Prix littéraires : un an après, Sorj Chalandon se souvient
Sorj Chalandon est né en 1952, il a été 34 ans journaliste à Libération avant de rejoindre Le Canard Enchaîné. Ses reportages sur l’Irlande du Nord et le procès Klaus Barbie lui ont valu le Prix Albert-Londres en 1988. Il a publié, chez Grasset, Le Petit Bonzi (2005), Une promesse (2006, prix Médicis), Mon traître (2008) et La légende de nos pères (2009).
[ INTERVIEW ]
- Vous avez reçu deux prix le prix Médicis en 2006 et le grand Prix du roman de l’académie française l'année dernière, est-ce que vous vous souvenez du moment où vous avez appris que vous aviez le prix de l’Académie française et ce que vous avez ressenti à ce moment-là? Avec le recul, un an après, comment vous souvenez-vous de cet événement?
- Le Grand Prix du roman de l'Académie française était un prix qui m'impressionnait. Rien que l'intitulé. J'imaginais cette assemblée verte et or penchée sur les livres choisis par elle, dans le silence d'une grande bibliothèque, chuchotant ici un compliment, là une critique, avec la retenue qui sied à la Coupole. Lorsque "Retour à Killybegs" a été porté sur la première liste de l'Académie, j'ai été stupéfait. Si les Académiciens ont souvent l'élégance de remercier l'auteur qui leur adresse son ouvrage avant parution, aucun de mes romans n'avait jamais été remarqué par eux. "Killybegs?" Une histoire de gueux, de colère, de guerre infinie, de courage et de douleur. Un roman sur la trahison. Je me demandais comment ces combattants en haillons avaient pu se faufiler Quai Conti.
Lorsque j'ai figuré sur la deuxième liste, j'ai pris cela pour un hommage à ces femmes, ces hommes, cette "terrible beauté" dont parlait Yeats. A l'annonce du Prix, c'est à eux que j'ai pensé tout d'abord. Notamment à Bobby Sands, gréviste de la faim irlandais mort en prison pour la dignité. Lorsque j'ai été reçu - je parle du soir du Prix, non de la réception solennelle - je me suis retrouvé entouré par une joyeuse assemblée. Helène Carrère d'Encausse en tête, qui prend volontiers le bras, Dominique Fernandez et sa chaleur, Erik Orsenna et son sourire. L'inverse du compassé, du gris, de tout ce que l'on croit. "Les gens dont vous nous parlez dans ce roman sont désormais immortels", a glissé l'un de mes hôtes. Et je me suis retourné pour cacher mon émotion. Un an plus tard, cette beauté est intacte. Au-delà de l’histoire irlandaise, cette autre partie de ma vie, des femmes et des hommes ont primé une langue. Pour un ancien bègue, respectueux des mots parce qu'en guerre avec eux, cette reconnaissance fut un immense honneur. Un mot que je respecte.
- Qu'est-ce que ça représente un prix pour un écrivain ? Comment vous, Sorj Chalandon, avez-vous reçu vos prix (comme une consécration, un bon point, une reconnaissance, l'équivalent d'une médaille, un encouragement?)
Pour moi, c'est d'abord une image: un jury s'est penché sur un livre et l'a choisi. C'est bouleversant de voir son texte primé, alors que tant d'autres romans étaient en lice. C'est donc une reconnaissance. Mais aussi, un engagement vis-à-vis de ceux qui vous l'ont donné. " Et maintenant, ne nous décevez-pas", avait souri madame la Secrétaire perpétuel, après avoir proclamé le Grand prix du roman de l'Académie française. Aujourd'hui je me suis remis à l'écriture. Et cet encouragement fraternel ne me quitte pas.
- Est-ce que cela a changé quelque chose dans votre vie d'écrivain et dans votre vie ?
Dans ma vie, rien n’a changé. Mais le livre a connu un accroissement des ventes, évidemment. Qu’on en accepte l’existence ou qu’on le rejette, le prix littéraire reste prescripteur.
- Vous avez déjà reçu beaucoup de prix, y a-t-il un risque d’addiction ?
C’est vrai, j'ai eu la chance d'être primé. Prix Albert-Londres en tant que journaliste. Prix Médicis, Simenon, Joseph Kessel et d’autres encore pour l’auteur que je suis, mais ce bonheur répété ne peut conduire à l'addiction. C'est-à-dire à une conduite de dépendance qui a de graves conséquences sur la santé. Le seul risque, c’est d’être tétanisé par l’obtention d’un prix. Se remettre à écrire est la façon la plus radicale d’éviter cet écueil.
- Plus généralement, que pensez-vous des prix littéraires?
J'aime l'idée qu'un texte soit reconnu. Avant même d'écrire, j'avais toujours eu la curiosité de lire les ouvrages primés. Mais un prix ne doit pas confondre l'auteur et son roman. Ce ne doit pas être une prime à la gueule, au genre, à la mode ou à l'éditeur. C'est le livre qui doit être honoré. Et seulement lui. Ce qu'il raconte, ce qu'il chante, ce qu'il rit ou ce qu'il pleure.
- A qui donneriez-vous un prix cette année ?
Au roman qui aura ému les jurés. Qui les aura fait se relever au milieu de la nuit pour relire une page ou surpris à l'aube, avec la lumière du soir encore allumée…
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