Rentrée littéraire : "La Survivance", un Robinson Crusoë du XXIe siècle
C'est d'abord l'histoire d'un échec, celui de libraires qui doivent mettre la clé sous la porte, à l'orée de la soixantaine. Ils décident de retourner dans une masure abandonnée, "La Survivance", où ils avaient vécu un été, à vingt ans, dans le massif vosgien. Ils apprennent à vivre de pêche et de cueillette, à créer leur énergie, à prendre l'eau à la source.
Alors que tout bruit alentour - révolutions arabes, catastrophe nucléaire au Japon (nous sommes, donc, aux premiers mois de l'année 2011) - un homme et surtout une femme, la narratrice, réinterrogent leur génération, celle du "peace and love"et de la jeunesse joyeuse des seventies qui sut jeter aux orties d'inutiles conventions, mais pas toujours préparer l'avenir.
"Si l'on volait autrefois des livres, cela signalait des temps heureux"
Ils réinterrogent leur métier menacé de libraire qu'ils ont dû abandonner, faute de clientèle. "Nous avions commencé avec quelque chose de tout-petit et qui l'était resté un long moment, une librairie d'occasion", devenue plus petite "jusqu'à disparaître, ce qui était une tendance. Beaucoup de librairies en ville mouraient, dévorées par les libraires en ligne".
Pire encore et "signe de cette déréliction": si l'on volait autrefois des livres, cela "signalait tout simplement des temps heureux car aujourd'hui, m'a dit un libraire, écoeuré, on ne nous vole même plus de livres".
"La littérature ou la vie ?"
Ils réinterrogent leur vie au tamis d'une interrogation neuve et ancienne : de quoi a-t-on besoin sur une planète où les ressources se raréfient, où les espèces sont désormais menacées par des prédateurs "analphabètes", des chasseurs "qui ne savent 'même plus lire l'âge d'un cerf", l'abattant à "sept ans, juste adulte ?"
Les cerfs dont les bois, la vivacité, les brames, "les dix-huit postures d'alarme", inspirent les plus belles pages d'un livre qui est moins un guide de survie que d'union au monde.
Ils - mais surtout elle, la narratrice, confrontée aux tiques, à la rage des mulots massacrant son potager, aux orages ravinant les alentours de son toit précaire, se demandent alors: "la littérature ou la vie ?" "Je me suis répondu la vie." Car "si nous voulions nous en sortir, il fallait sortir de nous. Plonger direct dans les sensations, dans la peur, dans la joie, être aux aguets, se transformer en une boule de présence au monde prête à jaillir".
Dans cette fiction parsemée de références littéraires, comme autant de petits cailloux qui aident à vivre, Claudie Hunziger évoque ce conte "lu chez Vila-Matas, qui l'avait lu chez Walter Benjamin, qui l'avait lu chez Jean Paul": "Pour se procurer les livres qui lui manquaient, le petit maître d'école Wuz les écrivait lui-même. "
Comme lui, elle a écrit le livre qui lui manquait et nous manquait. Les lecteurs qui avaient déjà aimé le premier roman de l'auteure ("Elles vivaient d'espoir") devraient adhérer à nouveau à cette langue précise et cet amour communicatif d'une nature vivante.
"La Survivance" de Claudie Hunzinger (Grasset)
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