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Perséphone 2014 : "Dis-moi quel est ton mythe, je te dirai qui tu es"

Sous le signe de l'intensité. La romancière Gwenaëlle Aubry publie en ce mois de janvier 2016 deux textes saisissants. Le premier est consacré à la poétesse américaine Sylvia Plath (1932-1963), qui s'est suicidée à trente ans. Le second, Perséphone 2014, revisite, dans une écriture en tension, le mythe de la jeune fille enlevée par le dieu des enfers.
Article rédigé par franceinfo
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La romancière Gwenaëlle Aubry
 (Hannah Assouline / OPALE / LEEMIMAGE/MERCURE DE FRANCE)

Audacieux pari. Gwenaëlle Aubry galvanise le mythe de Perséphone, la jeune fille enlevée à sa mère Déméter (la déesse de la terre) par Hadès, le dieu des enfers. Elle insuffle vie à cette jeune fille de dix-huit ans d'aujourd'hui et de toujours qui va "vite et droit, jambes nues, cheveux au vent salubre", dans un monde "pas encore terni, pas encore émoussé". 

"Perséphone2014", donc, conte les métamorphoses de cette jeune fille -la narratrice, la romancière ?- qui s'élance et secoue ses chaînes. Un roman ardent qui tient du récit, de l'autobiographie et de la poésie. Cent pages tendues et parfois hallucinées où sont tour à tour convoqués Artaud et Bowie, Héraclite et Lou Reed, Michaux et Radiohead. Pour mieux connaître la genèse de ce texte lyrique, nous avons interrogé l'auteure, Gwenaëlle Aubry.

Pourquoi vouloir réécrire au XXIe siècle le vieux mythe grec de Perséphone, cette jeune fille enlevée par Hadès et qui va se partager entre sa mère Déméter(printemps et été) et le souverain des enfers (automne et hiver) ?

J'ai compris qu'il fallait écrire le texte à partir de ce point de vertige, la phrase de Yeats que je place en épigraphe de "Perséphone 2014": "J'ai souvent eu l'idée qu'il existe pour chaque homme un mythe qui, si nous le connaissions, nous permettrait de comprendre tout ce qu'il a fait et pensé". Il faut prendre au sérieux ce jeu : dis-moi quel est ton mythe, je te dirai qui tu es. Je crois que nous sommes tous structurés par un mythe qui nous définit. Qu'est ce qui se passe quand un mythe s'empare d'une vie, d'un corps ?

La voix de Perséphone parle de la circulation entre le monde diurne, celui de Déméter, de la surface, des rites institués, de l'ordre, et le monde nocturne, celui de la jouissance. Comment passer de l'un à l'autre ? Comment articuler des instants d'intensité extrême à la vie ordinaire ? J'ai commencé à écrire ce texte à 18 ans (au début des années 90), à un moment de grande intensité amoureuse, de basculements vitaux. Et j'y suis revenue sans cesse.

Votre livre est un roman, mais d'une forme hybride, entrecoupé de poésies. A quoi cela répond-il ?

J'ai tendance à déplacer de plus en plus la forme du roman vers la poésie. En tout cas, à y introduire des blancs, des coupes. La poésie dit les moments d'intensité. Le retour à la prose, c'est le moyen de sortir de l'intensité sidérante de ces moments-là. La poétesse Sylvia Plath, à laquelle je consacre un livre par ailleurs ("Lazare mon amour"), disait que le roman peut tout accueillir, les moments d'incandescence comme "les royaumes de chaises et de choux", la vie quotidienne.

Le mythe amène aussi un caractère hybride, ludique. Il autorise ce bricolage enfantin, "super-louche" comme dit le sculpteur Tinguely, qui permet d'accoler de l'archaïque et de l'hyper-contemporain. C'est très naturellement que le rock, le cinéma, la crise grecque ou le mouvement des sans-papiers se sont intégrés à ce livre parce que le mythe est extrêmement plastique.

Constellé de souvenirs, émaillé de références musicales, littéraires, cinématographiques, ce roman tient-il de l'autobiographie ?

Oui. D'une certaine façon, Perséphone 2014 est une mythobiographie, c'est à dire le contraire de l'autofiction telle qu'elle est parfois pratiquée. Le mythe fait exploser la biographie. Il capture la vie et supprime les anecdotes : il n'y a plus que des événements. Il supprime la psychologie : il ne reste que des passions chimiquement pures, le plaisir, la colère. Il donne un effet d'intensification, et d'explosion du moi.

Perséphone 2014, de Gwenaëlle Aubry
(Mercure de France, 120 pages, 14 euros) 

Extrait : "Tu as dix-huit ans, tu te crois immortelle (et tu as raison puisque c'est encore toi qui dis je à travers moi). Tu as dix-huit ans et tu pars, tu cours, tu quittes, partir, tu fais ça très bien, c'est presque ce que tu fais le mieux, plus jeune tu as quitté des repas de famille, des salles de classe, des hommes qui te couchaient sur leur lit ou te montraient ta nudité au miroir, d'un bond tu te levais, tu te glissais entre les portes sans jamais les claquer, et tu courais, tu dévalais, ivre de fuite".

A lire aussi, sur la poétesse Sylvia Plath :

"Lazare mon amour", de Gwenaëlle Aubry
(L'iconoclaste, 80 pages, 15 euros)

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