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"Partiellement nuageux" : le roman lumineux d'Antoine Choplin sur l'après-dictature chilienne

Antoine Choplin, l'auteur de "La nuit tombée" (Prix France Télévisions 2012) publie "Partiellement nuageux" (Editions La fosse aux ours), récit d'une rencontre entre deux personnages écorchés par la dictature de Pinochet. Un court roman plein d'humanité et de mélancolie mêlée de joie, mettant sur le devant de la scène la puissante beauté de la nature, et la pudeur des sentiments.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Le romancier Antoine Choplin en 2012, sur le plateau de La Grande Librairie, France 5
 (BALTEL/SIPA)
L'histoire : Ernesto tourne autour du Palais de la Moneda, à Santiago du Chili. Manière de se remettre les idées en place, et de "garder un peu des choses d'avant. Celles qui ont compté et qui ont fichu le camp". En temps normal, Ernesto habite à Quidico, petite ville côtière située en territoire Mapuche, terre d'aborigènes, une nuit de voyage pour venir à Santiago. Il est astronome, et de son petit observatoire, il étudie les nuages de Magellan. Il est en visite à Santiago pour un rendez-vous à "la Fondation", dont il attend une subvention. Son télescope, qu'il a surnommé Walter, a besoin d'une nouvelle pièce, une "Lame de Schmidt".

A Quidico, Ernesto vit seul avec Le Crabe, son chat. Quand il vient à Santiago, il ne peut s'empêcher de faire une visite au musée de la Mémoire, où il observe la photographie de Paulina, sa fiancée d'autrefois, sur le mur des disparus. C'est dans ce musée qu'Ernesto rencontre Ema, une jeune femme elle aussi, mais d'une autre manière, hantée par les fantômes de la dictature chilienne…

Comme chez Giono

"Partiellement nuageux" offre un éclairage en clair-obscur, en creux, du drame des disparus de la dictature de Pinochet, qui a touché des milliers de familles chiliennes. La rencontre d'Ema et Ernesto peut-elle survivre à ce passé douloureux ? Peut-on se reconstruire après les déchirements d'une dictature ? C'est tout l'enjeu de ce court et émouvant roman, qui nous attache à Ernesto, un beau personnage à la Giono, perdu dans la contemplation du ciel ou le nez dans la poésie, connecté à la nature qui l'entoure, à l'univers, mais moins en phase avec le monde contemporain. Un être doux, farouche et poétique.

Antoine Choplin est un merveilleux peintre de la nature, autant que des sentiments. Le romancier fait usage de la métaphore de manière inattendue, toujours juste, décrivant avec une grande douceur la rencontre de deux êtres blessés, leurs silences, leurs douleurs tues, et l'amour, qui s'installe prudemment. Ema et Ernesto déambulent dans l'armée de totems de Diego, l'ami artiste mapuche de l'astronome. Avec les grandes sculptures, ils regardent vers l’Île aux Morts. Sauront-ils, comme les Mapuche, "faire face aux disparus", leur sera-t-il possible d'"aimer s'en souvenir" ? Sur cette terre balayée par les vents, l'espoir a germé.

Les mots comme des talismans

Chaque chapitre commence par une liste de mots en italique, comme un poème, des mots posés comme des petits talismans capables de donner vie aux personnages, à l'histoire, mots que l'on s'amuse ensuite à débusquer au fil de la lecture.

"Partiellement nuageux" est une œuvre de peu de mots, d'une grande pudeur, d'une grande humanité, comme les personnages qu'il met en scène. L'auteur de "La nuit tombée" (La Fosse aux Ours, Prix France Télévisions 2012), ou de "Cour Nord" (Le Rouergue, 2010), nous offre un nouveau roman remarquable.
 
"Partiellement nuageux", Antoine Choplin
(La fosse aux ours - 135 pages - 16 €)

Extrait 

Quand vous parliez d'embrasser Valparaiso, c'était ça que vous vouliez dire, n'est-ce pas, a dit Ema.
C'était ça, j'ai dit.
On a regardé encore.
Vous aimez bien voir loin, hein Ernesto.
J'ai haussé les épaules.
Forcément, c'est votre métier qui veut ça, a continué Ema.
Elle s'était tourné vers moi et m'avait attrapé doucement l'avant-bras avec ses deux mains.
Dans les télescopes, c'est pas le même lointain, j'ai dit. On embrasse pas, dans les télescopes. Ce qu'on observe, c'est des objets qui s'éloignent. Et en plus, on les voit comme ils étaient il y a pas mal de temps. Alors pour les embrasser, c'est raté.
Je me souviens qu'on m'avait expliqué ça, elle a dit. Le soleil qu'on voit est le soleil tel qu'il était huit minutes plus tôt.
Ben oui, j'ai dit.
Alors vous aimez regarder les choses comme elles étaient avant, c'est ça ?
Des fois oui, j'ai dit. Des fois je préfère les voir comme elles sont dans le présent. Souvent je veux les deux en même temps. C'est comme ça. C'est parce que pour ce qui est de mes yeux, vous pouvez me croire, Ema, je suis ni plus ni moins qu'un ogre.
L'ogre, ça l'a fait rire un peu.
Pour un ogre, vous ne m'avez pas tellement dévorée des yeux, il me semble. Vous regardez toujours ailleurs.
Quand même, j'ai marmonné sans cesser de scruter l'horizon.
Le gris du ciel se désagrégeait, la lumière prenait le dessus.
Embrasser, c'est exactement ça, j'ai poursuivi. C'est tenir en même temps ce qui est proche et ce qui est lointain. C'est ça embrasser.
Elle m'a lâché le bras. Elle a fait quelques pas. Je l'ai rattrapée.
Bientôt, je pourrai vous montrer la Tarentule dans le grand Nuage de Magellan. C'est un spectacle.
Vous n'avez pas autre chose qu'une araignée ?
Rien que j'aime autant que la Tarentule, j'ai dit. Faut voir ça, c'est une vraie pépinière à étoiles."

"Partiellement nuageux", Antoine Choplin, page 71-72 (La fosse aux ours)

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