"Juste avant l'oubli" d'Alice Zéniter : satire, mélancolie et humour noir
Comment va la jeune romancière Alice Zeniter ? En pleine forme : à 29 ans, elle publie chez Flammarion son quatrième roman, "Juste avant l'Oubli". L'action se déroule pour l'essentiel dans une île perdue des Hébrides (Ecosse), désertée depuis longtemps (l'Oubli, avec une majuscule, désigne cette désertion). N'y réside en temps normal qu'un seul habitant, Jock. Il sert de gardien de la mémoire d'un auteur culte de polar, Galwin Donnell, qui vécut là des années.
Un colloque littéraire qui va réserver bien des surprises
C'est sur ce bout de lande venteuse que Franck, infirmier, le début de la trentaine, rejoint Émilie, la femme qu'il aime. Thésarde, sa compagne organise dans l'île le colloque universitaire annuel consacré à Galwin Donnell. A dire vrai, Franck se soucie peu de cet auteur mythique de romans noirs relevés de quelques scènes sexuelles pimentées. Bien d'autres questions le tourmentent, autrement pressantes.
Émilie, qu'il n'a pas vu depuis des mois accèdera-t-elle enfin à son désir d'enfant ? Et quelle sera sa place à lui, Franck, déjà handicapé par un prénom qu'il juge commun et un métier peu considéré, dans un colloque réservé à de prestigieux professeurs d'université ?
Un roman ironique qui lorgne parfois du côté de David Lodge
Un colloque à l'ambiance survoltée, car l'écrivain émoustille la fine fleur de la recherche littéraire. Les multiples perversions que Donnell attribue à son héros récurrent - un commissaire, évidemment- étaient-elles aussi celles de l'auteur ? se demande doctement une assistance multidiplômée. Et les professeurs de gloser sans fin : l'écrivain était-il fétichiste, pédophile, pire encore ?
Au milieu de ces joutes intellectuelles, Franck se demande avec angoisse s'il va ou non perdre Émilie qui flirte avec Stafford, le meilleur spécialiste de Donnell. Leur passion sombrera-t-elle, elle aussi , dans cet Oubli où tombent les îles abandonnées ? Isolé, il se lie avec Jock, le gardien. Le seul qui ait vraiment connu le maître du roman noir Donnell. Et qui en sait peut-être bien plus long que tous ces universitaires pédants.
Ce roman ironique à l'impeccable construction évoque parfois le romancier britannique David Lodge de "Jeu de société". Même satire sans merci des tics universitaires, à grand renfort de concours d'érudition et d'exégèse verbeuse qui tournent à vide. Mais "Juste avant l'Oubli" est aussi -surtout- brillante interrogation brillante sur l'amour, l'écriture et les ressorts de la fiction. Un récit virtuose, cérébral et mélancolique.
Juste avant l'Oubli d'Alice Zéniter
(Flammarion, 19 euros, 290 pages)
Extrait : "Les gens s'imaginent que la carrière universitaire est sérieuse, qu'elle a des bases intellectuelles solides, que l'on n'y vend pas du glamour. Qu'elle est, si vous voulez, aux antipodes d'une carrière d'actrice à Hollywood, par exemple. Mais c'est faux. Il s'agit exactement de la même chose. Il s'agit de produire des théories qui font bander les gens. Et le jour où vous n'arriverez plus à faire bander les gens, vous serez finis. Voilà".
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