"Peste et choléra" : Patrick Deville réveille un génie
Lorsque Patrick Deville nous présente Alexandre Yersin, c'est déjà un vieux monsieur, "presque chauve, la barbe blanche et l'oeil bleu". Qui s'apprête à quitter la France par le dernier avion autorisé à décoller du Bourget avant que la Wehrmacht n'en prenne le contrôle. Yersin rentre chez lui, dans son deuxième pays, à Nha Trang, en Indochine. Il y mourra quelques années plus tard, pendant l'occupation japonaise.
Au soir de sa vie, il est temps de revenir sur ce destin en cinémascope. Touche à tout de génie, auteur de quelques unes des plus grandes découvertes scientifiques de l’histoire, Yersin n'en a jamais fait qu'à sa tête. Quitte à s'égarer, revenir sur ses pas, reprendre à zéro. "L’histoire de la science, c’est le fruit de lacis de voies sans issues, une compilation d’échecs" écrit Deville. Son sujet est un zappeur avant l'heure, incapable de demi-mesure, forcément le meilleur dès qu'il s'immerge dans une nouvelle discipline.
Et nous voilà promenés entre l'Europe et l'Asie, dans des forêts vierges ou des terres ravagées par les épidémies. Deville n'en rajoute pas. Aucun dialogue inventé, rien de superflu, l'invraisemblable destin de Yersin se suffit à lui-même. "S'il n'y avait pas de difficiltés à vaincre, il n'y aurait pas de plaisir" résume l'aventurier dans ses correspondances. On se régale à le suivre. Tout est vrai. Et tellement romanesque.
L'écriture de Deville est affûtée, ramenée à l'essentiel. Ce récit vif, nerveux, précis, n'est jamais roboratif. Et pourtant, il s'en passe des choses avec Yersin. Une idée chasse l'autre, un projet cache toujours un suivant. Mais Deville fait régner l'ordre dans ce grand déballage. Yersin est mort en 1943. Il a trouvé un romancier-biographe à sa hauteur.
"Peste et choléra" de Patrick Deville (Seuil)
220 pages - 18 euros
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