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"Un père à la plancha" : la cuisine, la folie et la mort dans le premier roman de Samuel Poisson-Quinton

"Un père à la Plancha" (L'arbalète - Gallimard) premier roman de Samuel Poisson-Quinton, est un récit à la première personne. Il raconte l'histoire d'un fils qui, à l'occasion de la mort de son père, tente de démêler le fil d'une relation distendue par la maladie mentale du père, un psychiatre "passé de l'autre côté". Une écriture vive, au service d'un premier roman touchant.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Samuel Poisson-Quinton, auteur d'"Un père à la plancha" (Gallimard - L'arbalète)
 (Samuel Poisson-Qiunton Autoportrait au Sténopé)
L'histoire : le narrateur est cuisinier depuis quelques mois au Palais des Burgers, un restaurant du centre de Toulouse,quand il apprend, sur le chemin du travail,  en pleine rue, que son père vient de mourir. La nouvelle ne l'arrête pas, et c'est les mains dans la cuisine que la nouvelle prend forme dans son esprit, et que lui reviennent les souvenirs de ce père interné dans un service psychiatrique depuis sept ans.

Les visites à Saint-Anne, les rendez-vous ratés. "Nous ne nous regardions pas franchement, pas dans les yeux, comme si nous avions des choses à nous reprocher". Puis une retraite un brin anticipée pour cause de suspension professionnelle, et l'installation à la campagne, dans la maison familiale, dont les murs sont couverts de portraits des ancêtres.
"Ces aïeux, grevant les murs des couloirs comme des dettes, roulaient les yeux dans leurs cadres ; c'en était effrayant". Sacha Guitry, Renoir, le père organise des séances de cinéma dans la cour du vieux colombier, et continue à faire des séjours en HP, cette fois dans l'hôpital psychiatrique de la région.

"Je me souviens de ses impatiences, de son élocution maladroite, de ses gestes au ralenti"

Réminiscences sur le parcours de ce père psychiatre passé de l'autre côté, des internements sporadiques jusqu'à l'enfermement définitif. Le père déraille. Il se prend pour un autre, envoie des paquets à ses proches, ou à des inconnus, remplis d'objets personnels, qui arrivent en miettes. Il fugue, ou encore vide la maison, brûle les photos, les meubles, les objets, entasse dans des sacs poubelle ce qu'il ne détruit pas…

Le fils, qui a suivi tout cela de loin, peut difficilement convoquer les souvenirs de cette fin de vie, alors il imagine, et entremêle à ces mises en scène des bribes de ce qui lui revient. "Je me souviens de ses impatiences, de son élocution maladroite, de ses gestes au ralenti". Il se souvient lui avoir donné du chocolat ou du tabac en cachette, et l'Odyssée d''Homère, "pour surmonter les épreuves".

"Fait le poirier"

Les visites qui s'espacent, les coups de fil, brefs, se perdent dans le silence. Les nouvelles n'arrivent plus que sous forme de sons lointains, entendus à travers le combiné, ou dans les comptes rendus de l'hôpital quand le père est mis à l'isolement. "Je crois déchiffrer dans la colonne "Données" : "Fait le poirier" – mais cela m'étonne beaucoup de mon père."

Samuel Poisson-Quinton est né en 1980, il a exercé divers métiers, d'ouvrier agricole à commis de cuisine, avant de réaliser des court-métrages, ou des documentaires, comme "Le Jeune homme et la mort", tourné dans une maison de retraite. Dans ce premier roman, il raconte avec pudeur l'étrange relation mise à distance par la maladie mentale du père, la mort, brutale, venant raviver ce qui s'était peu à peu étiolé. En filigrane, et par petites touches, une peinture de la société, qui se critalise en cuisine. 

Le romancier, la cuisine en chambre d'échos, entre dans le sujet de la mort par le biais des sensations, qui dominent, au moment de l'annonce du décès, puis il embarque avec lui le lecteur sur le chemin du deuil.

Un récit à la première personne. Simple. Assumé. Le roman est court, l'écriture est vive, quelques photos sont glissées dans les pages. Un témoignage touchant sur ce père resté jusqu'au bout un mystère. Un premier roman convainquant.
 
"Un père à la plancha", Samuel Poisson-Quinton
(Gallimard – L'arbalète – 128 pages – 14 €)

Lecture vidéo de Samuel Poisson-Quinton
Lundi 18 février 2019 - 20h00, à la Maison de la Poésie à Paris

Extrait

"Ces phrases flottaient ici et là sans que j'aie aucunement l'intention de les retenir ou d'en faire quoi que ce soit.
Elles se lovaient dans le rouge et le jaune, dans les traînées de sauce Worcestershire, dans les sillons au fond du cul-de-poule ; elle sifflaient dans les marmites, elles crépitaient dans l'huile, elles collaient sous la dent, comme su sucre cuit, et mes doigts collaient aux ustensiles de cuisine, aux spatules plates et coudées, aux poignées des sauteuses, aux pinceaux, aux cornes et aux cuillères.
Et tandis que s'élargissait au fur et à mesure des coups de fouet les cercles concentriques cireux et carminés de la sauce cocktail, j'ai vu l'onde se propager jusqu'aux rives de l'étang, faisant ploc ploc autour des pieds de l'enfant, de l'enfant canne à la main dans sa neuvième année, on ne sait pourquoi revisité à ce moment-là et sous cette forme-là, au moment même où le père meurt, de l'enfant pieds dans l'eau (j'ai nommé moi-même, donc), assis au bout de son ponton tout seul dans sa solitude, tout seul dans cette belle solitude sereine que le père lui a transmise, fixant à en bigler le bouchon flotteur orange, et imaginant son sans raison, sous la surface, tergiverser autour du ver les carpes miroitantes, les carpes mastodontes au goût de bourbe si prononcé qu'elles étaient immangeables.
Le juron d'un serveur m'arracha à ma rêverie.
Le Burger sans fromage, bon sang !
Le client de la première commande, mécontent, venait de renvoyer son plat.
Le chef me fusilla du regard."

"Un père à la plancha", page 26


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