"Je me suis bien amusé, merci" de Stéphane Guillon... Et nous ?
L’embauche
C’est le directeur de France Inter, Frédéric Schesinger qui lui propose dans un restaurant asiatique très select, d’intégrer la radio : « La matinale d’Inter c’est quelque chose d’énorme, un million cinq cent mille auditeurs tous les matins ! Tu ne peux pas t’en rendre compte, mais cela va bouleverser ta carrière à un point que tu ne soupçonnes pas ».
A l’époque, le président de Radio France, Jean-Paul Cluzel ne connait pas Guillon. Lui qui souhaitait remplacer Guy Carlier par un humoriste beaucoup plus consensuel, ne va pas tarder à déchanter.
L’angoisse de la feuille blanche, la traversée dès potron minet de la rédaction déserte, la satisfaction de se voir en affiches dans tout Paris esquissant un bras d’honneur. Guillon revit les vertiges et les montées d’adrénaline d’une vie d’infos sous perfusion. : « Pourquoi suis-je venu si tôt ? Carlier arrivait aux aurores et écrivait son papier sur place après avoir parcouru la presse du jour. Une véritable aisance… J’en suis personnellement incapable, je suis un laborieux, mon papier est écrit la veille, je m’endors papier écrit ! ».
Guillon décrit aussi l’accueil digne d’une star dans une rédaction qu’il divertit « même s’il y a un petit côté éléphant dans un magasin de porcelaine ».
Guillon reconnait dès ses premières chroniques « avoir un côté sale gosse… qui adore allumer un pétard puis assister avec gourmandise au bordel qu’il a déclenché ». Mais il semble surpris comme un enfant de chœur que son image soit brouillée. Quand il fait dire à Laurent Fabius à propos de Martine Aubry tout juste élue Premier secrétaire du Ps « Si on la laisse faire, le petit pot à tabac, elle va prendre la grosse tête ! », il ne comprend pas qu’aujourd’hui encore on lui reproche d’avoir critiqué une femme politique à travers son physique.
On s’attend en ouvrant le livre à assister à une mise à mort de Sarkozy, la passe d’armes la plus saignante concerne un journaliste inconnu du grand public, Emmanuel Berretta, responsable des pages médias au Point, surnommé « Le petit calibre », toujours à l’affut d’un commentaire fielleux sur Guillon : « Mieux qu’un dictaphone : Le Berretta ! Dévoué corps et âme, le doigt sur la couture du pantalon, toujours prêt à servir. Un scoop à faire passer, un compte à régler, une médisance sur la concurrence : « Allo , Berreta ! » Sorte de Pizza 30 de la saloperie ».
DSK à France Inter le 17 février 2009
Le sketch de Guillon sur le directeur du FMI, « la braguette la plus rapide du Ps », marque une rupture, « sonne la fin de la récré ». La station exprimera des excuses à un DSK furieux, Guillon sera mis dès lors sous surveillance. Ce statut de vilain petit canard l’enchante, c’est une pub gratuite, qui lui donne des ailes… Quand Sarko trouve son travail « injurieux, vulgaire et méchant », là c’est l’extase.
Guillon : le cadeau empoisonné de la nouvelle direction
« Je me suis biens amusé merci » intéressera surtout le microcosme parisien. Les coulisses de la gue-guerre entre Guillon et Jean-Luc Hess (qui a remplace Cluzel à la tête de Radio France) n’est pas de nature à passionner les foules. Non plus, celle de la haine que voue bientôt Guillon au nouveau directeur d’Inter, Philippe Val, ancien de Charlie Hebdo et surtout ami de Carla. « J’espère que personne ne me voit dîner avec Val qui me parle du couple Sarkozy avec des trémolos dans la voix, en évoquant deux enfants perdus…La honte ! »
Désormais plus d’affiches, pour Guillon qui est convaincu que Val et Hess ont reçu l’ordre de se débarrasser de lui. En attendant Guillon continue de se délecter de l’actualité : Jean Sarkozy pressenti pour diriger l’EPAD, Frédéric Lefebvre, déclarant que son livre préféré est Zadig et Voltaire…
Pour Guillon un simple travail de « mouche du coche ». Lorsque Nicolas Hulot dénoncera une chronique au vitriol, Hees, selon Guillon, lui proposera de porter plainte. Un couteau dans le dos pour le satiriste.
C’est dans ce climat de suspicion et d’isolement que le trublion passe sa dernière saison. Il sait que ses jours sont désormais comptés. Pas de doute, il fait l’objet d’un contrat ! « Peu après mon renvoi d’Inter alors que j’interrogeais Frédéric Schlesinger sur les véritables raison de notre éviction à Didier Porte et à moi-même, il eut cette réponse évidente : « Deux millions ! Deux millions d’auditeurs…à un an et demi d’une présidentielle, c’est une raison amplement suffisante pour vous virer ! ».
Même ses patrons font l’objet de ses chroniques (la légion d’honneur de Jean-Luc hess…), mais la polémique suscitée par celle sur Eric Besson sera la plus violente. « Les yeux de fouines, un menton fuyant, un vrai profil à la Iago » signe son dernier printemps à France Inter.
Rien de nouveau sous le soleil, l’eau à coulé sous les ponts…mais on lit sans ennui « Je me suis bien amusé merci ».
Guillon souligne à raison la frousse des politiques et leur emprise sur les médias publiques. Mais lorsque Gerald Dahan, pressenti pour le remplacer, l’appelle pour l’en informer, le comique lui répond que « jamais il n’aurait accepté de remplacer des camarades virés dans les conditions ou Porte et lui même l’avaient été ». Cette fois on ne peut s’empêcher de sourire : deux ans plus tôt Guillon n’avait pas eu les mêmes scrupules en remplaçant Guy Carlier. Mauvais joueur, Guillon ?
"Je me suis bien amusé, merci" de Stéphane Guillon (Editions du Seuil) . Sortie le 8 mars.
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