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CASA93 : à Saint-Ouen, une école démocratise la mode

La collection imaginée par les dix premiers élèves de l'école CASA93 a défilé le 9 juillet devant des professionnels. Un pari gagné pour cette école associative ouverte à la rentrée 2017 à Saint-Ouen. Retour en images sur le défilé et interviews de Mogany Pichancourt, une des professeurs, et de Miguel Zegre et d'Alexis-Leila Essadki, élèves de cette première promotion. Une belle aventure humaine !
Article rédigé par franceinfo - Corinne Jeammet et Marguerite Van Peebles
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Défilé CASA93 de la promotion 2017 le 9 juillet 2018 à Paris
 (Eric Garault)

CASA93, une école de mode associative

CASA93 est une école associative ouverte à la rentrée 2017 à Saint-Ouen. Nadine Gonzalez, sa directrice, permet à des talents "inexploités" de mettre un pied dans ce milieu "hyper élitiste" - entre les formations publiques sélectives et les écoles privées hors de prix. Elle recrute en priorité en Seine-Saint-Denis, département au plus faible niveau de vie de France, séparé de la "capitale de la mode" par le périphérique parisien. Pour proposer cette formation gratuite d'un an, sa fondatrice a rallié les bonnes volontés : le Mob Hôtel de Saint-Ouen prête une salle, les formateurs sont bénévoles la première année et des partenaires financent les bourses des élèves.

Un modèle importé de Rio

Française, diplômée de l'école Esmod et ancienne journaliste freelance, Nadine Gonzalez a fondé en 2013 au Brésil l'école Casa Geraçao dans une favela de Rio. Cent élèves y ont reçu une formation mais depuis l'école a disparu. Revenue en France, elle décide d'oeuvrer pour "les gens de banlieue" et a débarqué dans le 93, département le plus jeune et le plus métissé de France.

mogany Pichancourt, Prof au pôle création

Directrice du salon "Les nouveaux créateurs", événement hybride entre exposition, vente de créateurs et salon professionnel, ce rendez-vous présente chaque année les espoirs de la mode et du design. Tremplin professionnel, ce salon (qui a lancé une campagne de crowfunding pour sa 2e édition les 15 et 16 septembre à Paris) soutient la jeune création et valorise les arts appliqués et les métiers d’art. Il était logique pour Mogany Pichancourt de faire partie de l'aventure de la première promotion de CASA93. 

Comment avez-vous connu CASA93 ?
J'ai d'abord connu la Casa Geração au Brésil, une école de mode gratuite pour les jeunes des favelas. Même modèle créé par Nadine Gonzalez, directrice de CASA93, qu'elle a répliqué en banlieue parisienne. J'ai donc enseigné à la CASA au Brésil, pendant l'année où j'y vivais, et je me suis très bien entendue avec Nadine. Cela a été une des expériences les plus extraordinaires et enrichissantes de ma vie, donc quand elle m'a dit qu'elle revenait en France pour faire la même chose, j'ai dit tout de suite que je serais heureuse de faire à nouveau partie de l'équipe.

Mogany Pichancourt (en pantalon rose et brassière noire) au milieu d'élèves et de mannequins d'un jour le 9 juillet après le 1er défilé de CASA93 à Paris
 (Corinne Jeammet)

Pourquoi y enseigner ?
Parce que cette école est tout simplement géniale et surtout indispensable. Ces jeunes ont besoin de la mode et la mode a besoin d'eux. J'ai animé beaucoup d'ateliers mode et arts et j'ai travaillé plusieurs années dans le social, je connais bien la pédagogie et les méthodes nécessaires à un enseignement qu'il faut adapter à son public. Travailler à CASA93 est tout à fait naturel et motivant pour moi. Cette école défend toutes les valeurs qui sont les miennes.

Quels sont les meilleurs souvenirs de cette première année scolaire ?
Presque tous mes cours ont été un meilleur souvenir... c'est à chaque fois une aventure et un accomplissement pour les élèves et pour moi-même ! Je suis très fière d'eux et cette expérience m'enrichit tous les jours. Quand le défilé de fin d'année sera passé, je repenserai certainement avec nostalgie aux tout premiers cours (apprendre à se connaître mutuellement à travers la création de "moodboards" personnels (ndlr : planche de tendances) et aux tout derniers (finition des pièces jusqu'à tard le soir avec les élèves dans une grande complicité). J'ai hâte de connaître les élèves de l'année prochaine.

Mogany Pichancourt, les élèves et les mannequins d'un jour réunis pour la photo le 9 juillet après le 1er défilé de CASA93 : 
 (Corinne Jeammet)

Quelles ont été les difficultés ?
Travailler avec peu de moyens. Cette première année était une promo pilote, donc pas beaucoup de budget mais beaucoup de preuves à donner pour gagner la confiance du milieu de la mode. Tout le monde était bénévole mais nous n'avions surtout pas de matériel pour créer. CASA93 est une super initiative très soutenue moralement mais on en oublie souvent les soutiens financiers qui sont indispensables à la réalisation de tout projet. Chacun peut contribuer à son niveau : les particuliers peuvent adhérer à l'association à partir de 15 € et les mécènes privés peuvent faire un don défiscalisé (infos sur www.casa93.fr)

Que pensez-vous de ce premier défilé ?
Les élèves ont tout donné, ils ont énormément travaillé durant cette année. Ce qui n'a pas toujours été facile car ils ont été propulsés dans un milieu qu'ils ne connaissaient pas et ont tout de suite dû produire, créer alors qu'ils n'avaient pas de background artistique pour la plupart. De plus, certains ont dû abandonner en cours de route à cause de problèmes familiaux ou financiers (ce qui peut arriver avec un public issu de zones prioritaires). Les dix élèves qui ont réalisé la collection collective de fin d'année sont de sacrés jeunes, qui iront très loin je l'espère. Ils ont réalisé tout l'événement dans sa globalité : vêtements, scénographie, maquillage, casting, photos et même un parfum de la collection ! Ils resteront à jamais dans mon coeur, ce sont des rencontres que l'on n'oublie pas.

La ligne 13, fil rouge de cette collection collective

L'aboutissement de cette année d'étude a été la présentation de leur collection collective dont Maroussia Rebecq, créatrice d'Andrea Crews, et Monia Sbouaï, créatrice de Supermarché, sont les directrices artistiques. Implantée à Saint-Ouen, la ligne 13 fait partie du quotidien des dix élèves âgés de 18 à 25 ans. Est alors née l'idée que cette ligne 13 serait le thème de la collection qui a défilé le 9 juillet 2018.

Défilé CASA93 le 9 juillet 2018 à Paris
 (Corinne Jeammet)

C'est à l'Espace QG, au nord de Paris, qu'un quai de métro a été reconstitué avec ses stations Garibaldi, La Fourche, Place de Clichy, Gaîté... : les mannequins d'un jour déambulent en vêtements upcyclés et ornés de créations textiles. La surface des tissus techniques est fleurie de plastique crocheté de broderies siliconées et de tissages improvisés. Des chemises en tissu rigide, des jeans épais et des vestes structurées se déconstruisent et se recomposent avec des tissus fins dans un jeu de transparence urbaine et de silhouettes modulables. 

Défilé CASA93 le 9 juillet 2018 à Paris
 (Corinne Jeammet)

MIGUEL ZEGRE et Alexis-LEILA ESSADKI : "ENCORE MIEUX QUE CE QUE J'esperais"

Miguel Zegre, 18 ans, a eu son bac mention très bien en 2017. Alexis-Leila Essadki, 24 ans, a derrière elle une prépa ciné-théâtre et une licence de géographie. Ils voulaient se lancer dans la mode et ont sauté le pas avec CASA93. 

Miguel Zegre et Alexis-Leila Esadki, éléves de la première promotion CASA93, le 9 juillet 2018
 (Corinne Jeammet)

Lorsque Miguel, fondu de style depuis l'âge de 11 ans, a postulé, il s'est dit qu'il serait capable d'exprimer sa créativité librement, sans contrainte. Alexis, elle, a été attirée par la gratuité de ce cycle court (quinze mois) et son côté novateur où il est possible d'évoluer au contact permanent de professionnels.

Bilan de cette première année : "Encore mieux que ce qu'on espérait !" répondent-ils, fiers de leur production. Alexis reconnaît qu'elle a été surprise en apprenant qu'elle était retenue pour le cursus : "Au début, je ne me sentais pas légitime. Mais maintenant je suis boostée. C'est une chance. Cela a été un peu compliqué parfois mais très enrichissant : le travail de groupe nous a donné une force supplémentaire !". Miguel partage son avis : "J'avais un peu peur de ne pas être à la hauteur lorsque j'ai commencé ma formation. Mais ça s'est très bien passé. On n'a pas travaillé selon un processus créatif précis, on a appris au fur et à mesure, chacun donnant de sa personne. Moi, j'ai découvert l'upcycling auquel j'étais réticent et finalement ça m'a beaucoup plu. C'est un échange permanent."


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