: Interview Le créateur de souliers Jean-Michel Cazabat, de retour en France après 30 ans aux États-Unis, lance son label couture
Dans les années 2000, les chaussures Jean-Michel Cazabat se démarquent par leurs lignes audacieuses, leurs touches d’excentricité et une attitude rock&roll. Portées par des personnalités du show business, elles s’imposent comme une référence sur le tapis rouge hollywoodien. Choc des couleurs, choix des matières d’exception et obsession du détail, c'est une marque incontournable des années 2000 à 2015.
De retour en France, le créateur français lance, en 2024, les souliers Cazabat, cette fois-ci avec une approche couture et artisanat en portant une attention aux couleurs et aux matières – imprimés exotiques, finitions métalliques, ornements précieux, travaux texturaux. Sa première collection, celle de l'automne-hiver 2024-25, a été présentée pendant la Paris Fashion Week féminine. Rencontre avec un passionné qui revient sur son parcours américain et les raisons de son retour dans son pays natal. Instructif.
Franceinfo Culture : votre rencontre avec l'univers du soulier s'est faite via la photographie...
Jean-Michel Cazabat : Je suis né au pied des Pyrénées françaises dans la région de la Bigorre. Enfant, j'étais passionné par la photographie. J'avais un Instamatic, mon grand-père m'avait acheté un petit Nikon. J'ai appris à développer, puis j'ai fait l'École nationale de photographie qui, à l'époque, se trouvait à Orthez. Mon rêve était de devenir assistant de Helmut Newton ou de Guy Bourdin qui faisait, alors, les campagnes de Charles Jourdan. C'était la première marque de souliers de luxe à faire de la communication de cette façon-là et, à un moment, elle a atteint un niveau de reconnaissance international grâce à l'image véhiculée par ce photographe.
Puis, je suis monté à Paris. Une amie journaliste – qui écrivait pour Vogue, L'Officiel et Le Figaro – m'a emmené à des interviews pour que je mette le pied à l'étrier. C'est ainsi qu'est parue une de mes premières photos signées JM Cazabat dans le Figaro Magazine avec Fabrice Emaer, le propriétaire du Palace, assis dans un fauteuil translucide !
Cette année-là, lors des fêtes de fin d'année que je passais à Tarbes, un ami, plus gros détaillant de chaussures en France, me demande comment se passe ma vie parisienne. Je lui explique que je veux trouver un job à mi-temps pour continuer la photo. Il me demande si vendre des souliers, ma passion, me tente et me met en contact avec Roland Jourdan. J'ai commencé à la demi-journée, puis à temps complet : il fallait apprendre le métier de A à Z et de meilleur vendeur, je suis devenu directeur.
Pourquoi êtes-vous parti aux États-Unis ?
À l’époque, la marque Stéphane Kélian montait en flèche. J'adorais ces chaussures tressées au look artisanal et ils m'ont proposé de les rejoindre pour m'occuper de la vente en gros à l'international des trois boutiques parisiennes. Cette compagnie, cotée en Bourse, marchait parfaitement sauf aux États-Unis où elle avait du mal à démarrer. En 1985, ils m'ont proposé de les accompagner à New York : sur place, je leur ai dit qu'il y avait tout à faire et je suis resté 10 ans. J’ai développé la vente en gros, les boutiques, j'ai travaillé sur la collection. En 1995, Stéphane Kélian a décidé de vendre pour prendre sa retraite et les nouveaux propriétaires m'ont proposé de redevenir créative directeur et de faire les collections. Je suis resté trois ans avant de me dire qu'il était temps de faire du Jean-Michel Cazabat.
À quoi ressemblait votre marque Jean-Michel Cazabat ?
Je l'ai lancé en 2000 et tout de suite, cela a bien démarré : j'avais une vision de ce qu'il manquait sur le marché et je connaissais toutes les bonnes boutiques. Au départ, uniquement la femme, puis l'homme quatre ans plus tard. Je vendais partout : aussi bien aux États-Unis qu'en Asie, qu'en Italie, que sur la Côte d’Azur. Je produisais en Italie ainsi qu'un peu en Espagne. J’ai eu une petite période où j'ai produit en Asie, mais je préfère travailler avec les artisans européens, il n'y a pas mieux que le savoir-faire d'un Italien pour des chaussures élégantes et d'un Espagnol pour les espadrilles ! C'était une marque féminine sexy alors que ma marque Cazabat aujourd'hui est plus couture, car j'avais envie de travailler avec des artisans pour un produit plus luxueux avec une identité.
Pourquoi ce retour dans votre pays natal ?
D'abord, j'étais un peu – je ne sais pas si le terme est approprié – désabusé. La mode me plaisait moins, une certaine élégance s'est perdue, avec toutes ces marques présentées par des influenceurs et la publicité sur les réseaux sociaux qui ont perturbé l'industrie. Je me suis dit, je ne vibre plus, je vais faire un break, c'est mieux que je débranche. Je suis revenu en mai 2021 et j'ai pris mon temps. J’ai passé deux ans à me ressourcer, à promener mon chien de chasse, à aller chercher les champignons, en essayant de faire un vide total. Dans la vie, il faut recharger les batteries.
Quel a été le déclic ?
Puis, un jour, une petite voix m'a dit "redessine-moi des souliers" et de suite, l'inspiration est venue pour ma nouvelle marque Cazabat. Je suis très content d'être revenu en France, Paris est super. Je trouve peut-être que le Covid a fait du bien : les Français se sont remis en cause et sont plus entrepreneurs. Quand les gens sont plus ou moins bloqués, la matière grise se met en marche, c'est ce qui m'est arrivé en débranchant ! Les Français s'en sont mieux tirés que les Américains : il n'y a pas eu de business pendant deux ans aux États-Unis, ni l'aide sociale qu'ont eue les Français grâce au gouvernement qui a fait des trucs fantastiques.
Vous avez opté pour une nouvelle identité pop couture ?
Cazabat, c'est de la pop couture artisanale. Pop, car j'aime les ambiances, les couleurs, le happyness, la musique des années 1970. J'aime cette période à tous les niveaux de créativité : musicale, architecturale, vêtements, chaussures, coiffure. Couture, parce que c'est du super travail, artisanal, effectué à la main comme la couture. C'est fabriqué dans le Veneto, à côté de Venise en Italie, où il y a les meilleures usines, les beaux cuirs italiens, les meilleurs artisans.
Cette saison [l'automne-hiver 2024-25], il y a tout ce travail d'organza de soie, que l'on taille en petits morceaux, qu'on effiloche aux ciseaux et que l'on pique les uns après les autres sur la chaussure. Beaucoup de travail également avec cet autre modèle pour lequel on achète 50 kg de jeans Levi's vintage, que l'on effile et brode sur de petits métiers à tisser sur lesquels je fais rajouter du fil d'argent et d'or. C'est un rêve, une œuvre d'art, cela demande beaucoup de temps de travail. Il y a aussi les modèles avec des plumes, car j'aime bien tout ce qui est cocktail : je suis tombé amoureux de ces plumes de dinde !
Pourquoi fabriquez-vous en Italie plutôt qu'en France ?
Il n'y a plus d'industrie de chaussures de luxe en France malheureusement. J'ai travaillé à la grande période des années 1980 de Charles Jourdan, Stéphane Kélian, Robert Clergerie, à Romans, qui était un petit village, une petite ville, que le monde entier nous enviait. Là-bas, vous rencontriez tous les designers de la terre venus pour faire leur collection. Il n'y en a plus maintenant, il ne reste que quelques fabricants, mais pas pour faire ce type de souliers de luxe. Les groupes français vont en Italie. Il n'y a que la maroquinerie qui existe encore en France, c'est dommage !
Pourquoi cette fabrication n'existe plus ?
Tous ces problèmes sont arrivés au début des années 1980 avec les 35 heures et les départs en préretraite. Je l'ai vécu, je voyais dans les usines de la région de Romans et du Choletais qu'ils proposaient à beaucoup d'ouvriers de partir en préretraite, mais ils ne formaient pas de jeunes pour les remplacer.
Aujourd'hui, en Italie, dans les usines, il y a toujours des garçons dont le père ou l'oncle a travaillé là ou à côté : ils ont continué l'amour du métier de la chaussure. C'est un truc qui s'est perdu en France.
Alors cette collection automne-hiver 2024-25 ?
Cette première collection a été présentée pendant la Fashion Week parisienne comme un compte à rebours. Il fallait commencer à dire Cazabat is back. Elle est intemporelle, aussi bien pour l'été que l'hiver, avec des bons basiques : c’est-à-dire des modèles en organza, en jeans, des sandales. J'ai toujours aimé les collections intemporelles : aux États-Unis, je travaillais aussi bien avec la Floride, que la Californie et l'Asie. La mode est devenue comme cela, il n'y a plus de saisons.
On commencera la vente sur notre e-commerce en juillet : elle ne sera que sur le site en ligne au départ, après, on fera une sélection de bonnes boutiques, des meilleurs détaillants mondiaux, en Europe et aux États-Unis. Tous ces clients-là, je les avais à l'époque, il va falloir les recontacter.
Je propose une trentaine de modèles de 600 à 1 200 euros pour les bottes. C'est le même niveau que les Gianvito Rossi, les Christian Louboutin.
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