Interview "Le show est aussi bien dans la salle que sur le podium" : rencontre avec les créateurs anticonformistes de la maison de couture On Aura Tout Vu

À la semaine de la haute couture parisienne défilent des pièces uniques faites à la main. Mais au premier rang des défilés On Aura Tout Vu, stars et influenceurs volent souvent la vedette au podium, habillés des créations de la maison.
Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 9 min
Défilé couture no season On Aura Tout Vu, pendant la semaine de la haute couture, le 22 janvier 2024, à Paris. (GUILLAUME ROUJAS)

Pendant la semaine de la haute couture printemps-été 2024, du 22 au 25 janvier, la maison On Aura Tout Vu (OATV) a présenté sa collection no season le 22 janvier à l'Institut du monde arabe à Paris.

Fondée en 1998, la maison s'est lancée, en 2002, dans la haute couture à coups de paillettes, de strass et d'éclats de cristaux. Les collections, que le duo de créateurs imagine, empruntent la voie du détournement et de la fantaisie mêlant l'humour et le luxe, le quotidien et le merveilleux... Pour leur nouvel opus, Livia Stoianova et Yassen Samouilov ont puisé dans le monde des illusions pour imaginer un dressing où le réel rencontre l’irréel. Ici, la confusion des genres est à son paroxysme avec des motifs cinétiques, des armures strassées et brodées, des faux corps en néoprène... Chaque pièce est un trompe-l’œil mettant en question nos sens.

Des collections qui plaisent incontestablement aux VIP et autres influenceurs, la plupart venus assister au show, habillés des créations nées de l'imagination sans limite des deux créateurs. Ce 22 janvier 2024, le spectacle était autant sur le podium que dans la salle. Rencontre avec Livia Stoianova et Yassen Samouilov dans leur atelier parisien.

Franceinfo Culture : Votre collection no season est annuelle ?
Yassen Samouilov : Cela fait plusieurs années que l'on présente une collection une fois par an. C'est vrai que dans la couture, il n'y a pas vraiment de saisons, d'où l'idée de les annuler. Cette collection est un peu multifonction. La couture, c'est du sur-mesure. Quand une cliente a un événement, elle nous appelle pour nous demander de lui dessiner une robe pour cette occasion spécifique. Dans ce cas-là, on travaille pour elle, non par rapport à une saison, ni à une collection.

Livia Stoianova : Je pense que cela correspond à ce que l'on avait dit post-Covid. Beaucoup de monde a alors évoqué le fait qu'il fallait revoir la manière de créer les collections, qu'il était inutile d'en faire cent mille, surtout dans la couture où c'est un laboratoire ! Alors, on donne notre vision une fois par an.

Défilé couture no season On Aura Tout Vu, pendant la semaine de la haute couture, le 22 janvier 2024, à Paris. (GUILLAUME ROUJAS)

Votre collection s'intitule "Illusions". Quelles sont-elles ?
Livia Stoianova : Elles sont multiples. Chaque individu a une illusion de lui-même, de ce qu'il veut être, de ce qu'il veut paraître... tout est illusions, comme sur les réseaux sociaux. On a divisé le défilé en mini-thèmes. On a commencé par les corps nus, puis l'argent, le blanc, le noir, le noir et blanc. On a proposé beaucoup de jeux graphiques pour donner l'impression de changer de dimensions, de profondeur... mais ce n'était pas en 3D ! En superposant différentes matières et imprimés, on obtenait une autre forme. Parmi les illusions, il y avait, par exemple, les faux corsets qui reprenaient la forme du corps, de faux seins, de faux ventres, le tout travaillé en cristal sculpté.

Le défilé débute avec les modèles corps nus pour lesquels on a mélangé les genres : une mannequin porte un corps nu d'homme en silicone, tandis que des mannequins masculins portent des corps très musclés, très beaux, mais aussi des corps de femmes... Chacun pouvait se voir différemment selon l'image qu'il veut donner de lui-même.

Yassen Samouilov : L'idée était de sortir des cases dans lesquelles la société nous enferme et de se dire que la perception que l'on a de quelque chose, de quelqu'un, peut-être tout et son contraire. Les corps nus, souples, en silicone médical, sont comme une seconde peau sculptée pour donner un visuel standardisé d'un corps parfait, que l'on peut voir dans les magazines. Ce vêtement sculpte vos formes, tout en les rendant très couture car il est rebrodé et adopte même des piercings.

Défilé couture no season On Aura Tout Vu, pendant la semaine de la haute couture, le 22 janvier 2024, à Paris. (GUILLAUME ROUJAS)

Certains imprimés étaient floutés comme si le modèle se répétait ou vibrait sur lui-même pour créer une illusion d'espace et de temps. On a aussi proposé un vêtement dont le devant et le dos étaient identiques comme, par exemple, la veste pour homme. Certains mannequins portaient, aussi, au niveau de la nuque, un masque comme s'ils avaient une double personnalité : celui du lapin était hilarant !

Livia Stoianova : C'est un peu comment on voit le monde et comment le monde peut nous voir. Le trompe-l’œil imprimé œil, c'est transformé la réalité en quelque chose d'impossible et brouiller les pistes.

Défilé couture no season On Aura Tout Vu, pendant la semaine de la haute couture, le 22 janvier 2024, à Paris. (GUILLAUME ROUJAS)

Normalement, les silhouettes sur le podium sont sous le feu des projecteurs mais à votre défilé, le premier rang VIP y est également.
Yassen Samouilov : Oui, il y avait une quarantaine de personnalités – blogueurs, tiktokeurs, influenceurs, chanteurs, artistes, performers... et même Eve Gilles, Miss France 2024.

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Livia Stoianova (en riant) : Nos défilés ne sont jamais politiquement corrects et froids. D'ailleurs, les gens de l'Institut du monde arabe, nous ont dit que c'était la première fois qu'un défilé était tellement émouvant et chaleureux. Il y avait une super ambiance en backstage – c’était même un peu compliqué à gérer tellement l'ambiance était trop bonne – et aussi dans le public.

Yassen Samouilov (avec un sourire malicieux) : On peut dire que le show est aussi bien dans la salle que sur le podium !

Livia Stoianova : Nos pièces, on ne les voit pas souvent portées. Après un défilé, elles partent chez des clientes, des personnalités pour des événements très privés. Alors qu'au moment du show, elles prennent vie avec tous ceux qui s'approprient les looks, font des mélanges que l'on n'aurait pas osés pour une nouvelle interprétation de nos créations couture.

Il y avait une quarantaine d'influenceurs. Comment vous êtes-vous organisé pour les habiller ? 
Yassen Samouilov : Cela s'organise en amont, il y a toute une équipe qui travaille là-dessus avec un showroom proposant une sélection de nos créations. Avant le défilé, il y a eu au moins cinq jours de rendez-vous pendant lesquels les influenceurs viennent choisir les pièces. Beaucoup avaient des idées bien précises de looks et de collections. Ils sont de plus en plus nombreux et il est difficile de répondre à toutes leurs demandes. Ils étaient le double de 2023. Ce qui est drôle, c'est qu'ils défilent sur le catwalk juste avant que notre défilé ne débute, ils s'amusent entre eux à se prendre en photo. Cela rejoint l'idée de l'inclusion et de la diversité que l'on a toujours prônées depuis le début.

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Livia Stoianova : La plupart nous suivent et nous connaissent depuis longtemps. Ainsi certains venaient des houses liées à l'univers des drag queens comme Paloma. On les soutient beaucoup pour des projets : ainsi pour la gagnante de la première saison de l'émission Drag Race France, qui fait des spectacles, on a travaillé sur la couverture de son album. On a aussi prêté des pièces pour un événement organisé par des drag queens. Au défilé, il y avait une vingtaine de mannequins : la moitié, ce n'étaient pas des mannequins professionnels mais des danseurs, des influenceurs (Bastos et Greg) et Paloma. Avec une bonne partie d'entre eux, nous n'avons pas seulement une relation amicale mais également artistique : ils font des choses très intéressantes.

Yassen Samouilov : Parmi ceux qui ont défilé, il y a des danseurs avec qui on a eu la chance de travailler pendant la période ou l'on a créé les costumes du Paradis Latin. Ce n'est pas forcément leur métier d'être mannequin, mais c'est cela qui rend le défilé plus vivant, amusant, drôle et revendicatif. L'échange, c'est primordial pour nous. On ne peut pas habiller que Lady Gaga, Rihanna... Il y a des jeunes, des mouvements qui émergent... c'est aussi le rôle d'un créateur de sentir ce qui se passe, là en ce moment. C'est ça qui fait demain, ce sont les tendances, les vraies.

Défilé couture no season On Aura Tout Vu, pendant la semaine de la haute couture, le 22 janvier 2024, à Paris : une création portée par Paloma. (GUILLAUME ROUJAS)

Vous êtes une grande famille ?
Livia Stoianova : Chez OATV, il y a un côté famille depuis le début, mais quand c'est trop famille après ce n'est pas très discipliné ! Les gens qui travaillent pour le défilé sont une famille que nous connaissons depuis de nombreuses années : Patrice (Hair Patrice Piau) pour la coiffure, Marieke Thibaut (MAC Cosmetics) pour le maquillage, Kamel Ouali pour la chorégraphie mais aussi tous les photographes qui nous suivent depuis longtemps. Même si nous ne sommes pas dans le calendrier officiel, certains refusent d'autres défilés pour être ici, car ils disent que chez vous, il y a un côté très artistique.

Y a-t-il une nouvelle génération d'influenceurs ?
Yassen Samouilov : Oui, cela bouge rapidement. Ils sont très jeunes, ils ont envie de quelque chose de différent, ils sont intéressants, ils aiment ce que véhiculent nos défilés. Par exemple, Bastos, c'est son second défilé chez nous. Il est ravi et découvre cette famille un peu étrange. Tout comme Greg, un des mannequins influenceurs également présent sur le podium.

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Livia Stoianova : Avec Yassen, nous pensons que nous sommes dans un siècle où tout bouge rapidement, alors nous ne pouvons pas être dans les clous. On a jamais été dans les clous !

Yassen Samouilov : Le fait de défiler à l'Institut du monde arabe, en ce moment, c'est aussi un appel à la tolérance. Nous pensons que notre mode a un message. On pense que l'art sert ce message de tolérance de paix et de liberté, c'est important. Chacun de nos défilés est un questionnement profond.

Des projets ?
Livia Stoianova : Cette collection, qui a reçu un très bon accueil et pour laquelle on a eu beaucoup de demandes, vient de partir dans un showroom à Los Angeles. Là-bas, aux États-Unis, il y a bientôt des événements comme les Oscars.

Yassen Samouilov : Les stylistes et les magazines américains sont plus friands de ce que l'on fait que la France qui reste plus traditionnelle.

Livia Stoianova : Après, avec nos fidèles, des chanteurs qui nous soutiennent – comme Elodie Frégé, Slimane – nous avons des projets artistiques.

Yassen Samouilov : Nous sommes en train de créer la collection de bijoux pour le cabaret Le Moulin Rouge. On poursuit aussi avec le Paradis Latin et des projets se profilent en Asie.

Votre collection de prêt-à-porter en édition limitée est uniquement en vente sur l'île de Paros en Grèce.
Livia Stoianova : Oui et cela fait plaisir de voir que les gens achètent des petites pièces. Les voir porter, c’est une satisfaction. On est en train de réfléchir pour ouvrir peut-être à Paris. Il y a déjà le site internet et quelques boutiques. En 2023, on a eu aussi par exemple des pop-up dont un pendant le Festival international des créateurs de mode de Dinan où nous étions les présidents du jury.

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