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"Le bonheur national brut", le captivant roman générationnel à la française de François Roux
"Le bonheur national brut" est le deuxième roman de François Roux. Il y fait le récit des vies de quatre garçons âgés de 17 ans au moment de l'élection de François Mitterrand en 1981. Le romancier dresse quatre portraits en même temps qu'il scanne avec vivacité trente ans d'histoire de France. Un roman ambitieux de la rentrée littéraire 2014.
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L'histoire : Tout le monde s'en souvient : 10 mai 1981, 20 heures, apparition en cascade descendante sur l'écran de télévision du portrait du nouveau président de la République. François Mitterrand est élu. Frémissements : pour les uns promesse d'un monde nouveau, pour d'autres la panique. "Le pays était bel est bien coupé en deux", constate le narrateur, Paul Sévidan, 18 ans, est plus intéressé, lui, par l'apprentissage de sa sexualité que par "cette agitation fébrile autour du duel pour la présidence de la République". Il sait déjà qu'il aime les garçons et aussi que ce ne sera pas facile avec le père qu'il a.
Il est bien différent de son ami Rodolphe Lescuyer, fils de militant communiste, brillant élève et passionné de politique."Jamais on n'avait été aussi heureux. Jamais on n'avait autant espéré", c'est ainsi que Rodolphe, comme une bonne moitié de la France, descend dans les rues pour fêter l'évènement, bientôt rejoint par Paul, puis Tanguy, le troisième de la bande, de droite, mais heureux de cette liesse qui lui offre "une séance de pelotage assez sérieuse dans les toilettes pour dames de la mairie" avec Myriam Le Gac, qu'il convoitait en vain depuis la Seconde.
Le quatrième s'appelle Benoît, c'est l'artiste de la bande, élevé par son grand-père, le seul qui quelques jours plus tard apprendra sans surprise qu'il n'a pas son bac. Quatre garçons, tous bretons, tous différents, la vie devant eux, racontée dans une fresque de près de 700 pages, trois décennies d'existences, les doutes, les ambitions et les espérances des uns et des autres. Puis la vie qui cogne : désillusions politiques, crise économique, SIDA, divorces… Quand on retrouve les quatre personnages 30 ans plus tard, la vie a passé, ils ont changé, et la France aussi…
Trente ans d'histoire de France passée au crible
François Roux scanne la France des années 80, ses vinyles d'AC/DC qu'on écoute sur une chaîne HiFi, Rocard et la 2e gauche, le Palace et les paillettes, Bernard Tapie comme ange noir annonciateur d'une économie fondée sur la finance, l'apparition du SIDA… Il décrit ces années où l'économie était une affaire d'hommes et pas de finances, où la politique était guidée par les convictions et pas encore un objet de marketing où il s'agit pour les hommes politiques d'"augmenter sa "surface de visibilité". Un temps où les nouvelles méthodes de management n'avaient pas encore fait des ravages et où on ne "shootait" pas encore de mail…
"Le bonheur national brut" est un roman sur la jeunesse, d'abord, ses espérances et ses batailles. Sur la maturité ensuite, ses renoncements, ses relâchements, ses abandons. Comment vivre heureux ? Le bonheur est-il toujours là où on le cherche ? Qu'est-ce que "réussir sa vie" ? Le roman de François Roux pose toutes ces questions dans une perspective économique et politique autant que dans les trajectoires individuelles de ses personnages, les questions d'une génération de "la crise, du chômage, de la surconsommation, de la mondialisation, de la croissance molle, de l'argent roi soudain devenu fou (…) avant tout les enfants du doute et de l'incertitude".
Du désenchantement au bonheur
Trente ans et 700 pages plus tard, reste cette interrogation : l'injonction au bonheur, valeur suprême et obligatoire de notre temps, n'est-elle pas finalement "ce qui nous fait le plus souffrir" ? "La teneur de nos rêves, ce qui en constitue la matière secrète et brûlante, ne vient-elle pas de ce qui échappe à notre volonté ? (…) Nous devrions être les promeneurs de nos vies au lieu d'en être des marcheurs entêtés", conclut Paul, le narrateur.
Le parti-pris de François Roux, fulgurante ellipse, de coller le récit de la jeunesse à celui de l'âge mûr, est terriblement efficace. Vertigineux télescopage, qui met en évidence le choc entre les aspirations de la jeunesse et ce que la vie en a fait.
C'est drôle, c'est vif, c'est bien documenté. Au fil des années, le récit se pose, devient moins drôle, moins vif, à l'image de cette France qui se crispe, qui perd son énergie, qui se durcit.
Ce roman d'apprentissage à quatre voix est une photographie saisissante d'un monde en mutation. On s'attache autant aux destins des quatre garçons devenus des hommes qu'aux soubresauts de la société.
Un roman générationnel à la française. Captivant. Le bonheur national brut François Roux (Albin Michel – 680 pages – 22,90 euros)
Extrait :
Le pays était bel et bien coupé en deux. Depuis plusieurs mois – et dans la France entière –, on se répandait en injures, en hypothèses, en pronostics avec, à gauche comme à droite, la même ferveur et une égale mauvaise foi.
Moi, Paul Savidan, dix-sept ans et sept mois, je n'attendais rien de particulier de cette élection présidentielle. Même en état de voter, jamais je ne me serais soumis à ce qui m'apparaissait comme un exercice assommant. La chose politique, je la tenais éloignée dans une espèce de vague dégout et autant de méfiance. Un sentiment que j'aurais été bien en peine de vous justifier, mais auquel je m'accrochais contre vents et marées, ce qui dans cette région de Bretagne où je vivais, aurait pu passer pour un véritable exploit.
François Roux est réalisateur de films publicitaires, de documentaires et de vidéo-clips. Il a également réalisé plusieurs courts métrages de fiction. Il est par également auteur et metteur en scène de théâtre : il a écrit et mis en scène "Petits Meurtres en famille "(2006) et est l'auteur de deux autres pièces, "À bout de souffle" (2007) et "La Faim du loup" (2010). Il a publié "La Mélancolie des loups" en 2010 aux Éditions Léo Scheer. "Le bonheur national brut" (Albin Michel) est son deuxième roman. (Source Albin Michel)
Il est bien différent de son ami Rodolphe Lescuyer, fils de militant communiste, brillant élève et passionné de politique."Jamais on n'avait été aussi heureux. Jamais on n'avait autant espéré", c'est ainsi que Rodolphe, comme une bonne moitié de la France, descend dans les rues pour fêter l'évènement, bientôt rejoint par Paul, puis Tanguy, le troisième de la bande, de droite, mais heureux de cette liesse qui lui offre "une séance de pelotage assez sérieuse dans les toilettes pour dames de la mairie" avec Myriam Le Gac, qu'il convoitait en vain depuis la Seconde.
Le quatrième s'appelle Benoît, c'est l'artiste de la bande, élevé par son grand-père, le seul qui quelques jours plus tard apprendra sans surprise qu'il n'a pas son bac. Quatre garçons, tous bretons, tous différents, la vie devant eux, racontée dans une fresque de près de 700 pages, trois décennies d'existences, les doutes, les ambitions et les espérances des uns et des autres. Puis la vie qui cogne : désillusions politiques, crise économique, SIDA, divorces… Quand on retrouve les quatre personnages 30 ans plus tard, la vie a passé, ils ont changé, et la France aussi…
Trente ans d'histoire de France passée au crible
François Roux scanne la France des années 80, ses vinyles d'AC/DC qu'on écoute sur une chaîne HiFi, Rocard et la 2e gauche, le Palace et les paillettes, Bernard Tapie comme ange noir annonciateur d'une économie fondée sur la finance, l'apparition du SIDA… Il décrit ces années où l'économie était une affaire d'hommes et pas de finances, où la politique était guidée par les convictions et pas encore un objet de marketing où il s'agit pour les hommes politiques d'"augmenter sa "surface de visibilité". Un temps où les nouvelles méthodes de management n'avaient pas encore fait des ravages et où on ne "shootait" pas encore de mail…
"Le bonheur national brut" est un roman sur la jeunesse, d'abord, ses espérances et ses batailles. Sur la maturité ensuite, ses renoncements, ses relâchements, ses abandons. Comment vivre heureux ? Le bonheur est-il toujours là où on le cherche ? Qu'est-ce que "réussir sa vie" ? Le roman de François Roux pose toutes ces questions dans une perspective économique et politique autant que dans les trajectoires individuelles de ses personnages, les questions d'une génération de "la crise, du chômage, de la surconsommation, de la mondialisation, de la croissance molle, de l'argent roi soudain devenu fou (…) avant tout les enfants du doute et de l'incertitude".
Du désenchantement au bonheur
Trente ans et 700 pages plus tard, reste cette interrogation : l'injonction au bonheur, valeur suprême et obligatoire de notre temps, n'est-elle pas finalement "ce qui nous fait le plus souffrir" ? "La teneur de nos rêves, ce qui en constitue la matière secrète et brûlante, ne vient-elle pas de ce qui échappe à notre volonté ? (…) Nous devrions être les promeneurs de nos vies au lieu d'en être des marcheurs entêtés", conclut Paul, le narrateur.
Le parti-pris de François Roux, fulgurante ellipse, de coller le récit de la jeunesse à celui de l'âge mûr, est terriblement efficace. Vertigineux télescopage, qui met en évidence le choc entre les aspirations de la jeunesse et ce que la vie en a fait.
C'est drôle, c'est vif, c'est bien documenté. Au fil des années, le récit se pose, devient moins drôle, moins vif, à l'image de cette France qui se crispe, qui perd son énergie, qui se durcit.
Ce roman d'apprentissage à quatre voix est une photographie saisissante d'un monde en mutation. On s'attache autant aux destins des quatre garçons devenus des hommes qu'aux soubresauts de la société.
Un roman générationnel à la française. Captivant. Le bonheur national brut François Roux (Albin Michel – 680 pages – 22,90 euros)
Extrait :
Le pays était bel et bien coupé en deux. Depuis plusieurs mois – et dans la France entière –, on se répandait en injures, en hypothèses, en pronostics avec, à gauche comme à droite, la même ferveur et une égale mauvaise foi.
Moi, Paul Savidan, dix-sept ans et sept mois, je n'attendais rien de particulier de cette élection présidentielle. Même en état de voter, jamais je ne me serais soumis à ce qui m'apparaissait comme un exercice assommant. La chose politique, je la tenais éloignée dans une espèce de vague dégout et autant de méfiance. Un sentiment que j'aurais été bien en peine de vous justifier, mais auquel je m'accrochais contre vents et marées, ce qui dans cette région de Bretagne où je vivais, aurait pu passer pour un véritable exploit.
François Roux est réalisateur de films publicitaires, de documentaires et de vidéo-clips. Il a également réalisé plusieurs courts métrages de fiction. Il est par également auteur et metteur en scène de théâtre : il a écrit et mis en scène "Petits Meurtres en famille "(2006) et est l'auteur de deux autres pièces, "À bout de souffle" (2007) et "La Faim du loup" (2010). Il a publié "La Mélancolie des loups" en 2010 aux Éditions Léo Scheer. "Le bonheur national brut" (Albin Michel) est son deuxième roman. (Source Albin Michel)
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