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"Young adult", "Dark romance", "New adult" : littérature ou marketing ? Enquête au salon Livre Paris

"Young adult", "Dark romance", "New adult"… Nouvelles collections, nouveaux rayons dans les librairies. Quelle littérature se cache derrière ces nouveaux concepts, à qui ces livres s'adressent-ils ? S'agit –il vraiment de littérature ou de marketing ? Enquête sur ces nouveaux genres en littérature au salon Livre Paris.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Rayon "Young adult", Pocket Jeunesse. Salon Livre Paris 2017
 (Laurence Houot / Culturebox)

Sur la grande et prestigieuse "Scène littéraire", qui accueille traditionnellement les plus grands noms de la littérature contemporaine au Salon Livre Paris, on parle cette fois de la "Young littérature", ce genre, apparu au début des années 2000 dans le sillage de la saga "Harry Potter" signée J.K. Rowlings, qui ensorcela des centaines de milliers d'adolescents à la fin des années 90.

Les adolescents se mettent à lire massivement, et compulsivement. Il faut alors assouvir leurs appétits de lecture avec des ouvrages de la même veine, concoctés avec les mêmes ingrédients : suspense, fantastique, amours, rebondissements, épisodes … Viennent alors "Twilight", "Hunger Games" et d'autres, pour finalement donner naissance à un nouveau rayon dans les librairies, d'abord anglo-saxonnes, puis françaises. Au début des années 2010, des auteurs français viennent aussi rejoindre les rayons de cette littérature baptisée "Young adult", qui s'adresse donc, comme son nom l'indique, à un lectorat jeune, entre 13 et 16 ans.

Rayon "Young adult" stand Robert Laffont, Salon Livre Paris 2017
 (Laurence Houot / Culturebox)
Manne pour les éditeurs et pour les libraires, cette littérature est devenue le domaine le plus vendu du secteur jeunesse aujourd'hui. Le genre gagne également les rayons adultes, avec l'apparition de la littérature "New adult", qui s'adresse à un public un brin plus âgé (18-25), avec des ingrédients plus adaptés à cet âge de l'entrée dans la vie adulte (essentiellement du sexe).

Littérature de passage

Dans le public ce samedi au salon du livre, des jeunes adultes (surtout des filles d'ailleurs), mais aussi des curieux. Sur la scène, trois auteurs classés "young" : Victor Dixen "Phobos" (Robert Laffont), Stéphane Michaka "Cité 19" (Pocket Jeunesse) et Marie-Lorna Vaconsin "Le projet Starpoint" (La Belle Colère). Les trois auteurs tentent de définir le genre. "Les personnages ont l'âge des lecteurs", souligne Marie-Lorna Vaconsin, "C'est à cet âge que se produit le basculement vers un autre monde, qui est le monde adulte. Je ne choisis pas des personnages de cet âge pour plaire aux lecteurs", explique la jeune romancière, "mais parce que c'est un sujet qui m'intéresse depuis toujours. J'ai toujours rêvé de passer de l'autre côté du miroir", ajoute-t-elle.
Stephane Michaka dédicace "Cité 19" (Pocket Jeunesse) Salon Livre Paris 2017
 (Laurence Houot / Culturebox)
Même constat pour Victor Dixen : "Je ne cherche pas à attirer des lecteurs. Ce qui m'interpelle, ce sont les questions existentielles : qui suis-je ? Qui voudrais-je être ? Quels sont mes choix existentiels ? On se pose ces questions tout au long de la vie, mais c'est à l'adolescence qu'elles se font plus pressantes", explique-t-il. "Ce sont des questions passionnantes d'un point de vue romanesque, cette période où les individus sont mis en face des possibles mais aussi des limites", poursuit Stéphane Michaka, dont l'héroïne, Faustine, est projetée dans le XIXe siècle. "Les questions auxquelles mon héroïne est confrontée ont de fortes résonances dans le monde d'aujourd'hui".

"Une drogue"

Dans le public, Émilie et Mélanie, venues de Franche-Comté pour le Salon du Livre. "J'adore !", s'exclame Mélanie. "C'est une littérature qui ne se cantonne pas à un seul genre, on y trouve du fantastique, du réalisme, de la romance, et même des 'dystopies' … Et ce mélange des genres que j'aime bien !", explique-t-elle. "On est fans de "Phobos", le roman de Victor Dixen. Du coup on est aussi venues pour le voir, l'approcher, et aussi pour peut-être récolter quelques informations sur le prochain tome !", s'enflamme-t-elle.

"C'est un livre tellement addictif !", ajoute Mélanie. "Un suspense de malades ! Là, ce qu'il nous a fait à la fin du tome trois, c'est pas possible !", s'exclame-t-elle. Elles lisent d'autres genres, des biographies, confie Émilie, "mais c'est vrai que quand on a commencé à goûter à la 'Young Adult', ensuite, avec le reste, on a tendance à s'ennuyer. On cherche à retrouver l'état dans lequel ces livres nous ont plongées. C'est vrai, ça ressemble un peu à une drogue", conclut Mélanie.
Mélanie et Emilie, Salon Livre Paris 2017
 (Laurence Houot / Culturebox)
La séance se termine. Annie, une blogueuse d'Angers, a assisté à la rencontre un peu par hasard "mais j'ai été très surprise et intéressée. Je ne connaissais pas du tout ce genre. J'ai découvert quelque chose et comme je suis curieuse, je vais essayer!", confie-t-elle.

Littérature ou marketing ?

Un peu plus loin, sur le stand Harper & Collins France et Harlequin, qui publient depuis longtemps ce genre de littérature , une longue file de lectrices attendent pour une dédicace. Ici, on connait bien son sujet. "Avec la 'Young adult', on va être plus sur quelque chose de 'soft', de 'sweat'", explique Sophie Lagriffol, éditrice. "Sur la 'New adult', on est sur un cahier des charges différent, avec des sujets plus ancrés dans le réel, avec des histoires d'amour plus intenses, plus engagées. L'action va se situer dans le monde professionnel ou à l'université. Et la grosse différence, c'est le sexe, qui va être beaucoup plus présent", souligne l'éditrice.
Sophie Lagriffol, éditrice chez Harper et Collins France
 (Laurence Houot / Culturebox)
"Mais les auteurs n'écrivent pas sur commande, en suivant un cahier des charges. Ils écrivent librement, et ensuite, c'est notre travail d'éditeur de savoir à quel cœur de cible le roman s'adresse", défend Sophie Lagriffol. "Là on essaie de lancer un nouveau concept, la 'Dark romance', où l'on monte encore en intensité, avec des histoires de manipulations, de vengeances, des histoires avec une charge émotionnelle encore plus forte", confie-t-elle. Dans la file d'attente des dédicaces, Jessica, 36 ans : "J'en lis 6 ou 7 par mois. J'adore, ça me permet de m'évader, de rêver...". A côté d'elle Manon, 20 ans n'est pas du même avis : "C'est un peu tout le temps la même histoire, des hommes beaux, riches ténébreux... J'en ai lu trois ou quatre et après j'ai arrêté, c'était un peu ennuyeux !".
Manon et Jessica, salon Livre Paris 2017
 (Laurence Houot / Culturebox)
"On doit répondre à une demande presque boulimique des lectrices (ce sont majoritairement des femmes qui lisent ce genre de romans). Elles lisent énormément et donc c'est un secteur où le numérique marche très bien. C'est moins cher, elles sont livrées en temps réel, et pas de problèmes de stockage !", ajoute l'éditrice. "On travaille aussi beaucoup sur les couvertures, pour aider les lectrices à s'y retrouver. On choisira des couvertures plus sensuelles pour le 'New adult' que pour le 'Young adult' par exemple", ajoute l'éditrice. "C'est un secteur qui marche vraiment bien, et d'ailleurs les éditeurs traditionnels s'y sont mis, comme Robert Laffont, Hachette, Mazarine, Pygmalion…", conclut Sophie Lagriffol.

"Des livres qui peuvent faire réfléchir"

Sur le stand de Robert Laffont, qui a lancé en 2012 sa collection R, Magdalena, 26 ans, blogueuse, défend la littérature "Young adult". "Cela correspond à une niche, qui exprime une forte demande", souligne la jeune femme, "mais aujourd'hui on trouve vraiment de tout, des livres de pur divertissement, mais aussi des romans qui abordent des questions de société, et qui peuvent faire réfléchir. Par exemple, "A la place du cœur" (Robert Laffont, collection R) d'Arnaud Cathrine, est un roman qui raconte la naissance d'un premier amour à la veille de l'attentat à Charlie Hebdo. Mais il y en a plein d'autres, dans lesquels sont abordés toutes sortes de thématiques comme la maladie mentale, ou le harcèlement scolaire… Des thèmes qui peuvent accompagner les adolescents dans leur construction", insiste Magdalena.
Magdalena, bolgueuse spécialiste "Young adult"
 (Laurence Houot / Culturebox)
Chez Pocket Jeunesse, qui publie aussi très largement dans ce domaine, Xavier D'Almeida rappelle qu'ici comme dans l'édition en général, il ne faut pas compter sur des recettes miraculeuses. C''est lui qui a découvert "Hunger Game". "En 2007, quand on a publié le premier tome, ça a démarré vraiment tout doucement", se souvient-il. "Et puis petit à petit, à partir des 2e et 3e tomes, on a senti monter quelque chose, et après, avec l'adaptation au cinéma, ça a été la déferlante des ventes", poursuit l'éditeur. "Aujourd'hui, c'est devenu plus compliqué. Il y a des concurrents, il faut acheter plus vite, et plus cher. Le fait que tous les éditeurs s'y mettent, ça a complétement changé le marché", ajoute-t-il. "Mais ça n'empêche pas de continuer à chercher. On achète des 'gros', et que l'on paie cher, dont on sait que cela va marcher (encore que, ce n'est pas automatique), mais ça doit servir à publier des auteurs moins connus, et de la qualité", explique-t-il.

"Rendre commercial ce qui ne l'est pas"

"Par exemple, Stéphane Michaka qui écrivait pour les adultes a eu envie d'écrire pour la jeunesse. Il a fallu convaincre les libraires pour qu'ils défendent ce roman pour la jeunesse, qui se déroule dans le Paris haussmannien du XIXe, et qui ne transige pas sur la langue, sur l'écriture. C'est aussi l'avantage de publier des livres en français, c'est de ne pas transiger sur la langue. Et nous, notre objectif, c'est de rendre commercial ce qui ne l'est pas. D'ailleurs Stéphane Michaka répète que son but est aussi de donner envie aux ados de lire les grands auteurs du XIXe siècle !".
Xavier D'Almeida, éditeur Pocket Jeunesse, découvreur de "Hunger Games"
 (Laurence Houot / Culturebox)
"Aujourd'hui, la littérature 'Young adult' a absorbé la littérature populaire hors polars, le rayon "fantasy', la science-fiction, la romance, et c'est un rayon qui attire un lectorat adulte, des gens qui autrefois n'auraient jamais osé aller piocher un livre dans le rayon jeunesse d'une librairie", conclut l'éditeur.

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