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"L’ultime auberge", journal de mort et souffle de vie d'Imre Kertész
"L’ultime auberge" (Actes Sud) est un roman testament. Il rassemble les confessions d'un romancier sur sa maladie et la vieillesse, ses réflexions sur l'écriture et la vie, son rapport singulier au judaïsme, ou le désamour de son pays la Hongrie… Tout cela dans une forme qui entrelace les fragments d'un journal et l'ébauche d'un roman. Un objet littéraire à la fois terrible et passionnant.
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L'histoire : Un vieil écrivain atteint de la maladie de Parkinson tente d'écrire un ultime roman. "Je n'ai plus de joies, plus de surprises, plus de nobles distractions, j'arpente seulement les antichambres grises de la mort…", note-t-il dans la première partie du roman, rédigée comme un journal. Il y consigne son quotidien d'écrivain malade, "les humiliations physiques de la vieillesse" et son "combat acharné contre la déchéance".
"L'ultime auberge, ce sera un journal de mort", note-t-il. "Ce roman est une confession, une pénitence", souligne le romancier, qui consigne dans son journal au jour le jour les difficultés qu'il traverse pour écrire : "Je devrais travailler sur mon roman qui se tourne les pouces au fond de mon âme", ou encore "Mes pensées grelottent. Le roman est au point mort"…
Regard sur le monde
Le récit de ce combat pour la vie est entrelacé des réflexions du romancier sur le monde. "L'ultime auberge" s'ouvre sur le judaïsme, thématique au cœur de l'œuvre de Kertész, et sur l'impossibilité pour le juif d'Europe d'aujourd'hui de construire "une relation intime à la condition qui lui est imposée", puisque "le juif d'Europe est une race déterminée par les autres". Et il s'interroge sur ce que signifie "L'année prochaine à Jérusalem" (référence à la terre promise), "alors que Jérusalem existe pour de vrai et qu'elle est peuplée de Juifs ?". Cette question du judaïsme "européen" dans l'après Shoah, la création d'Israël et le conflit israélo-palestinien, revient tout au long du roman comme une obsession, un nœud impossible à dénouer pour un juif démocrate.
D'autres sujets font des apparitions récurrentes dans le fil du récit : le désamour et l'incompréhension qu'il sent de la part la Hongrie à son égard, et le virage du côté de l'extrême-droite de son pays, la perte de libido qui accompagne la maladie et la vieillesse, la musique consolatrice, son prix Nobel et le succès de "Être sans destin". Mais aussi la démocratie, Berlin, les émissions de télévision, ou l'amour, métaphysique, difficile et indispensable …
Mise en abîme
On retrouve ensuite toutes ces idées et le personnage du vieux romancier malade dans deux autres parties du livre, sous forme cette fois d'un vrai roman, et intitulé "L'ultime auberge" (Première ébauche, et un peu plus tard Seconde ébauche). On passe à la troisième personne et c'est là que le roman devient passionnant, puisque l'écrivain nous a d'abord livré une partie de la matière brute qui fait un roman, et nous la redonne à lire une fois passée à la moulinette de l'artisan romancier.
On adopte avec facilité cette forme étrange, où l'écrivain aurait d'abord ouvert les portes des coulisses avant de nous livrer l'ouvrage façonné. Cet objet littéraire est porté par une très belle langue (on relit certains passages plusieurs fois pour en goûter la poésie). Cet ultime roman (vraiment le dernier ? Kertész est toujours vivant !), est une œuvre gorgée de vie. Un roman passionnant. L'ultime auberge Imre Kertész, traduit du hongrois par Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba (Acte Sud – 306 pages – 22,80 euros).
Extrait :
"Le jour se lève, les oiseaux commencent à chanter. Les nuits blanches que j'ai passées autrefois à Szigliget, les aurores de mai que j'y ai vues ! Je ne suis pas heureux. Mais si, je suis heureux."
"L'ultime auberge, ce sera un journal de mort", note-t-il. "Ce roman est une confession, une pénitence", souligne le romancier, qui consigne dans son journal au jour le jour les difficultés qu'il traverse pour écrire : "Je devrais travailler sur mon roman qui se tourne les pouces au fond de mon âme", ou encore "Mes pensées grelottent. Le roman est au point mort"…
Regard sur le monde
Le récit de ce combat pour la vie est entrelacé des réflexions du romancier sur le monde. "L'ultime auberge" s'ouvre sur le judaïsme, thématique au cœur de l'œuvre de Kertész, et sur l'impossibilité pour le juif d'Europe d'aujourd'hui de construire "une relation intime à la condition qui lui est imposée", puisque "le juif d'Europe est une race déterminée par les autres". Et il s'interroge sur ce que signifie "L'année prochaine à Jérusalem" (référence à la terre promise), "alors que Jérusalem existe pour de vrai et qu'elle est peuplée de Juifs ?". Cette question du judaïsme "européen" dans l'après Shoah, la création d'Israël et le conflit israélo-palestinien, revient tout au long du roman comme une obsession, un nœud impossible à dénouer pour un juif démocrate.
D'autres sujets font des apparitions récurrentes dans le fil du récit : le désamour et l'incompréhension qu'il sent de la part la Hongrie à son égard, et le virage du côté de l'extrême-droite de son pays, la perte de libido qui accompagne la maladie et la vieillesse, la musique consolatrice, son prix Nobel et le succès de "Être sans destin". Mais aussi la démocratie, Berlin, les émissions de télévision, ou l'amour, métaphysique, difficile et indispensable …
Mise en abîme
On retrouve ensuite toutes ces idées et le personnage du vieux romancier malade dans deux autres parties du livre, sous forme cette fois d'un vrai roman, et intitulé "L'ultime auberge" (Première ébauche, et un peu plus tard Seconde ébauche). On passe à la troisième personne et c'est là que le roman devient passionnant, puisque l'écrivain nous a d'abord livré une partie de la matière brute qui fait un roman, et nous la redonne à lire une fois passée à la moulinette de l'artisan romancier.
On adopte avec facilité cette forme étrange, où l'écrivain aurait d'abord ouvert les portes des coulisses avant de nous livrer l'ouvrage façonné. Cet objet littéraire est porté par une très belle langue (on relit certains passages plusieurs fois pour en goûter la poésie). Cet ultime roman (vraiment le dernier ? Kertész est toujours vivant !), est une œuvre gorgée de vie. Un roman passionnant. L'ultime auberge Imre Kertész, traduit du hongrois par Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba (Acte Sud – 306 pages – 22,80 euros).
Extrait :
"Le jour se lève, les oiseaux commencent à chanter. Les nuits blanches que j'ai passées autrefois à Szigliget, les aurores de mai que j'y ai vues ! Je ne suis pas heureux. Mais si, je suis heureux."
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