"L'art français de la guerre" d'Alexis Jenni, un roman convaincant
Le 1er septembre, son auteur, Alexis Jenni, un Lyonnais de 48 ans, devait faire sa rentrée des classes comme prof de sciences naturelles.
Et le soir, il devait faire ses débuts télé comme invité du premier plateau de La Grande Librairie (en compagnie d'Amélie Nothomb, Sorj Chalandon et David Foenkinos).
Le Monde, Le Nouvel Observateur, L'Express lui ont déjà consacré des papiers dithyrambiques. Alexis Jenni, qui se définit comme "on ne peut plus normal", est le premier surpris de cette "explosion médiatique" : "La gloire, à mon âge, c’est très sympa. A 25 ans, je me serais pris pour le maître du monde. Maintenant, c’est la chantilly sur la glace... Mais ce qu’il y a de bon, c’est la glace !"
Cinq ans d'écriture
Que raconte ce roman de 600 pages qui alterne ironie (« en 1939, la France était prête à affronter dans d’excellentes conditions les batailles de 1915") , tendresse et scènes d’horreur ? L’amitié entre un jeune homme, le narrateur, et son maître de dessin, Victorien Salagnon. Cet ancien officier des guerres coloniales, qui a trouvé dans un crayon et du papier sa planche de salut, raconte à son disciple les guerres sales qu'il a menées.
Alexis Jenni, qui avait essuyé "15 ou 17 refus" d'éditeurs pour une première oeuvre en 2005, a mis cinq ans à rédiger celle-ci. "Cinq ans tranquille. J’étais désespéré, je me disais, de toute façon, ça ratera."
" J’ai eu l’impression d’ouvrir un grenier abandonné"
Pour écrire "ce roman d'aventures", il a moins puisé son inspiration dans les livres d’histoire que dans les reportages d’Yves Courrière ("La guerre d'Algérie") ou dans ce qu’il appelle la "banlieue de la culture": les témoignages à comptes d’auteur, les fonds oubliés des bibliothèques, les bouquinistes.
"J’ai eu l’impression d’ouvrir un grenier abandonné. J’ai fait une recherche de romancier amateur d’histoire et de rêverie. Comme le facteur Cheval, si je trouvais un beau caillou, je le prenais. Ce qui m’intéressait, c’était le vécu."
Vécues, rêvées ou cauchemardées, certaines scènes du livre - les soûleries dans les bars d’Hanoï ou de Saïgon, les têtes de combattants vietminh fichées sur des piques, les tortures pratiquées par les paras dans des villas mauresques d'Alger - risquent de marquer durablement le lecteur. Tout comme, en contrepoint, les réflexions sur le dessin, pratiqué par l'auteur en amateur. Un art du silence, de la présence et du souffle.
"Ce que j'entends sur la nationalité me paraît un peu dingue"
Mais ce récit est aussi - surtout - une interrogation sur la transmission ."Je me suis demandé ce qui se transmet de génération en génération. Ceux qui avaient 20 ans dans les années 60 comme mon père ou dans les années 40 comme mon grand-père ont peu parlé des guerres coloniales. L’idée, c’est de l’ordre de la psychanalyse : quand on connaît son passé, on va mieux. Je ne suis pas proposeur de solution, mais ce que j’entends aujourd'hui sur la nationalité me paraît un peu dingue."
"Cette langue qui est mon souffle"
Et de poursuivre : "Je me suis demandé ce qu'était être français. Pour moi, c’est le culte de la langue, de la littérature. La langue est fondamentale dans cette identité. Prendre soin de cette langue me joint aux autres Français", quel que soit leur accent. "Jamais", dit le narrateur du roman, "je ne pourrais partir ailleurs, jamais je ne pourrai respirer sans cette langue qui est mon souffle. »
Si ce livre d’un inconnu a tant convaincu, c’est qu’il offre un triple bonheur d’écriture, de construction romanesque et d’humanité. Et qu'il rappelle des vérités élémentaires : "classer" (en races, en religion...) "n’est pas penser". Curieusement, ce livre qui égrène tant d'atrocités ouvre une porte lumineuse sur l’avenir.
-> "L'art français de la guerre" Alexis Jenni (Gallimard, 21 euros)
-> "Voyages pas très loin. j'aime bien aller dans Lyon", le blog de dessins d'Alexis Jenni.
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