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"Petit Piment" : la gouaille poétique de Mabanckou pour raconter une tragédie
Alain Mabanckou retourne à Pointe-Noire avec son nouveau roman "Petit Piment" (Seuil), qui raconte l'histoire d'un jeune orphelin congolais. Une vie tragique et hautement romanesque, pourtant inspirée de la vie bien réelle d'un vagabond rencontré par le romancier dans les rues de Pointe-Noire.
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L'histoire : l'enfant a été abandonné devant une institution catholique. Ses premières années sont rythmées par les visites d'un prêtre à l'orphelinat Papa Moupelo. Celui qui lui avait donné à son arrivée ce prénom à rallonge : "Tokumisa Nzambe po Mose yamoyindo abotami namboka ya Bakoko", qui signifie en lingala "Rendons grâce à Dieu, le Moïse noir est né sur la terre des ancêtres".
Personnage haut en couleurs, Papa Moupelo, est la figure emblématique de l'orphelinat. Sa visite hebdomadaire et spectaculaire -arrivée bruyante en 4L et boubou blanc ("il ressemblait alors à un épouvantail de champ de maïs")- est attendue avec impatience par les enfants. Le prêtre les fait chanter en chœur, imite le saut de la grenouille pour évoquer la danse des pygmées du Zaïre...
Les enfants, "enflammés par ses moments de liesse" sont convaincus que "ce serviteur de Dieu" n'est pas là pour les "évangéliser" mais pour leur faire "oublier les punitions subies les jours précédents". Car la vie à l'orphelinat, c'est aussi les punitions et les coups de fouets des surveillants, et aussi la méchanceté du directeur. Puis un jour, révolution marxiste à l'œuvre, le vieux prêtre ne vient plus. Ne reste alors que l'enfer de l'orphelinat, et son ami Bonaventure. L'enfant au prénom à rallonge est adolescent. Il s'enfuit.
Commence alors une vie dans la rue, "dans une ville qui semblait tout broyer". Il rencontre Maman Fiat 500, une patronne de bordel qui le prend sous son aile, jusqu'à ce que la mairie décide de raser la maison close. Petit Piment en perd la raison, la mémoire et les compléments circonstanciels, et entame une vie de démence et d'errance…
"Petit Piment" est un roman tendre et drôle, pour raconter une tragédie. Il est dédié aux "errants de la Côte sauvage", et particulièrement à "Petit Piment", qui "tenait à être un personnage de fiction parce qu'il en avait assez d'en être un dans la vie réelle".
Mabanckou embarque le lecteur dans cette histoire comme un conteur ou un dramaturge, avec des dialogues savoureux, la gouaille des rues africaines, et la vivacité d'une écriture faite d'images parlantes ("Cela pris à peine une dizaine de minutes pour que le directeur redevienne l'homme que nous connaissions et que nous détestions le plus au monde : le visage verrouillé à double tour, les mâchoires serrées et la moustache en deuil").
Alain Mabanckou raconte aussi à travers "Petit Piment" l'histoire du Congo, et l'installation brutale du socialisme dans toutes les couches de la société congolaise et la mise au pas de la population, notamment des cadres et des notables, au nouveau système. A l'orphelinat, on écoute en boucle la voix chevrotante du président sur un radiocassette fourni par le gouvernement et les enfants assistent au cours de "conscientisation".
Petit Piment est un Gavroche, un Oliver Twist à l'africaine. L'histoire que nous raconte Mabanckou est ancrée dans un quartier d'une ville que le romancier connaît bien, mais elle est universelle. Et c'est à travers la langue que s'opère la synthèse, une langue riche et vivante, qui emporte le lecteur.
Petit Piment Alain Mabanckou (Seuil / Fiction & Cie– 273 pages – 18,50 euros)
Extrait :
"Papa Moupelo était un personnage à part, sans doute l'un de ceux qui m'avaient marqué pendant les années que j'avais passées dans cet orphelinat. Haut comme trois pommes, il chaussait des Salamander à grosses semelles - nous les appelions des "chaussures à étages" - et portait de larges boubous blancs qu'il se procurait auprès des commerçants ouest-africains au du Grand Marché de Pointe-Noire. Il ressemblait alors à un épouvantail de champ de maïs, en particulier au moment où il traversait la cour centrale et que les vents secouaient les filaos qui entouraient l'enceinte de l'orphelinat."
Personnage haut en couleurs, Papa Moupelo, est la figure emblématique de l'orphelinat. Sa visite hebdomadaire et spectaculaire -arrivée bruyante en 4L et boubou blanc ("il ressemblait alors à un épouvantail de champ de maïs")- est attendue avec impatience par les enfants. Le prêtre les fait chanter en chœur, imite le saut de la grenouille pour évoquer la danse des pygmées du Zaïre...
Les enfants, "enflammés par ses moments de liesse" sont convaincus que "ce serviteur de Dieu" n'est pas là pour les "évangéliser" mais pour leur faire "oublier les punitions subies les jours précédents". Car la vie à l'orphelinat, c'est aussi les punitions et les coups de fouets des surveillants, et aussi la méchanceté du directeur. Puis un jour, révolution marxiste à l'œuvre, le vieux prêtre ne vient plus. Ne reste alors que l'enfer de l'orphelinat, et son ami Bonaventure. L'enfant au prénom à rallonge est adolescent. Il s'enfuit.
Commence alors une vie dans la rue, "dans une ville qui semblait tout broyer". Il rencontre Maman Fiat 500, une patronne de bordel qui le prend sous son aile, jusqu'à ce que la mairie décide de raser la maison close. Petit Piment en perd la raison, la mémoire et les compléments circonstanciels, et entame une vie de démence et d'errance…
"Petit Piment" est un roman tendre et drôle, pour raconter une tragédie. Il est dédié aux "errants de la Côte sauvage", et particulièrement à "Petit Piment", qui "tenait à être un personnage de fiction parce qu'il en avait assez d'en être un dans la vie réelle".
Retour à Pointe-Noire et retour à fiction
Alain Mabanckou revient donc une fois encore à Pointe-Noire, la ville portuaire du Congo où il a grandi, qu'il a quittée à l'âge de 22 ans. Il avait raconté son retour après plus de 20 ans d'absence dans "Lumière de Pointe-Noire" (Seuil) en 2013, un livre autobiographique. Avec "Petit Piment", le romancier renoue avec la pure fiction. On est plongé dans l'épaisseur du monde africain, brutal, vif, fétichiste et joyeux, qui s'accommode à sa manière de la modernité.Mabanckou embarque le lecteur dans cette histoire comme un conteur ou un dramaturge, avec des dialogues savoureux, la gouaille des rues africaines, et la vivacité d'une écriture faite d'images parlantes ("Cela pris à peine une dizaine de minutes pour que le directeur redevienne l'homme que nous connaissions et que nous détestions le plus au monde : le visage verrouillé à double tour, les mâchoires serrées et la moustache en deuil").
Alain Mabanckou raconte aussi à travers "Petit Piment" l'histoire du Congo, et l'installation brutale du socialisme dans toutes les couches de la société congolaise et la mise au pas de la population, notamment des cadres et des notables, au nouveau système. A l'orphelinat, on écoute en boucle la voix chevrotante du président sur un radiocassette fourni par le gouvernement et les enfants assistent au cours de "conscientisation".
Petit Piment est un Gavroche, un Oliver Twist à l'africaine. L'histoire que nous raconte Mabanckou est ancrée dans un quartier d'une ville que le romancier connaît bien, mais elle est universelle. Et c'est à travers la langue que s'opère la synthèse, une langue riche et vivante, qui emporte le lecteur.
Petit Piment Alain Mabanckou (Seuil / Fiction & Cie– 273 pages – 18,50 euros)
Extrait :
"Papa Moupelo était un personnage à part, sans doute l'un de ceux qui m'avaient marqué pendant les années que j'avais passées dans cet orphelinat. Haut comme trois pommes, il chaussait des Salamander à grosses semelles - nous les appelions des "chaussures à étages" - et portait de larges boubous blancs qu'il se procurait auprès des commerçants ouest-africains au du Grand Marché de Pointe-Noire. Il ressemblait alors à un épouvantail de champ de maïs, en particulier au moment où il traversait la cour centrale et que les vents secouaient les filaos qui entouraient l'enceinte de l'orphelinat."
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