Philip Roth en 10 livres
Près de 30 romans, des nouvelles, des Mémoires, livrés au cours d'une carrière longue de plus de 50 ans, que choisir dans la très riche production littéraire de Philip Roth, disparu ce 23 mai 2018 à l'âge de 85 ans ? Choix cornélien. Philip Roth fait partie de ces écrivains obsessionnels qui creusent sans relâche leur sillon. Ce géant de la littérature américaine est un romancier de cycles. Il est donc difficile de piocher un livre ici ou là dans ces ensembles qui mettent en scène des personnages récurrents, souvent ses doubles, qui ont pris au fil de ses livres divers visages, dessinés et redessinés inlassablement. Néanmoins, avant de se plonger avec joie dans ces constructions à plusieurs étages, voici 10 livres incontournables de Philip Roth.
Son premier livre, un recueil de 6 nouvelles dans lesquelles l'écrivain décortique les rapports de l'Amérique avec le monde juif. On trouve dans ces courts récits déjà les thèmes de prédilection du romancier : la judaïté, le rapport au corps, l'humour. "Goodbye, Columbus" lui a valu le National Book Award en 1960 et la nouvelle qui donne son titre au recueil a été portée à l'écran par Larry Peerce en 1969.
Son troisième roman raconte l'histoire d'Alexander Portnoy, trentenaire chargé à la mairie de New York, des questions d'égalité sociale et de lutte contre les discriminations raciales. Il confie à son psychanalyste son enfance de petit fils d'immigré juif dans le quartier de Weequahic à Newark, et surtout de ses obsessions sexuelles… Très cru, considéré par certains comme pornographique, ce texte a fait polémique à sa sortie. Polémique qui n'a pas empêché le succès. Premier best-seller, c'est ce roman qui a révélé Philip Roth au grand public en 1969. "Portnoy et son complexe" figure dans la liste des 100 meilleurs romans du XXe siècle établie par The Modern Library en 1998
Un professeur de littérature spécialiste de Gogol et de Kafka s'est métamorphosé en "glande mammaire" géante. Entre Kafka et Woody Allen, c'est son livre le plus délirant surréaliste mais aussi une profonde interrogation sur la condition d'homme. "Le sein" est le premier volet du cycle "David Kepesh", qui comprend aussi "Professeur du désir" (1979) et "La bête qui meurt" (2004).
Une biographie à la Philip Roth, qui essaie de démêler l'œuvre d'une vie qui l'a inspirée, mais qui ménage le mystère, avec toujours une dose d'autodérision et d'humour, marques de fabrique de ce grand romancier.
Prix Pulitzer en 1998, ce roman est le 6e volume du cycle Nathan Zuckerman. Il raconte la vie de Seymour Levov, un homme d'affaires juif américain de Newark (New Jersey), ancienne vedette sportive du lycée de Zuckerman, dont la vie bien huilée va se trouver bouleversée par un cancer et aussi par les remous de l'histoire américaine des années 60. "Pastorale américaine" est le premier volet de la "Trilogie américaine", avant "J'ai épousé un communiste" (1998) puis "La Tache" (2000).
Une farce de plus de 600 pages, mettant en scène Mickey Sabbath (encore un double du romancier), un septuagénaire toujours vert, provocateur et désopilant autant qu'angoissé, ancien marin coureur de jupons, affreux mari, marionnettiste aux doigts tordus, qui plonge dans son passé après la mort de sa maîtresse.
Le roman parfait. Chanceux ceux qui ne l'ont pas encore lu, et qui ont devant eux cette promesse de bonheur de lecture.
"Le Complot contre l'Amérique" est une uchronie (roman construit sur la base d'un événement historique modifié, qui change le cours des événements). Philip Roth imagine l'histoire des Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, en se mettant en scène lui-même enfant, petit-fils d'immigrés juifs installés dans le New Jersey. En 1941, le Président Roosevelt n'a pas été réélu et c'est l'aviateur Charles Lindbergh, sympathisant du régime nazi et membre du comité "America First", qui est devenu président des États-Unis, élu sur des arguments mêlant antisémites, et une position attentiste dans la Seconde Guerre mondiale. Lindbergh conclut un pacte avec Hitler. Vu à travers les yeux d'un enfant, ce récit mêlant faits réels et imaginaires dénonce la montée de l'antisémitisme dans la société américaine.
Premier opus du Cycle "Némésis", un homme raconte le destin d'un homme, de l'enfance à la décrépitude de la vieillesse. Le livre commence par la fin. Le personnage principal est au cimetière, sur la tombe de ses parents : "Sa mère était morte à quatre-vingts ans, son père à quatre-vingt-dix. Il leur dit à haute voix : "J'ai soixante et onze ans. Votre petit garçon a soixante et onze ans. - Tant mieux, répondit sa mère. Tu as vécu." Et puis son père lui dit : "Penche-toi sur ton passé, répare ce que tu peux réparer, et tâche de profiter de ce qui te reste."
Dernier volet du cycle Némésis, et ultime roman de Philip Roth, qui avait annoncé en 2012 qu'il n'écrirait plus. "Némésis" est l'histoire d'une communauté à Newark (toujours, le quartier où Philip Roth a grandi, et qui revient sans cesse comme décor de presque tous ses romans) confrontée à une épidémie de polio. Bucky Cantor, directeur du terrain de jeu du quartier décide de continuer à accueillir les jeunes sur le terrain de sport. Avec Némésis", Roth développe, comme Giono avec son "Hussard sur le toit", un sujet propice à la dramaturgie : une communauté d'hommes face à un cataclysme qui les dépasse, et les sentiments qui en découlent : la peur, la culpabilité, la colère, la douleur, le désarroi, l'égoïsme. Il dresse le portrait d'un homme ni brillant ni insouciant, incapable d'accepter la "force des choses" et son absurdité, un "maniaque du pourquoi", sa rigidité morale et son orgueil le plongeant dans une vie tragique, où il s'inflige lui-même une punition digne des foudres de Némésis, déesse grecque chargée de punir l'excès de bonheur, les outrages ou l'orgueil.
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