Yuima Nakazato, créateur de mode japonais d'avant-garde, envoûte la Cité de la dentelle et de la mode de Calais

La Cité de la dentelle et de la mode de Calais présente "Yuima Nakazato, au-delà de la couture", première exposition monographique consacrée à ce créateur de mode d'avant-garde japonais. Son œuvre est à la croisée de la tradition, de l'innovation et de la haute technologie. Bluffant de créativité, de sensibilité et de beauté.
Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 7 min
La collection Magma est née à la suite de voyages au Kenya. A Nairobi, Yuima Nakazato visite la "montagne de détritus", décharge alimentée par l'industrie de la fast fashion. À son retour, l'observation d’une œuvre de Hokusai où l’artiste représente le mont Fuji en rouge, fait naître chez lui la vision de ces paysages recouverts de lave. Il retravaille une photographie de la montagne d'ordures dans des teintes rouges pour la création d'un tissu. Le rouge, souvent associé à la notion de danger ou de crise, devient une couleur invitant au changement. (THIBAUT VOISIN)

Alors que le couturier japonais Yuima Nakazato a présenté sa dernière collection haute couture automne-hiver 2024-25 sur les podiums parisiens le 26 juin, la Cité de la dentelle et de la mode de Calais revient sur ses collections réalisées de 2016 à 2024. "L'exposition Yuima Nakazato, au-delà de la couture est une présentation plus thématique que chronologique des collections de ce jeune créateur de mode d'avant-garde aux propositions nouvelles, audacieuses et extrêmement inspirantes. Une phrase résume ses intentions depuis ses débuts : un jour, chaque vêtement sera unique et différent", explique Shazia Boucher, conservatrice du patrimoine, directrice adjointe des musées de la ville de Calais et commissaire de l'exposition.

Yuima Nakazato, né en 1985 au Japon, est diplômé de l'Antwerp Royal Academy of Fine Arts (Belgique). Il a obtenu de nombreux prix et distinctions en Europe, dont le Prix de l'Innovation en 2008 pour son travail de fin d'études introduisant la technique de l'origami dans la couture. Son atelier est à Tokyo, mais depuis 2016, il présente, en tant que membre invité, ses collections deux fois par an à Paris, lors de la semaine la haute couture. Après Hanae Mori, il est le deuxième créateur japonais à intégrer le calendrier de la Fédération de la haute couture et de la mode.

La collection Unknown s'inspire des paysages majestueux et sauvages découverts lors d’un voyage en Islande. Yuima Nakazato cherche à y retranscrire le phénomène naturel de la lumière qui traverse la glace. Le matériau de base des vêtements est un film hologramme Fujifilm où chaque feuille est découpée en motifs complexes. Travaillées selon la technique traditionnelle de l’origami, ces feuilles sont reliées pour former des formes sculpturales. (THIBAUT VOISIN)

Le créateur développe une mode inspirée par l'inventivité de la haute couture et les savoir-faire séculaires japonais. Avec des thématiques issues de la nature, il ancre son travail dans la longue histoire des cultures de l'Orient et de l'Occident. Sa vision poétique du vêtement est portée par une volonté de démocratiser la création sur mesure et dès ses débuts, il aspire à créer des pièces évolutives et durables avec le recours à d'ingénieuses techniques d'assemblages.

L'impact environnemental de l'industrie de la mode constitue le deuxième sujet au cœur de sa démarche. Sa couture se veut un laboratoire au service d'une mode plus respectueuse en intégrant des matériaux recyclés ainsi que des déchets non valorisés par l'industrie. Aux côtés de spécialistes, chercheurs et industriels, il repousse les limites de la technologie pour développer des textiles et des procédés de fabrication innovants : impression 3D, création de fibres textiles à partir de bactéries fermentées, mise au point de techniques de façonnage inédites, comme les représentations graphiques des chants de baleines. "À l'époque où il n'y avait pas de représentation de défilés physiques à Paris, Yuima Nakazato a fait défiler des mannequins dans la pénombre d'un grand hangar sur le port à Tokyo, comme si on était dans les profondeurs de la mer. Des sons de baleine accompagnaient ce défilé. On peut entendre cette bande-son, ici", indique Shazia Boucher.

Le créateur s'investit également dans la création de costumes de scène, de ballet et d'opéra comme ceux pour la pièce d'opéra Idoménée jouée au Grand Théâtre de Genève en 2024 "Son travail y est différent, car ces vêtements doivent accompagner le mouvement des danseurs", souligne encore Shazia Boucher.

L'Atlas est le fruit d’un dialogue entre Yuima Nakazato et la mannequin Lauren Wasser, qui a fait preuve de résilience après la perte de ses jambes. Pour le créateur, ces mêmes qualités sont nécessaires dans la construction d’une mode durable créant une harmonie entre être vivants et la planète. Ici, il emploie la technique du Biosmocking à partir des fils de Brewed Protein : "Pour Lauren, j'ai conçu des formes biologiques qui l'enveloppent, comme si elle marchait ou nageait au milieu des vagues." (THIBAUT VOISIN)

L'univers scénographique de l'exposition, conçu par le Studio Tovar, est pensé comme un grand défilé de mode présentant une cinquantaine de vêtements issus de ses collections haute couture de 2016 à 2024.

C'est dans ce lieu plongé dans le noir que l'exposition débute avec Atlas, une œuvre forte "issue d'une conversation avec la mannequin Lauren Wasser pendant la période du Covid quand les personnes ne pouvaient pas se rapprocher physiquement. Pour le couturier, c'est très important les liens interpersonnels. Elle l'a inspirée par son histoire. Elle a des jambes artificielles, mais avec un esprit de résilience, elle a continué à défiler. Lauren disait à Yuima qu'elle était le futur ! Et il a voulu lui créer une pièce unique", explique la directrice adjointe des musées de la ville de Calais.

Un univers poétique et futuriste

Pour compléter ce défilé de quinze collections, le mur faisant face aux œuvres est le support de textes accompagnés d'illustrations – écrits détaillant la collection présentée, glossaire, croquis et dessins techniques – auxquels s'ajoutent des accessoires, des échantillons issus des recherches matériaux, des photographies de mode et des vidéos dévoilant le processus créatif des pièces exposées. Impossible de rester insensible à cette profusion d'informations qui permettent de mieux appréhender le travail complexe du couturier, comme celui, par exemple, sur les textiles en Brewed Protein. "C'est un tissu réalisé à partir de protéines synthétiques créées en laboratoire à partir des sucres contenus dans les plantes. C'est un matériau écologique qui remplace l'utilisation de la pétrochimie où des sources animales", indique la directrice adjointe des musées de la ville de Calais.

Plusieurs audiovisuels rythment le parcours : interviews du couturier, vidéos techniques, défilés de mode et pour rendre compte de l'importance des éléments sonores et musicaux dans son travail, des espaces du parcours sont équipés d'appareils d'écoute. Grâce à un partenariat avec Le Grand Théâtre de Genève, le public peut ainsi découvrir un extrait de l'Opéra Ukiyo-e, produit et présenté par ce dernier fin 2022, dont il a dessiné les costumes.

Pour répondre aux principes éthiques et esthétiques de Yuima Nakazato, le matériau papier – élément essentiel de la culture japonaise – a été privilégié pour la création des décors. Dans les niches où sont présentés les modèles, le papier accompagne en arrière-plan les pièces exposées. Il est tantôt plié, froissé, tombant, vierge ou imprimé.

La collection Evoke est "la création de formes à partir de sons". Les chansons des baleines deviennent une métaphore de l'humanité, de la nature, de la Terre et de sa place dans le cosmos. Les plis formés dans le tissu sont une traduction physique et poétique des fréquences émises par ces animaux. L'idée est de réduire l'empreinte carbone en utilisant 30% de matériaux recyclés. L'association de techniques ancestrales avec de nouvelles technologies est présente à travers l’association du Nishijin-ori, textile traditionnel utilisé dans la fabrication du kimono, et des fils en Brewed Protein. (THIBAUT VOISIN)

Située au cœur d'une usine de dentelle du XIXe siècle, la Cité de la dentelle et de la mode promeut la dentelle mécanique sur le plan national et international. Pour témoigner de l'épopée industrielle de Calais, elle présente la quasi-totalité de l'histoire de la dentelle et de ses techniques : de la confection à la main jusqu'à la fabrication de la dentelle mécanique tissée sur métier Leavers.

Dans cette exposition permanente d'une richesse inouïe, outre les métiers Leavers, on y découvre des machines et outils qui témoignent de rares savoir-faire transmis de génération en génération. Poursuivant son engagement de mémoire et de témoignage, le lieu accueille les artistes qui interrogent l'histoire et le devenir en présentant grands couturiers et créateurs émergents comme cette exposition consacrée à Yuima Nakazato.

L'exposition "Yuima Nakazato. Au-delà de la couture" jusqu'au 5 janvier 2025. Cité de la dentelle et de la mode. 135 quai du Commerce. Calais.

Pour Cosmos, Yuima Nakazato s'inspire des récits du phénix décrits dans l'œuvre d’Osamu Tezuka. Pour le couturier, cet oiseau représente la fragilité de la vie et la beauté à préserver de notre monde contemporain. Souhaitant unir deux façons opposées de penser le rapport entre vêtement et corps, il part d’un tissu de forme rectangulaire, selon le principe du kimono japonais, pour former un vêtement qui épouse les courbes, à la mode occidentale, grâce à la technique du Biosmocking, outils numériques de design et d'impression pour contrôler les propriétés de contraction des textiles en Brewed Protein. (THIBAUT VOISIN)

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