Dans les coulisses de "la Pulp", la Fashion Week des "grandes tailles"
Dans l'espoir de rendre la mode "plus size" aussi attractive et riche que sa version taille 34, une poignée de professionnels de ce tout jeune secteur tentent de le dépoussiérer.
Dans l'arrière-salle d'un hôtel marseillais, Hard Out there, la chanson de Lily Allen, s'échappe de la sono. Pendant que la chanteuse britannique dénonce en musique la pression exercée sur les femmes pour se conformer aux diktats de la minceur ("si tu ne fais pas du 34, alors tu es moche", chante-t-elle, sarcastique), Blanche Kazi, elle aussi donne de la voix : "CANDIDATE SUIVANTE, S'IL VOUS PLAIT !", lance la fondatrice de la Pulp Fashion Week. Le jury, composé de cinq organisateurs ou partenaires de ce rendez-vous dédié à la mode grande taille, a fait un saut samedi 28 février dans la cité phocéenne. Organisée les 11 et 12 avril à Paris, la "Pulp", comme disent les initiés, est un évènement jeune (trois ans), encore modeste, mais ambitieux. A l'image de l'industrie qu'il entend promouvoir.
Vingt mannequins dites "plus size", soit du 40 (pas la peine de râler, c'est le barème en vigueur dans le milieu, même si la Française moyenne porte du 42) au 56, défileront pour une poignée de créateurs. Leur mission : faire rêver les fashionistas, glamouriser le monde de la grande taille et surtout, attirer les marques et les créateurs dans ce secteur longtemps méprisé par les professionnels de la mode. Bref, pas une mince affaire.
"On peut voir le ventre ?"
Les jurées ont disposé dans un coin quelques paires de talons hauts ("On va vous regarder marcher un peu, ça vous va ?"). Céline, qui a parcouru 300 km depuis Toulouse, a trouvé sa pointure, mais le compte n'y est pas. "Vous avez écrit sur votre fiche que vous faites 1m72. Vous êtes sure ? Vous ne feriez pas 1m65 plutôt, non ?" lui lance Blanche, intransigeante.
La concurrente encaisse, déstabilisée. "Je n'ai pas menti sur mon âge", rétorque la quadragénaire. "Vous faites du sport ?", enchaîne Lalaa Misaki, la blogueuse du panel. "Oui, de l'aquabike". "A quelle fréquence ?" "Euh..." "Vous acceptez de faire de la lingerie ?" "Vous avez déjà défilé ?" "Vous pouvez soulever votre T-shirt, on peut voir le ventre ?" Céline, qui "oui, bien sûr" accepte de "faire de la lingerie", s'exécute. A l'issue de quelques secondes de débat à huis clos, elle essuie le refus catégorique des cinq membres du jury : la rédactrice en chef du magazine Curvista, la blogueuse Lalaa Misaki, Murielle AKM, coiffeuse officielle de la Pulp, George Alexandre, le photographe et Blanche, évidemment. "SUIVANTE !"
Interrogée sur le processus de sélection, Lalaa détaille les critères de beauté pris en compte par l'équipe. Contrairement aux mannequins classiques, prisées pour leurs silhouettes longilignes et interchangeables, "nous ce que l'on veut, ce sont des corps proportionnés. Si une fille est vraiment forte, il va falloir qu'elle soit grande. On cherche des mannequins rondes, mais il ne faut pas se leurrer", nuance-t-elle. "En lisant une étude du magazine 'Plus model magazine' je me suis rendue compte que la majorité des gens n'aiment pas la cellulite, et que les vergetures ne feront jamais rêver qui que ce soit."
Leur job est de mettre en valeur le vêtement (...) Des rondes oui, mais sportives, fraîches, fermes et en bonne santé."
Comme Audrey, 29 ans. Avec son mètre 73, son 100 C de tour de poitrine et son 46-48 de taille, la brune aux yeux vert obtient cinq "oui". Ça passe aussi pour Hyslyne, 32 ans. En dépit d'une taille 52, elle arpente avec légèreté le tapis rouge, dans ses grosses bottines en cuir noir clouté comme dans sa paire de talons aiguilles. Beauté métissé aux grands yeux noirs, "elle représente effectivement un type de physique," s'enthousiasme Lalaa, soucieuse de puiser dans toutes les morphologies.
"Un pied de nez à la Fashion Week"
Née d'une mère couturière, Blanche abhorre le "cheap". Dans sa petite robe bustier noire près du corps, perchée sur des escarpins hauts talons rouge grenat, elle met en garde : "J'ai créé la Pulp pour faire un pied de nez à la Fashion Week traditionnelle." Pas pour accompagner le processus d'acceptation de jeunes femmes mal dans leurs corps. "La Pulp, ce n'est pas une initiative de 'body acceptance' (acception de soi)." Autrefois chargée de communication bénévole pour le concours miss Ronde, la jeune femme revendique des critères exigeants, et martèle "qu'il ne suffit pas d'être ronde" et de se pointer la bouche en cœur pour décrocher son ticket d'entrée à "la Pulp". "Dans les concours de beauté pour rondes, le message, c'est : 'Les rondes ont le droit d'exister'. C'est très bien, mais j'ai dépassé cela", assure Blanche.
"Aujourd'hui, mon approche est marketing. Je veux bousculer les codes de ce milieu pour qu'il soit en adéquation avec ce que veulent les femmes."
Côté business, "la France a 20 ans de retard", souffle-t-elle. En manque d'accompagnement, elle est pour l'instant condamnée aux budgets à la diète et aux sandwichs avalés sur le pouce entre deux TGV, mais envisage à terme de faire de son projet une société fructueuse. Pour l'instant, les quelques tops françaises à vivre de leur métier ont dû s'expatrier pour travailler, tandis que les équivalent américains ou allemands de la "Pulp" attirent déjà sponsors et partenariats juteux avec des marques stars de la mode XXL.
Ces derniers mois, les mannequins stars dites "plus size" (grande taille), ont en effet remporté plusieurs victoires outre-Atlantique : Ashley Graham et Robyn Lawley ont posé dans le numéro spécial maillots de bain du magazine américain Sports illustrated, Denise Bidot a défilé à la Fashion Week de New York et Candice Huffine a décroché une place (le mois d'avril) dans le légendaire calendrier Pirelli. Plus exceptionnel encore, Tess Holliday, une américaine de 120 kilos, est devenue la mannequin la plus grosse jamais signée dans la cour des maigres, en intégrant l'agence de mannequins Milk. "Si tu veux attirer les créateurs et les marques, tu ne peux pas te planter sur les filles", glisse Murielle.
"Un acte de rébellion"
A 38 ans, Marie-Laure est venue de Salon-de-Provence avec une amie "pour s'amuser". Mais pas seulement : "Participer à ce casting, c'est un acte de rebellion contre les images qu'on nous matraque dans les médias à longueur de journée", explique cette maman de 38 ans. "Les magazines font leur une sur les rondes une fois par an et le reste de l'année, c'est comme si nous n'existions pas," déplore Marie-Laure.
Pour maigrir, elle a "tout fait", sourit-elle : "Dukan, les régimes Weight Watchers, etc. Et puis j'ai compris que si tu n'as pas de problème de santé, il faut t'accepter, faire du sport, ne rien s'interdire", conclut la blonde, maman de deux enfants et par ailleurs saluée par le jury pour ses formes gracieusement entretenues par la pratique de la zumba.
Elle maîtrise toutefois moins l'art du défilé. Heureusement, les filles la briefent. "Souris, impose toi", "tu as l'air tendue, encore", "essaie de bien mettre un pied devant l'autre, en ondulant des hanches", lui lancent-elles. Anaïs lui conseille enfin de se former "en regardant des vidéos de défilés sur YouTube", une bonne façon de compenser son manque d'expérience. L'idée de tenter sa chance sur le catwalk a mûri dans un coin de sa tête pendant des années. "Je ne l'aurais peut-être pas fait à 20 ans, mais aujourd'hui, je suis bien dans mon corps, je veux montrer que c'est possible d'être ronde et épanouie", poursuit Marie-Laure. "On voit peu de filles de 19 ou 20 ans", reconnaît Lalaa. "C'est un âge où l'on subit de plein fouet la pression liée au culte de la minceur. Mais c'est en train de changer."
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