aux Puces, portait turban et rouge à lèvres, le couturier a choqué en faisant défiler des mannequins très maquillés, vêtus de couleurs criardes, aussitôt comparés par les commentateurs à des filles des rues
 (Sophie Carre)
Accueillie par des réactions extrêmement hostiles dans la presse, française comme anglo-saxonne, la collection est un échec commercial : elle fait chuter de moitié le nombre des clientes. Mais la rue donne finalement raison à Saint Laurent, puisque ce style des années 1940 influence toutes les années 1970, qui  elles-mêmes reviennent aujourd'hui sur les podiums. "Saint Laurent est le premier qui acte l'avènement des modes rétro, avec lui les filles vont aller aux Puces, se tourner vers le vintage", commente Olivier Saillard
 (Sophie Carre)
Rares sont les collections depuis à avoir provoqué de tels scandales. Les derniers en date, note Olivier Saillard, sont les créateurs japonais dans les années 1980, dont les vêtements troués évoquant la fin du monde avaient suscité de virulentes réactions dans la presse. Plus véhémentes que le buzz qui a entouré récemment la vue de sexes masculins au défilé de l'Américain Rick Owens, en janvier 2015
 (Sophie Carre)
La Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent, qui a vu le jour en 2002, est l’aboutissement de 40 années de création. Elle retrace la mode créée par Yves Saint Laurent, une mode qui révèle les ressorts de la société. En se servant des codes masculins, Yves Saint Laurent apporta aux femmes la sécurité, l’audace tout en préservant leur féminité. Ces vêtements font partie de l’histoire du XXe siècle. Ils ont accompagné l’émancipation des femmes dans tous les domaines, privés, sociaux et politiques.
 (Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent, Paris)
Exposition "Yves Saint Laurent 1971. La collection du scandale" du 19 mars au 19 juillet 2015. Fondation Yves Saint Laurent. 3, rue Léonce Reynaud. 75016 Paris. Tous les jours sauf le lundi de 11h à 18h. Le catalogue de l'exposition "Yves Saint Laurent 1971, la collection du scandale" (Flammarion) reconstitue en confrontant les dessins de collections, les échantillons de tissus et les photographies du défilé, comme autant de pièces à conviction, ce moment charnière de l’histoire de la mode du XXe siècle. Focus sur trois temps clefs : l’influence des années 1940 par Dominique Veillon, spécialiste de l’époque, le déroulé des événements décrit par Olivier Saillard, étoffé de témoignages des personnes qui les ont vécus, et, enfin, un essai qui aborde les retentissements dans la presse française et étrangère.
 
 (Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent, Paris)

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