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Les mannequins rondes sont-elles enfin des mannequins "tout court" ?

Dans son numéro spécial bikinis, "Sports Illustrated" met en avant une top model dite "plus size". Une première pour ce célèbre magazine américain peu enclin à prôner la diversité des formes. 

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
La top model Robyn Lawley à New York (Etats-Unis), le 13 mai 2013.  (STEPHEN LOVEKIN  / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

"Des gros nénés, un gros ventre, des grosses cuisses... Ça change, hein ? Ça change des magazines." Et si cette phrase (tirée de cette scène de la comédie belge Dikkenek) devenait, un jour, obsolète ? Et si les influents mondes de la mode et des médias laissaient un peu de place aux "grandes tailles", ces jeunes femmes dont les mensurations vont de la moyenne française (une taille 40-42) au 60 ?

Robyn Lawley mesure 1,88 m et arbore un joli "taille 42" sur l'étiquette de ses vêtements. En recrutant cette top australienne parmi les stars de son édition spéciale maillots de bain, le mensuel américain Sports Illustrated a, sans conteste, réussi un gros coup. Alors qu'il a révélé ses égéries en bikinis, vendredi 6 février, faut-il s'attendre à observer plus de diversité dans les pages de nos magazines ?

 

Des médias (un peu) moins frileux

Depuis cinquante-deux ans, le numéro annuel consacré aux maillots de bain du magazine de référence en matière de sports bat les records de ventes outre-Atlantique. Son secret ? De longs articles passionnants sur les matières permettant d'accroître les performances des nageurs. Des filles presque nues. A défaut de servir la cause féminine, cette édition a le mérite de surligner les critères de beauté féminins dominants de son époque. Or, cette année, miracle : l'une de ses égéries dépasse le 36. Un symbole pour celle qui, quelques mois plus tôt, rejouait la session photos du spécial bikini de Sports Illustrated, pour démontrer que les rondes y avaient leur place.

Beau hasard ou signe des temps, la marque Swimsuits for all ("Des maillots de bain pour tous") s'est offert une pleine page de pub dans le même magazine, avec pour modèle la renversante Ashley Graham. Saluée de tous, la campagne n'avait rien d'évident dans ce magazine connu pour promouvoir les beautés "standardisées". En d'autres termes : qui n'existent pas dans la vraie vie. Comme tous les grands médias jusqu'alors. En 2010, une publicité montrant Ashley Graham, sa taille 46 et son soutien-gorge en dentelle rouge avait même été jugée trop provocante pour passer sur la chaîne ABC, contrairement aux spots des brindilles de Victoria's Secret.

Ces changements sont-ils "historiques", comme s'enflamment les médias outre-Atlantique ? Pas vraiment. "On voit de plus en plus émerger des femmes rondes associées à de la beauté valorisée, confirme le sociologue Thibaut de Saint-Pol, de l'ENS Cachan, contacté par francetv info. Il faut s'en réjouir, mais il ne faut pas être dupe. Cela reste minoritaire, de l'ordre de la communication. La preuve, c'est que nous en parlons. Lorsque cela sera devenu un non-sujet, alors là, oui, on pourra dire qu'il y a eu un progrès."  

"Les femmes ont envie de voir des modèles qui leur ressemblent" 

"Personne ne veut voir des femmes rondes", avait lancé Karl Lagerfeld en 2013. Longtemps épinglée pour ses critères de beauté irréalistes, l'industrie de la mode a montré, ces derniers temps, quelques signes de bonne volonté. En janvier 2014, IMG est devenu la première agence de mannequins de renommée internationale à signer cinq top models plantureuses sans nommément les assigner à la catégorie "plus size" ("grande taille"). En novembre, le monde apprenait par ailleurs que la top "grande taille" Candice Huffine avait été choisie pour incarner la madame avril du calendrier Pirelli 2015. Encore une première, mais toujours pas une norme dans ce monde où la ségrégation persiste entre "les grosses" et les autres. 

Pour lutter contre la discrimination contre les rondes dans la mode, cinq de ces égéries tout en courbes ont créé l'association AldaInterviewée (vidéo en anglais) dans l'édition de février du magazine Bust, l'une d'elles, Inga Eiriksdottir, star islandaise de la prestigieuse agence Ford, affirme ainsi vouloir "contribuer à repousser les limites de l'industrie de la mode afin qu'il n'y ait plus de divisions, plus de frontières [entre les mannequins "plus size" et les autres]. D'autant plus que je pense que nous sommes à un moment où les femmes ont envie de voir des modèles à qui elles peuvent s'identifier." Bingo. 

La rébellion est en marche

"Et il y a encore du boulot", confirme à francetv info Claudia Brotons Sannka-Télèphe, présidente de l'association Allegro Fortissimo. Depuis 1989, elle milite contre les discriminations dont les ronds et rondes font l'objet. "Cela ne va pas assez vite, évidemment, mais on observe une amélioration. Le milieu de la mode part tout de même du 34 comme taille standard ! Il y a une prise de conscience, mais il faut leur laisser le temps d'évoluer, explique la militante. Nous avons tellement envie de nous sentir représentées. Je sors chaque jour et je ne vois pas beaucoup de tailles 34. Non seulement il ne s'agit pas d'une norme - la norme n'existe pas -, mais, en plus, les photos sont retouchées. A tel point que des jeunes filles se croient obèses lorsqu'elles font du 40." 

Partout dans le monde, des jeunes femmes ont décidé de se rebeller contre ces critères absurdes. Des blogueuses et journalistes rondes, comme Marie Southard Ospina, Virgie Tovar ou Gabi Fresh, ont ainsi popularisé la démarche "body positive". En d'autres termes : la fierté de son propre corps. La vague de commentaires positifs reçus par le Glamour américain après la publication en 2009 de photos de Lizzie Miller, une jeune femme de 20 ans assumant son petit ventre, a démontré que les lectrices acceptaient volontiers de voir des bourrelets sur papier glacé.  

Internet, et surtout les réseaux sociaux, se font l'écho de ces revendications. Au mois d'août, invitées à poster des photos d'elles avec le mot-dièse #Fatkini ("Grokini"), des anonymes du monde entier ont assumé (et aimé) leurs courbes. Quelques mois plus tard, la mannequin Tess Holliday, forte d'une taille 54, a lancé la campagne #effyourbeautystandards ("on emmerde vos critères de beauté"). Plantureuse et tatouée, elle est devenue en janvier la plus grosse top model jamais signée par une agence non spécialisée "plus size", l'agence Milk Model Management, à Londres.

"Etre mince, c'est comme avoir un diplôme supplémentaire"

Si les échos rencontrés par ces mouvements "vont dans le bon sens", reconnaît Thibaut de Saint-Pol, "rien n'indique que les choses sont en train de changer. Etre une femme corpulente aujourd'hui reste extrêmement difficile au quotidien", poursuit-il, détaillant les différentes discriminations auxquelles elles s'exposent, à commencer par celle effectuée à l'embauche. "On associe traditionnellement les traits physiques à des traits psychologiques : en France, une femme ronde est assimilée à la paresse, au laisser-aller." Ainsi, dans le monde du travail, "être mince, c'est comme avoir un diplôme supplémentaire", déplore-t-il.  

Ces représentations négatives subsistent, y compris dans certains catalogues de prêt-à-porter à l'intention des rondes, où des mannequins taille 40 incarnent à leur tour une mode soi-disant grande taille. Claudia, elle, rêve de collections adaptées à toutes, sans distinctions. "Lorsque que notre association organise des défilés, les gens sont épatés de voir que des femmes rondes peuvent porter des vêtements avec grâce", note-t-elle. Maillot de bain compris. 

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