La créatrice ukrainienne Lilia Litkovskaya, réfugiée en France, se bat pour faire vivre sa marque et les talents de son pays
Seule créatrice ukrainienne à se rendre à la Paris Fashion Week en mars dernier, Lilia Litkovskaya a fui Kiev en Ukraine le 24 février, jour de l’invasion russe. A l'initiative d'un pop-up store caritatif, elle a réuni des designers de la mode ukrainienne à Paris pendant trois jours. Son combat : faire vivre sa marque tout en aidant ce vivier de talents.
La créatrice ukrainienne Lilia Litkovskaya défile dans le calendrier de la Paris Fashion Week depuis 2017. Sa marque éponyme a été fondée en 2009 à Kiev en Ukraine. Elle est issue d'une famille qui a vu quatre générations travailler le vêtement - ses grands-parents faisaient de la couture et son oncle avait un atelier de production de vêtements militaires à Boutcha dont sa famille est originaire et où elle a été à l’école.
Ses vêtements offrent un mélange de tradition et d'innovation avec un vestiaire aux formes masculines portées sur des épaules féminines. Son credo : des vêtements qui révèlent ce que pense celui qui les porte en transmettant, sans hurler, un message. Sa devise : There is no wrong side. Les vêtements de la créatrice sont effectivement aussi soignés à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Elle est la seule créatrice ukrainienne à s'être rendue en mars dernier à Paris pour la semaine de la mode, présentant les collections automne-hiver 2022-23 après avoir fui l'Ukraine le jour de l’invasion russe. Un mois plus tard, elle est à l'initiative d'un pop-up store de créateurs ukrainiens.
Rencontre avec une jeune femme déterminée qui, aujourd'hui, se bat pour la survie de sa marque tout en affichant son soutien aux autres créateurs ukrainiens.
Franceinfo culture : à quelle date avez-vous quitté Kiev en Ukraine ?
Lilia Litkovskaya : Le premier jour de la guerre. Mon mari a compris qu'il fallait quitter le pays tout de suite mais il me fallait le temps pour peser le pour et le contre. Finalement je suis partie le 24 février à 17 heures avec ma fille de deux ans. D'abord, je suis allée chez des amis à Milan en Italie et là j'ai compris qu'il était très important pour moi d'être à Paris pendant la semaine de la mode (ndlr : la Fashion Week s'est tenue du 28 février au 8 mars 2022).
Pourquoi était-il important de venir à Paris ?
Avant que la guerre n'éclate, je pensais venir à la semaine de la mode car je suis dans le calendrier officiel de la Paris Fashion Week. Je devais y présenter ma collection automne-hiver 2022-23 ainsi qu'une installation artistique dans le cadre du salon Tranoï, auquel je participais pour la seconde fois (ndlr : ce salon de mode, qui se déroule parallèlement à la PFW, s'est tenu 4 au 7 mars 2022).
Vous êtes, alors, la seule créatrice ukrainienne présente pendant la Fashion Week ?
Bien avant que je ne sois dans le calendrier officiel de la PFW, il y avait deux autres créateurs ukrainiens - Anton Belinsky et Paskal - mais en mars dernier, en effet, je suis la seule marque ukrainienne présente.
Que présentez-vous au salon Tranoï ?
Cette saison, je n'avais bien évidemment pas de collection à présenter à Tranoï. Je n'avais absolument pas envie de parler de ma collection, je voulais parler uniquement de ce qui se passe en Ukraine. Sur le stand, j'ai mis un énorme drapeau ukrainien et affiché des photos des villes détruites pour montrer ce qui se passait dans mon pays. C'étaient les premières journées de la guerre, on n'avait pas encore beaucoup d'informations sur les victimes mais il y avait déjà beaucoup de destructions.
Sur les murs de mon stand, j'ai aussi affiché les QR codes de créatifs ukrainiens pour les mettre en évidence en leur absence grâce à la plateforme collective de designers ArtCode.Ua que j'avais créée sur Instagram.
Quel est ce projet ArtCode.Ua ?
En préparant la semaine de la mode de Paris, j'ai pensé au fait que souvent les étrangers - quand ils découvraient les artistes ukrainiens - nous interrogeaient sur les sources de leur inspiration, sur la particularité de leur art. C'est vrai qu'il y a quelque chose d'inhabituel dans l'art contemporain ukrainien. J'ai pensé que cela serait génial de créer une page sur Instagram où l'on pourrait retrouver différents artistes ukrainiens (designers, photographes...). J'ai lancé un appel sur ma page Instagram : si quelqu'un vous demande comment représenter l'art ukrainien vous penseriez à qui ? J'ai commencé à avoir des milliers et des milliers de réponses avec des noms qui revenaient régulièrement. Aujourd'hui, il y a 400 à 500 noms représentés par un QR code sur ArtCode.Ua.
Mon post date du 21 février, trois jours avant la guerre, mais je pensais déjà à l'installation que je pourrai faire au salon Tranoï déjà trois ou quatre semaines auparavant car il y avait déjà une tension que l'on ressentait. Mon idée était de représenter l'Ukraine, via une installation artistique, non seulement à travers ma marque mais aussi avec d'autres talents ukrainiens.
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Vous êtes aussi à l'initiative d'un pop-up store parisien
Pendant la semaine de la mode, le samedi 5 mars, il y avait une grande manifestation place de la République à Paris à laquelle j'ai participé. Là, j'ai eu le sentiment que l'on parlait beaucoup des réfugiés et je ne voulais absolument pas devenir réfugiée ! La période est très difficile, c'est très dur mais j'ai cette énergie en moi pour faire quelque chose. Et si j'ai un peu plus d'énergie que les autres, je veux les aider à faire leur premier pas dans un pays étranger.
Quand j'étais au Tranoï, des gens présents au salon (des géorgiens, des allemands...) m'ont proposé de me prêter de l'espace dans leur magasin et une amie de monter un pop-up store à Munich. Pourquoi ne pas organiser la même chose à Paris, surtout en sachant qu'il y avait beaucoup de créateurs ukrainiens qui se sont retrouvés ici quand la guerre a démarré. Sachant que j'avais réussi à évacuer le pays avec une partie de ma collection, j'ai relancé mes contacts à Paris.
Les créateurs ukrainiens présents dans ce pop-up store ont-ils eux aussi quitté l'Ukraine ?
J'ai créé un groupe WhatsApp en demandant à ceux, ayant trouvé refuge en France, s'ils avaient des collections et s'ils voulaient participer à ce pop-up store (ndlr : caritatif pour présenter leurs collections produites en Ukraine, certaines en zone de guerre, et faire rayonner leurs savoir-faire. La moitié des bénéfices est reversée à des projets humanitaires). Onze marques de prêt-à-porter et d'accessoires - Katerina Kvit, T. Mosca, Ksenia Schnaider, Bobkova, Gudu, Litkovskaya, Shur Shur, Agape Studio, Logvin Jewelry et Chego Jewelry - ont participé du 10 au 13 avril.
Que se passe-t-il pour vos équipes restées en Ukraine ?
Mon équipe de 25 personnes (sans compter ceux travaillant pour la collection artisanale dans des villages reculés) partage depuis longtemps un groupe de communication interne à ma société qui s'appelle Des joies ordinaires. Ce groupe a été très actif dès les premiers jours de la guerre. Pour se soutenir, ils sont restés en contact, certains sont demeurés à Kiev pour faire du volontariat, d'autres ont bougé dans des endroits un peu plus sécurisés.
Après la PFW, je suis retournée en Ukraine pour aider ceux qui le désiraient à partir à l'ouest du pays et à trouver des solutions pour relancer la production. Car dès les premiers jours de la guerre j'ai compris qu'il fallait absolument qu'ils puissent trouver un travail, qu'ils gagnent de l'argent pour subvenir à leur besoin et à ceux de leur famille, surtout les couturières. Dans les jours qui viennent, je repars à l'ouest de l'Ukraine où j'ai une partie de ma production.
Quels sont vos projets ?
Aujourd'hui, je dois continuer à travailler sur ma marque et même si les ukrainiens ont été dispersés dans le monde entier par cette guerre, je pense que le jour où l'on pourra se retrouver on sera encore plus unis. Je veux participer à créer cette unité et je veux aider les autres à surmonter les obstacles qui peuvent se dresser. Les Parisiens sont très énergisants, cela fait chaud au coeur. Je suis extrêmement reconnaissante à ceux qui m'aide, moi et mes compatriotes.
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