"L'enfant qui mesurait le monde", de Metin Arditi : une fable émouvante autour d'un jeune autiste
Au fin fond du golfe Saronique, à Kalamaki, une île grecque imaginaire ravagée par la crise, Maraki se lève à l'aube pour gagner sa vie. Elle exerce le dur métier de pêcheur et élève son fils autiste, que tout changement angoisse. Pour que le monde devienne enfin cohérent, l'enfant tente de lui donner un ordre par les chiffres.
Tous les îliens protègent le jeune autiste, qui est un des leurs
Chaque matin, Yannis calcule le nombre de kilos de poissons ramenés au port par les différents bateaux, et les écarts et variations entre chaque jour. Et chaque soir, à 20 heures pile, il compte précisément le nombre de clients du restaurant Stamboulis. C'est une des plus belles scènes du livre : lorsque l'enfant arrive à proximité de la terrasse, le patron du café crie un "stop" retentissant. Et tous ceux qui sont attablés se figent, pour que Yannis puisse accomplir ce rituel qui le rassure : les compter. Car tous les îliens protègent cet enfant différent, qui est un des leurs.Une amitié qui tient à un amour commun de la magie mathématique
Le tout se joue sur fond de crise grecque, acculée à une austérité dramatique par ses créanciers internationaux (Union européenne, FMI). Par petites touches, le romancier évoque l'histoire tourmentée de la Grèce, des occupations successives (par l'empire ottoman, par l'Italie, par l'Allemagne nazie pendant la seconde guerre mondiale) à l'exil des Grecs d'Asie Mineure contraints de quitter la Turquie.
Le portrait empathique d'un enfant autiste révulsé par le désordre du monde
Comment ne voyons-nous pas, comme le dit un des personnages du livre, que ces enfants-là portent en eux "la douleur des hommes", avec leur terreur du changement, leur "immense solitude" et leur "impossibilité désespérante à s'ouvrir à l'autre" ? Ce portrait empathique d'un enfant autiste révulsé par le désordre du monde questionne, en creux, nos certitudes de neurotypiques comme autant de failles.
"L'enfant qui mesurait le monde", de Metin Arditi
(Grasset, 300 pages, 19 euros)
Extrait : "Après l'accouchement, elle avait vécu deux ans le cœur suspendu. Yannis mon trésor, Yannaki mon oiseau, Yannouli mon miel, Yannakaki mon gâteau... Quand vas-tu me regarder ? Le regard ne venait pas, mais l'enfant était si doux... Ils en riaient avec Andreas. Comment avaient-ils réussi le miracle d'avoir un enfant calme, eux qui étaient si impatients ?"
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