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"Produire moins mais mieux" : des créateurs proposent la fabrication à la commande pour lutter contre le gaspillage

Face aux 200 tonnes de déchets textiles produits chaque année en France par l'industrie de la mode, il est primordial de trouver des alternatives et la création à la commande en est une.

Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Passage d'une pré-commande sur le site d'une marque pratiquant ce type de fabrication. (DR)

Le consommateur est aujourd'hui en recherche d'une mode plus responsable. Si la seconde main, la location et la réparation des vêtements sont des moyens d'y accéder, d'autres pistes se développent dont celle de l'achat à la commande. Jusqu'à présent la haute couture et le sur-mesure étaient présents sur ce secteur mais désormais des marques de prêt-à-porter - parfois de jeunes labels - proposent des pièces en pré-commande. Trois marques de mode et d'accessoires - Asphalte, Un Si Beau Pas et Caulaincourt - expliquent ce choix. Rencontres.

Éviter des stocks trop lourds 

Aujourd'hui, la majorité des acteurs de la mode fonctionnent selon le même principe : la fabrication sur stock, avant la mise des produits sur le marché via différents circuits de distribution. Ce système génère de lourds stocks qui ne s’écoulent que lors des soldes, voire même après via des centres de destockage par exemple. Le recyclage ou les dons aux associations arrivant en dernier recours pour se débarrasser des invendus que certaines marques n’hésitent pas à détruire (Burberry, H&M). Si cette pratique est de plus en plus dénoncée, elle demeure courante chez certaines marques de luxe qui ne font ni soldes ni destockages.

Ce modèle traditionnel de fabrication soulève des questions quant à sa durabilité au niveau environnemental puisqu’il entraîne du gaspillage alors qu'aujourd'hui la conscience sociale et environnementale des consommateurs se renforce, notamment sous la pression des plus jeunes.

La mode à la demande constitue donc une réponse. En effet, produire ce que le client demande - en terme de style, de tissus, de couleurs et de mensurations - permet d’éviter la mise sur le marché de grandes quantités de vêtements et d'accessoires, et donc de limiter le gaspillage, tout en satisfaisant le client.

La personnalisation n'est pas une tendance passagère 

Déjà en mars 2019, des experts réunis lors d'une table ronde Lectra-NellyRodi intitulée La personnalisation re-dessine la mode indiquaient que saisir les opportunités de la fabrication à la demande était désormais à la portée des acteurs de la mode. Pour eux la personnalisation n’est pas une tendance passagère mais un mouvement de fond et elle a déjà commencé : "Le consommateur, de plus en plus exigeant, est séduit par la possibilité de co-créer son look", avait alors souligné Pierre-François Le Louët, Président de la Fédération française du prêt-à-porter féminin. "Il commence aussi à accepter des délais un petit peu plus longs pour obtenir un vêtement parfaitement adapté à sa morphologie et à ses attentes. Enfin, il est de plus en plus intransigeant en matière de transparence, d’éthique et de développement durable". 

"Produire à la demande évite la destruction des invendus, choquante pour le public, tout en épargnant aux marques et distributeurs l’enfer de la décote", avait aussi souligné Sébastien Manceau, consultant au cabinet Roland Berger. "La personnalisation a toujours existé dans la mode mais aujourd’hui on peut l’industrialiser".

Suite à la remise du rapport Relocalisation et mode durable de janvier 2021 réunissant des propositions pour contribuer à structurer un écosystème plus durable et local, Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, déclarait que "le secteur de la mode a un fort impact environnemental. Son modèle doit évoluer". Et ajoutait : "le rapport du CSF Mode et Luxe nous donne une bonne nouvelle : les intérêts économiques et environnementaux se rejoignent, car limiter le volume des commandes peut apporter plus de rentabilité tout en limitant les invendus". 

Asphalte : "nous encourageons nos clients à acheter moins mais mieux"

Co-création et pré-commande sont les crédo de la marque Asphalte. Jusqu’alors spécialiste de la mode homme, elle lance en pré-commande le 5 octobre le pull parfait pour femme. Co-créé avec 7 200 femmes, il a demandé six mois de travail. Car pour la marque "le principe de pré-commande est interdépendant du principe de co-création" explique Rodolphe Gardies, un des co-fondateurs et directeur marketing.

Chaque saison, Asphalte propose des versions actualisées et optimisées de ses produits existants en adressant à ses clients des questionnaires (ndlr : sur le site, dans la rubrique votre vestiaire) pour constamment améliorer son offre. "Nous co-créons avec eux : nous leurs demandons quelles sont leurs envies vestimentaires. A partir de ce cahier des charges, nous réalisons un prototype qui, on l'espère, répond à leurs problématiques. On se concentre sur peu de produits : en 5 ans, nous en avons co-créé 70 et nous sommes, par exemple, à la 7e version du pull parfait masculin". Sur le site, aucun produit ne peut être acheté immédiatement - sauf 5% de stock pour gérer les échanges de tailles. Le consommateur pré-commande, paye et Asphalte lance la production des quantités déjà achetées auprès de ses fournisseurs, évitant ainsi tout sur-stock. Le client reçoit sa commande un à trois mois plus tard. "Le client doit réfléchir à son achat, le fait d'attendre nécessite de se poser la question : est-ce que j'en aurai encore besoin dans deux mois ?" souligne Rodolphe Gardies avant de conclure : "l'impact environnemental d'un vêtement est amorti par le nombre de fois qu'il est porté"

Et pour sensibiliser encore plus le consommateur, Asphalte affiche le score environnemental des vêtements. Le coût en eau, C02 et énergie du process de production est calculé pour chaque produit "ce qui permet au consommateur de choisir en toute connaissance de cause", explique William Hauvette, autre co-fondateur de la marque. "Nous pensons qu’il vaut mieux posséder un très bon pull, et le porter des années, plutôt que d’en avoir quatre mauvais qui ne tiendront pas six mois. La meilleure manière, pour la mode, de moins polluer, c’est de moins produire : c’est pourquoi nous encourageons nos clients à acheter moins mais mieux". 

Un Si Beau Pas : "la base serait déjà de ne pas produire trop"

Un Si Beau Pas, marque de chaussures pour femmes, à, quant à elle, opté pour le 100% personnalisable. La cliente a le choix du cuir, du talon, de la semelle et des lacets, soit 2 000 options (80 à 100 options de personnalisation par modèle). Trois semaines plus tard, elle reçoit sa commande. "On a tous eu cette frustration d'arriver en boutique, de dire ce modèle est magnifique mais il n'y a plus ma pointure, ni le coloris que je souhaitais" constate Antoine Fauqueur, le fondateur de la marque.

"Nous, on offre un choix qu'aucune boutique ne pourrait proposer, car cela serait extrêmement coûteux d'avoir en stock toutes ces options. Ce qui fait notre force, c'est que vous avez un choix XXL avec un stock XXS, parce qu'on n'a pas de stocks, pas de matières gâchées puisqu'on ne produit que ce qui est commandé". ADN de la marque, la vente à domicile (55% des ventes contre 35% sur le site et 10% en boutiques) permet aussi de réduire les coûts de distribution : "une ambassadrice prend 20 à 25% de commission, tandis qu’une boutique applique 50%. Cela permet de rendre ce petit luxe plus accessible et partout, car avec la vente à domicile vous avez un maillage national". 

"Aujourd'hui, il y a beaucoup de débats sur une production plus responsable, socialement et écologiquement mais avant de recycler des matières, je trouve que la base serait déjà de ne pas produire trop et malheureusement dans la mode, le problème ce sont les sur-stocks. Les seuls stocks que nous avons, ce sont les kits de démonstration de nos vendeuses : en fin de saison, ils sont soldés" précise encore Antoine Fauqueur. Autre plus : à la création de l’entreprise en 2017, il s'est tourné vers Romans-sur-Isère, capitale européenne de la chaussure car "participer au développement économique local m’est apparu comme un devoir à une époque où les délocalisations étaient davantage la norme que l’inverse…"

Caulaincourt : "8 semaines pour fabriquer un objet que vous allez garder toute votre vie"

La maison de souliers Caulaincourt offre, quant à elle, le service made-to-order (MTO). "Ce service de commandes spéciales de chaussures manufacturées à la demande existe depuis le début de la création de la marque" explique son fondateur Alexis Lafont, qui ne trouvant pas ce service pour lui-même l'a lancé après avoir constaté qu'il "existe très peu de maisons qui font du MTO".

Caulaincourt propose trois types de produits : du prêt à chausser, du soulier dont la patine peut être personnalisée et du MTO (cela représente 15 à 20% de l'activité de la marque soit 500 paires par an). Ce service sur mesure consiste à fabriquer une paire à l'unité en fonction des spécifications du client. Il permet toutes les personnalisations - choix du cuir, du montage, de la forme, de la tige, de la semelle, de la doublure, patine et finition - moyennant un supplément de 195 euros par rapport au modèle de série. "Il faut compter au moins 8 semaines entre la commande et la réception. 8 semaines pour fabriquer un objet que vous allez garder toute votre vie. C'est un délai qui - en réalité par rapport à ce qu'on délivre - est extrêmement court. Les autres maisons proposent entre 12 et 20 semaines". Mais insiste Alexis Lafont "si vous êtes un amateur de soulier et que vous voulez quelque chose de très spécifique et qui vous fait rêver, vous êtes parfaitement capable d'attendre pour cet objet qui est unique et qui n'est fait que pour vous". 

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