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"Algèbre" : l'incroyable trajectoire d'un mathématicien de génie, Alexandre Grothendieck

Cette bio romancée ressuscite la fascinante trajectoire d'Alexandre Grothendieck (1928-2014). Né -et resté la moitié de sa vie- apatride, ce fils d'anarchiste russe a marqué l'histoire des mathématiques avant de finir sa vie en quasi-ermite dans un village pyrénéen, oublié de tous.
Article rédigé par franceinfo
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Les mathématiciens  Alexandre Grothendieck (à gauche) et Laurent Schwarz (à droite)
 (HO - / IHES / AFP)

Quand il s'est éteint le 13 novembre 2014, à l'hôpital de Saint-Girons, qui se souvenait encore d'Alexandre Grothendieck  ? Ce mathématicien génial était né 86 ans plus tôt  à Berlin, en 1928, d'une militante allemande d'extrême-gauche, Johanna Grothendieck, et d'un anarchiste russe, Sacha Schapiro. Cette destinée hors du commun a inspiré un prof de maths parisien de 46 ans, Yan Pradeau. Il en a tiré "Algèbre", 140 pages vivantes et accessibles sur une destinée d'exception.

Surdoué, Alexandre apprend en se jouant le français, le latin ou les maths

Comment décrire cette enfance berlinoise d'une extrême pauvreté ? Les parents d'Alexandre vivent d'expédients avant de fuir en France le nazisme. En vain : le père est déporté dès le début de la seconde guerre mondiale à Auschwitz, la mère et le fils sont placés dans un camp où s'entassent prisonniers politiques et droit commun. Très tôt, l'enfant fait preuve de dons étonnants. Une détenue lui donne-t-elle la définition d'un cercle ? il en déduit une valeur approchante de Pi. Tandis que sa mère est envoyé au sinistre camp de Gurs, dans les Pyrénées-Atlantiques, lui a la chance d'être emmené à Chambon-sur-Lignon, foyer de la résistance qui accueille des enfants réfugiés.

Surdoué, Alexandre apprend en se jouant le français, le latin ou les maths. A l'école, il ignore les codes et questionne sans relâche, d'égal à égal. Mais il faut attendre qu'il postule à une bourse, après une licence de maths à Montpellier, pour qu'un inspecteur avisé repère un "joyau pur" et l'envoie suivre les cours de Normale Sup à Paris. Le groupe Bourbaki (jeunes mathématiciens iconoclastes à l'origine des maths dites modernes) le teste en lui soumettant quatorze problèmes ouverts ? "Deux mois plus tard, Shourik (le surnom d'Alexandre) revient avec la moitié des réponses". Quatre mois de plus lui suffisent pour tout résoudre.

Dans le fatras hippie, l'amour libre et le végétarisme lui conviennent plus que la nonchalance

Son sens de l'absolu, qui le porte si haut dans son art, la géométrie algébrique, le dessert dans la vie quotidienne : impossible de recruter au CNRS cet apatride antimilitariste qui a refusé de prendre la nationalité française pour n'avoir pas à faire son service militaire. Le chercheur finit par être nommé à l'IHES (Institut des Hautes Etudes Scientifiques), un centre de recherche fondamentale en mathématiques installé à Bures-sur-Yvette (dont il claquera la porte quelques années plus tard parce que l'institut est financé à 5% par la Défense).

Les années 60 glissent sur ce savant Cosinus "qui n'a pas la télé, n'écoute pas la radio, ne lit pas le journal", et ne va pas chercher en 1966 sa médaille Fields - l'équivalent du Nobel en mathématiques- à Moscou. Deux ans plus tard, mai 68 le laisse abasourdi : aux yeux de ses étudiants, il incarne désormais l'autorité haïe. Le savant se met au goût du jour : maison ouverte à tous, vie en communauté. Mais, dans le fatras hippie, l'amour libre et le végétarisme conviennent davantage  à ce travailleur forcené que la nonchalance.

Quand l'intransigeance vire-t-elle au refus du monde ?
 
Avec l'arrivée des années 70, cet idéaliste s'investit corps et âme dans l'écologie, et dénonce avec virulence une société industrielle qui "partage avec la cellule cancéreuse" la philosophie "de la croissance illimitée". Quand l'intransigeance vire-t-elle au refus du monde ? Délaissant enfants et compagnes (à moins que ce ne soit l'inverse), il part dans le sud de la France et rédige un pavé de mille pages de mémoires refusé par les éditeurs. A 60 ans passés, il se retire dans le petit village des Pyrénées où il mourra un quart de siècle plus tard, après avoir rompu avec tous ses proches.

De cette fin, Yan Pradeau, tributaire de ses sources livresques et numériques (notamment le Grothendieck Circle), ne parle guère. Mais il avoue avoir été subjugué par ce mathématicien posant des questions essentielles, et irrésolues, sur le rapport d'un chercheur de haut vol au pouvoir. Une passion qu'il a su communiquer dans cette biographie dense et légère.

"Algèbre", Yan Pradeau
Allia, 144 pages, 7,50 euros


Extrait "Avant de partir, sa mère nous a demandé trois choses : Ne lui parlez jamais de Dieu, ne l'envoyez pas à l'école, ne lui coupez pas les cheveux !".

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