"Un fauteuil sur la Seine" d'Amin Maalouf, une lumineuse fenêtre sur l'Histoire
C'est une coutume, un rituel qui marque solennellement l'entrée dans le monde des Immortels. Le discours de réception à l'Académie française est l'occasion pour le nouvel élu de faire l'éloge de son prédécesseur.
Quand il entre sous la Coupole en juin 2012, Amin Maalouf remplace Claude Levi-Strauss au 29e fauteuil de l'Académie. Il n'a aucun mal à faire l'éloge du célèbre ethnologue qu'il a toujours admiré.
L'incroyable vie de Joseph Michaud
Mais en préparant son discours, l'auteur de "Léon l'Africain" et du "Rocher de Tanios" a découvert qu'un certain Joseph Michaud avait occupé ce fauteuil n°29 au moment de la Révolution française. Un historien à la vie rocambolesque, condamné à mort deux fois et emprisonné dans un lieu qui s'appelait le Collège des Quatre Nations fondé par Mazarin, transformé en prison à la révolution et qui est aujourd'hui... le siège de l'Académie française.En outre Joseph Michaud, auteur d'un important ouvrage sur les Croisades avait été d'une aide précieuse à Amin Maalouf pour son premier livre "Les Croisades vues par les Arabes" en 1983. Ne pouvant lui rendre hommage dans son discours d'entrée à l'Académie française l'écrivain franco-libanais a décidé de lui rendre justice à sa manière ainsi qu'à ceux, célèbres ou moins célèbres qui l'ont précédé à son siège depuis la création de l'Académie française par Richelieu. C'est ainsi qu'est né "Un fauteuil sur la Seine". Et que l'auteur a appris qu'un certain Corneille, qu'un certain Voltaire et qu'un certain Victor Hugo avaient failli occuper ce fauteuil 29 mais que les manoeuvres politiques ou littéraires en avaient décidé autrement.
Amin Maalouf en conçoit quelques regrets pour lui. Heureusement ces "maîtres" ont été acceptés à d'autres fauteuils.
18 prédécesseurs, autant de vies, autant de parcours dans une Histoire de France en mouvement qu'Amin maalouf nous propose de revisiter. De Nicolas Bourbon moqué parce qu'il n'écrivait quen latin à Henry de Montherlant ; de François-Henri Salomon de Virelade qu'on a préféré à Corneille à Claude Bernard, qui a voulu réinventer la médecine... Autant de trajectoires personnelles qui vont croiser, voire faire la grande Histoire.
Ecrivains, homme d'église ou politiques, scientifiques, y-a-t-il une ligne directrice pour ce 29e fauteuil ?
On l'a dit Amin Maalouf ne cache pas son admiration pour l'acuité et la profondeur de vue de Claude Levi-Strauss mais quand on lui demande de quel prédécesseur il se sent le plus proche, après le célèbre éthnoloque vient le sulfureux Ernest Renan, "celui qui a osé appeler Jésus 'un homme'" .
"Un fauteuil sur la Seine" est un superbe poste d'observation pour analyser les engrenages de l'Histoire de France. Un théâtre où le tout puissant cardinal de Fleury fera du 29e fauteuil le "siège du pouvoir le plus important de France après le trône du roi Louis XV" analyse Amin Maalouf; où Jean-François Cailhava siègera avec, dans une bague, une dent qu'il avait prélevée sur la dépouille de... Molière qu'il idôlatrait ; où un ministre des affaires étrangères, Guillaume Hanoteaux, associé à la retraite de Fachoda puis pris entre dreyfusards et anti-dreyfusards, sera l'"homme le plus insulté de France".
François de Callières le visionnaire
Dans ce grand kaléiodoscope il y a les célébrités, il y ceux que l'Histoire a oublié. Et puis il y ceux à qui l'Histoire a fini par rendre justice.
C'est le cas de François de Callières, cinquième occupant du fauteuil n°29. Son livre "De la manière de négocier avec des souverains", publié à la mort de Louis XIV préconisait la diplomatie plutôt que la guerre. Malgré sa clairvoyance il tombera dans l'oubli jusqu'à la Première Guerre mondiale où des Anglais le ressusciteront.
Amin Maalouf loue la préscience de l'auteur
Amin Maalouf, on le sait, est amoureux de la France, de ce pays qui l'a honoré en l'accueillant dans un de ses hauts lieux, l'intégrant ainsi totalement à son Histoire.
Avec "Un fauteuil sur la Seine", l'écrivain franco-libanais nous dit à sa façon qu'il est aussi le produit de cette Histoire, de cette effervescence intellectuelle qui rayonne un peu partout dans le monde, comme un merci à ce pays qui lui est cher.
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