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"Trois fois dès l'aube" d'Alessandro Baricco : deux personnages, trois rencontres, trois histoires
Dans son précédant roman "Mr Gwyn", Alessandro Baricco évoque l’existence d’un petit livre. Le facétieux romancier a eu envie d'écrire en vrai ce roman imaginaire. Résultat :"Trois fois dès l'aube" (Gallimard), trois histoires se déroulant au point du jour. Bonus à s'offrir même si l'on n'a pas lu "Mr. Gwyn".
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Temps de lecture : 4min
L'histoire : Deux personnages, trois rencontres, trois histoires, "Trois fois dès l'aube" : dans la première une femme ivre entre dans le hall d'un hôtel et y fait la connaissance d'un marchand de balances en voyage d'affaires. Dans la seconde, une très jeune fille arrive au petit matin dans un hôtel avec son amant plus vieux et violent. Dans le troisième, une femme policière d'âge mûr regarde un enfant dormir dans une chambre d'hôtel avant de l'embarquer pour un voyage vers la mer, dans sa voiture déglinguée et le confier à l'homme qu'elle n'a jamais cessé d'aimer.
"Trois fois dès l'aube" a d'abord eu une existence imaginaire, dans "Mr Gwyn" (Gallimard), le précédent roman d'Alessandro Baricco. Dans l'histoire, ce petit roman était écrit par un écrivain anglo-indien, Akash Narayan, pseudonyme du personnage principal, Mr Gwyn, un écrivain qui avait décidé d'arrêter d'écrire des romans. En préambule de "Trois fois dès l'aube", Alessandro Baricco confie qu'il a eu envie d'écrire ce petit roman en vrai, "un peu pour offrir un discret et lointain prolongement à Mr. Gwyn".
Le "Temps anormal" du récit
Le goût du romancier pour les jeux romanesques ne s'arrête pas là. Il avertit le lecteur : "ces pages racontent une histoire vraisemblable, qui toutefois ne pourrait jamais se produire dans la réalité". Et pour cause, ces trois histoires racontent la rencontre de deux personnages à des âges différents, mais dans un temps impossible. "Chaque rencontre est à la fois l'unique, la première, et la dernière. Ils peuvent le faire parce qu'ils vivent dans un Temps anormal", précise-t-il, ajoutant que c'est là un des privilèges des récits.
On retrouve dans "Trois fois dès l'aube" tout le talent du romancier : une construction ingénieuse et inattendue, l'évocation en quelques traits des destinées humaines, un peu d'onirisme et beaucoup de poésie... Ce court roman est un délicieux concentré de Baricco. Trois fois dès l’aube Alessandro Baricco, traduit de l'Italien par Lise Caillat (Gallimard – 121 pages – 13,50 euros).
Extrait :
"Essayez, dites-moi juste une chose à la rigueur.
Pourquoi ?
Je n'ai rien d'autre à faire. Je dois attendre que mes chaussures sèchent.
Ça c'est une bonne réponse. Que voulez-vous savoir exactement ?
Ce que signifie être fou de quelqu'un.
Vous ne le savez pas ?
Non.
La femme songea seulement qu'on comprend alors tous les films d'amour, on les comprend vraiment. Mais ça aussi, c'était difficile à expliquer. En plus de paraître un peu idiot. Sans le vouloir elle se remémora plein de moments qu'elle avait vécu à côté de l'homme qu'elle aimait, ou loin de lui, ce qui finalement revenait au même, et depuis bien longtemps. En général elle essayait de ne pas y penser. Mais là, ils lui revinrent en mémoire et elle se rappela en particulier une des dernières où ils s'étaient quittés, et ce qu'elle avait compris à cet instant – elle était assise à la table d'un café, et il venait de sen aller. Ce qu'elle avait compris, avec une certitude absolue, était que vivre sans lui serait, à jamais, sa tâche fondamentale, et que dès lors les choses se couvriraient systématiquement d'une ombre, pour elle, une ombre supplémentaire, même dans le noir. Elle se demanda si cela pouvait convenir pour expliquer ce que signifie être fou de quelqu'un, mais en levant le regard vers l'homme debout face à la fenêtre, sa petite valise à la main, elle le vit si élémentaire et déterminé qu'il lui sembla totalement insensé de se lancer dans une explication."
"Trois fois dès l'aube" a d'abord eu une existence imaginaire, dans "Mr Gwyn" (Gallimard), le précédent roman d'Alessandro Baricco. Dans l'histoire, ce petit roman était écrit par un écrivain anglo-indien, Akash Narayan, pseudonyme du personnage principal, Mr Gwyn, un écrivain qui avait décidé d'arrêter d'écrire des romans. En préambule de "Trois fois dès l'aube", Alessandro Baricco confie qu'il a eu envie d'écrire ce petit roman en vrai, "un peu pour offrir un discret et lointain prolongement à Mr. Gwyn".
Le "Temps anormal" du récit
Le goût du romancier pour les jeux romanesques ne s'arrête pas là. Il avertit le lecteur : "ces pages racontent une histoire vraisemblable, qui toutefois ne pourrait jamais se produire dans la réalité". Et pour cause, ces trois histoires racontent la rencontre de deux personnages à des âges différents, mais dans un temps impossible. "Chaque rencontre est à la fois l'unique, la première, et la dernière. Ils peuvent le faire parce qu'ils vivent dans un Temps anormal", précise-t-il, ajoutant que c'est là un des privilèges des récits.
On retrouve dans "Trois fois dès l'aube" tout le talent du romancier : une construction ingénieuse et inattendue, l'évocation en quelques traits des destinées humaines, un peu d'onirisme et beaucoup de poésie... Ce court roman est un délicieux concentré de Baricco. Trois fois dès l’aube Alessandro Baricco, traduit de l'Italien par Lise Caillat (Gallimard – 121 pages – 13,50 euros).
Extrait :
"Essayez, dites-moi juste une chose à la rigueur.
Pourquoi ?
Je n'ai rien d'autre à faire. Je dois attendre que mes chaussures sèchent.
Ça c'est une bonne réponse. Que voulez-vous savoir exactement ?
Ce que signifie être fou de quelqu'un.
Vous ne le savez pas ?
Non.
La femme songea seulement qu'on comprend alors tous les films d'amour, on les comprend vraiment. Mais ça aussi, c'était difficile à expliquer. En plus de paraître un peu idiot. Sans le vouloir elle se remémora plein de moments qu'elle avait vécu à côté de l'homme qu'elle aimait, ou loin de lui, ce qui finalement revenait au même, et depuis bien longtemps. En général elle essayait de ne pas y penser. Mais là, ils lui revinrent en mémoire et elle se rappela en particulier une des dernières où ils s'étaient quittés, et ce qu'elle avait compris à cet instant – elle était assise à la table d'un café, et il venait de sen aller. Ce qu'elle avait compris, avec une certitude absolue, était que vivre sans lui serait, à jamais, sa tâche fondamentale, et que dès lors les choses se couvriraient systématiquement d'une ombre, pour elle, une ombre supplémentaire, même dans le noir. Elle se demanda si cela pouvait convenir pour expliquer ce que signifie être fou de quelqu'un, mais en levant le regard vers l'homme debout face à la fenêtre, sa petite valise à la main, elle le vit si élémentaire et déterminé qu'il lui sembla totalement insensé de se lancer dans une explication."
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