Un roman fait revivre Rachilde, femme libre et écrivaine sulfureuse de la Belle Epoque
"Je crois qu'on est toujours digne quand on mène sa vie avec intensité, sans hypocrisie ni concession." Cette phrase de Rachilde, alias Marguerite Eymery (1860-1953) résume bien l’état d’esprit de cette écrivaine qui s’attira les foudres la bonne société de l’époque tout en devenant une égérie du milieu littéraire. Auteure d’une soixantaine de romans – seuls cinq sont actuellement disponibles en librairie -, Rachilde est aujourd’hui méconnue du grand public. Son esprit frondeur et la liberté de ses écrits en font pourtant une figure très actuelle dans nos sociétés où le rejet du patriarcat et la revendication autour du libre choix sexuel font l'objet de nombreux débats.
Cela n’a échappé à Cécile Chabaud. Cette professeure de lettres - remarquée en 2021 pour son témoignage Qu'est-ce que tu fais dans la vie ? Prof ! (Ed. L'Archipel) - consacre son premier roman Rachilde, homme de lettres (Ed. L’Archipel) à cette femme hors-norme qui vit le jour en février 1860 dans un petit coin de Dordogne.
Education androgyne
Faut-il chercher dans l’enfance de Marguerite Eymery le terreau qui donna naissance à Rachilde, écrivaine sulfureuse et femme libre ? C’est fort probable. Fille unique d’un couple bancal, Marguerite grandit dans le domaine familial périgourdin (qu'elle appellera “le trou”), entre un père militaire à la retraite, défiguré par la petite vérole, fâché de ne pas avoir eu un garçon, et une mère dépressive et folle qui finira ses jours à Charenton.
Marguerite reçoit une éducation très ambivalente, voire androgyne. Elle est formée aux règles de savoir-vivre imposées aux jeunes filles de l’époque tout en apprenant à monter à cheval, utiliser une arme et suivre une chasse au galop. "Puisque le malheur voulait que je fusse une fille, on m’avait formé le caractère en me faisant risquer tous les dangers que l’on cherche généralement à éviter aux êtres faibles" écrira t-elle plus tard.
Un culot indéniable
Très tôt, l’écriture et la littérature lui servent d’échappatoire. A 15 ans, elle envoie une nouvelle à Victor Hugo qui lui répondra en l’encourageant. Plus tard, elle brave les interdits en allant seule à cheval à Périgueux pour rencontrer le directeur de L’Écho de la Dordogne. Elle le convainc de publier son reportage sur de grandes manœuvres militaires. Ce sera le début de sa carrière littéraire.
Echappant au projet de mariage prévu par son père, elle part à Paris l’année de ses vingt ans et devient Rachilde. Un curieux patronyme. A cette époque, l'ésotérisme est à la mode. Mathilde prétend qu’elle écrit sous la dictée d’un esprit dénommé Rachilde, gentilhomme suédois du xvie siècle. Alors qu’elle a publié plusieurs nouvelles et un premier roman, Rachilde écrit Monsieur Vénus, où elle prône l’inversion des rapports de domination homme-femme. Le livre raconte la liaison entre Raoule de Vénérande, femme riche et cultivée et Jacques Silvert, un ouvrier fleuriste qu'elle féminise et soumet à une autorité très machiste
D’abord publié à Bruxelles en 1884 (puis en France deux ans plus tard), Monsieur Vénus est condamné en Belgique pour outrage aux mœurs. Le roman fait scandale et suscite la critique mais grâce à lui, Rachilde fait une entrée fracassante dans le monde littéraire. On la surnomme "Mademoiselle Baudelaire" ou encore "Reine des décadents".
Elle coche toutes les cases de la femme forte et libre qui fait un pied de nez à la domination masculine de l’époque.
Céline ChabaudAuteure du roman "Rachilde, homme de lettres"
Femme de lettres influente
Recueils de poésie, pièces de théâtre, nouvelles et même ouvrages pour enfants, Rachilde est une auteure féconde qui compte parmi ses amis Verlaine, Laurent Tailhade, Victor et Paul Margueritte, Jules Renard, Catulle Mendès. En 1885, elle rencontre Alfred Vallette, ouvrier typographe et écrivain naissant. L’écrivaine scandaleuse, portant le pantalon et les cheveux courts, épouse cet homme très sérieux en 1889 et donne naissance un an plus tard à leur fille unique, Gabrielle.
Ensemble, ils créent Le Mercure de France, une des revues les plus importantes de l’époque, qui devint par la suite une maison d’édition, révélant des auteurs comme Mallarmé, Hérédia, Gide, Claudel, Colette et Apollinaire. La revue bénéficie de la célébrité de Rachilde qui tient la chronique des romans du Mercure, poste qu'elle occupera jusqu'en 1925, signant pendant trente-cinq ans des critiques réputées pour la verve et le franc-parler de leur auteur.
Une femme seule
Mais peu à peu, l'écrivaine au caractère frondeur laisse place à une femme dépassée par son époque. Rachilde finit sa vie seule, sans son mari mort depuis vingt ans, infirme, quasi aveugle et oubliée de tous. Elle meurt le 23 avril 1953, à l’âge de 93 ans.
Derrière le personnage scandaleux et libre se cachait une femme pleine de contradictions. Vu de notre époque, on pourrait qualifier Rachilde de féministe, ce qu’elle réfutait au point de publier en 1928 un texte intitulé Pourquoi je ne suis pas féministe qui met en lumière la complexité de cette femme marquée par son enfance. "Je n’ai jamais eu confiance dans les femmes écrit-elle dans cet ouvrage, l’éternel féminin m’ayant trompé d’abord sous le masque maternel, et je n’ai pas plus confiance en moi. J’ai toujours regretté de ne pas être un homme, non point que je prise davantage l’autre moitié de l’humanité mais parce qu’obligée, par devoir ou par goût, de vivre comme un homme, de porter seule tout le lourd fardeau de la vie pendant ma jeunesse, il eût été préférable d’en avoir au moins les privilèges, sinon les apparences.
"Rachilde, homme de lettres" de Cécile Chabaud, Editions L’Archipel - 208 pages – 18 €
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