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Livre Paris : une rencontre passionnante avec la traductrice d'Haruki Murakami

Les éditions Belfond publient les deux premiers courts romans d'Haruki Murakami, déjà habités par tout ce qui constituera ensuite son œuvre. Hélène Morita les a traduits, comme tous les derniers romans et nouvelles de l'auteur d'1Q84 depuis "Le passage de la nuit. Elle a accepté de nous parler de ces romans de jeunesse et de dévoiler les coulisses de son travail. Rencontre au Salon du livre.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Hélène Morita, traductrice de Haruki Murakami, au salon du livre 2016
 (Laurence Houot / Culturebox)

C'est sur le stand des éditions Belfond que nous la retrouvons, la discrète traductrice de l'un des auteurs les plus vendus au monde, le Japonais Haruki Murakami, l'auteur de "1Q84". Hélène Morita a commencé par étudier le Chinois, mais la vie l'a portée vers le Japon, où elle a vécu pendant plusieurs années. Elle a traduit "Ecoute le chant du vent", suivi de "Flipper, 1973", les deux tout premiers romans d'Haruki Murakami publiés récemment aux éditions Belfond.

"On peut lire la préface de ses deux premiers romans comme un conte"

Dans la préface, le romancier fait le récit de son entrée en écriture. Un récit teinté de féerie, où l'on discerne mal le vrai du faux. "Haruki Murakami raconte des choses réelles sur cette genèse, bien sûr, il y a des choses vraies, mais ce teste est aussi construit comme une fiction, comme un conte ou une fable, presque", raconte Hélne Morita. "Il place d'emblée sa vie et la naissance de sa carrière d'écrivain sous le signe du miracle", poursuit la traductrice. "D'abord il y a cette balade avec sa femme. Il raconte qu'il il trime pour faire vivre le bar qu'ils ont ouvert. Ils sont endettés, et lors de cette promenade, ils trouvent la somme exacte qui leur manque pour rembourser la dette", explique Hélène Morita.

Ensuite deuxième miracle, c'est le récit de son entrée en écriture, raconté comme une épiphanie. "C'est quelque chose d'incroyable", explique Hélène Morita. "Haruki Murakami raconte qu'il est dans un stade de baseball. Pour faire le récit de cet épisode, il fait appel à tous les sens", poursuit la traductrice. "Le ciel était totalement dégagé, la bière glacée, la balle blanche se découpait, très nette, sur l'herbe verte", dit le romancier dans la préface, et soudain il y a ce son, le "bruit de la batte frappant la balle", qui "résonne merveilleusement dans le stade". Et c'est à ce moment-là qu'une pensée le traverse. "Une pensée qui n'a rien à voir avec ce tableau", raconte Hélène Morita, "Il se dit qu'il va écrire un roman".

Ce télescopage de deux événements qui n'ont aucun rapport l'un avec l'autre est vraiment typique de l'œuvre d'Haruki Murakami, on retrouve cette notion de synchronicité très jungienne, qui revient en permanence", explique Hélène Morita."Et il y a un troisième événement, quand il trouve un pigeon voyageur blessé, il sent le frémissement de son corps, sa chaleur, et aussi la fragilité de l'oiseau blessé. Et là encore cette sensation fait venir une pensée : 'Je serai un écrivain à succès'. C'est une pensée sans prétention, mais une certitude", poursuit la traductrice. "et il accepte ça, l'irruption dans sa vie d'événements bienveillants qui interviennent dans sa vie et dans son œuvre. On retrouve cela dans tous les textes de Murakami, l'irruption d'événements bienveillants ou pas (il traque aussi le mal)", explique Hélène Morita. "Donc on voit bien que Murakami dans cette introduction place sa vie et son œuvre sous l'égide du miraculeux, et de l'imaginaire. Cette préface peut vraiment être lue comme une nouvelle, comme une fiction" propose Hélène Morita.

Murakami a commencé à écrire en anglais

Dans sa préface, le romancier japonais dévoile aussi les secrets de la naissance de son écriture. Il raconte comment au tout début, il a eu l'idée d'écrire en anglais (il avait alors une machine avec un clavier anglais), puis de traduire ensuite en Japonais. C'est, explique-t-il, ce qui lui a permis de trouver ce style simple et fluide, imposé par le peu de mots dont il disposait. Ensuite il n'a plus eu besoin de passer par l'anglais. Son style était là. "Je ne savais pas cela. Je l'ai appris en traduisant cette préface. Et c'est très amusant parce que j'avais traduit des textes en japonais plus classiques comme Natsume Sôseki, Osamu Dasai, ou Kenji Miyazawa, et quand j'ai commencé à lire Murakami, avant même de le traduire, je me suis dit 'c'est un drôle de japonais', singulier, étonnant, bizarre", raconte Hélène Morita.

"Sur le coup, je me suis dit on dirait du japonais traduit. Donc c'est amusant de voir que c'est comme ça qu'il a commencé. Il est donc sorti du japonais pour mieux y revenir. Il passe par la traduction pour se réapproprier la langue japonaise, pour trouver sa langue d'écrivain. C'est du japonais, mais très particulier, très singulier", explique la traductrice "et faire sentir cela dans la traduction, ce n'est pas évident", poursuit-elle. "D'ailleurs il ne cite pas les auteurs classiques  japonais comme références, sauf Sôseki. Mais il cite plutôt la littérature américaine ou russe. Les Japonais aiment beaucoup la littérature russe. Les cultures sont aux antipodes, mais ils s'adorent mutuellement".

Traduire du japonais en français est déjà une tâche compliquée, explique Hélène Morita, parce que ce sont des langues très différentes, avec des structures totalement différentes. "Il faut faire tout un travail de reconstruction du texte, un travail infiniment plus compliqué que lors d'une traduction d'une langue européenne", explique-t-elle. "Par exemple la temporalité est très particulière, pas du tout comme dans notre langue. Dans notre culture il y a une ligne temporelle, avec dans la langue française des temps pour situer les événements dans cette ligne. En japonais pas du tout. Alors parfois on est perdu dans le déroulement des événements. A tel point que quand vraiment je ne sais pas je pose la question à des Japonais, mais ils me font des réponses différentes. Alors il faut bien trancher", raconte la traductrice.

"Difficile de traduire les images étranges et inatendues de Murakami"

Dans le cas des textes de Murakami, outre ces difficultés inhérentes à la langue japonaise, il faut aussi traduire les images qu'utilise beaucoup le romancier, des images étranges, bizarres, inattendues. "Il rameute sans arrêt des métaphores, des comparaisons bizarres. Et puis aussi toutes ses digressions déconcertantes. Parfois je sèche", explique la traductrice. Mais elle ne peut pas s'adresser directement à l'écrivain japonais, qu'elle n'a jamais rencontré. "C'est un peu frustrant bien sûr, mais en même temps j'ai l'habitude de traduire des auteurs morts. C'est frustrant mais c'est aussi une grande liberté", ajoute-t-elle. "Haruki Murakamai est lui-même traducteur, c'est une activité qu'il aime et qu'il continue à pratiquer, et je crois que pour cette raison il sait ce que c'est et respecte ce travail. Donc il n'intervient jamais".

Haruki Murakami est un écrivain rare, qui ne répond pas aux interviews, qui vit presque en ermite, "alors oui c'est un peu frustrant de na pas le connaître, et de ne rien pouvoir raconter de particulier sur sa personne", poursuit la traductrice, mais cela fait aussi partie du personnage, qui fuit les médias. "C'est aussi un travailleur solitaire. Il se compare souvent au forgeron. Le travail est une dimension importante, son opiniâtreté, son obstination, un trait de caractère que l'on retrouve dans "L'autoportrait de l'auteur en coureur de fond".

Tout Murakami déjà dans ses deux premiers courts romans

Dans les deux premiers romans d'Haruki Murakami, on trouve déjà l'ADN de l'auteur de "1Q64". "La présence du climat, la pluie, les images des paysages urbains, la ville comme un grand corps organique", explique la traductrice. On retrouve aussi dans ces deux premiers romans les obsessions de l'écrivain, que l'on retrouvera dans toute son œuvre, les doigts en trop ou en moins, les oreilles comme réceptacles, images érotiques ou poétiques", poursuit la traductrice. "On trouve aussi déjà dans ces deux premiers romans son goût pour l'emboîtement d'une histoire dans l'histoire, d'une construction en forme de poupées russes, que l'on retrouve notamment dans "1Q64. Il y a aussi sa manière de glisser de manière poétique ou drôle des éléments de l'histoire (occupation américaine, guerre du Vietnam, événements de 1968…)", souligne-telle. "Et il y a aussi cette idée récurrente chez Murakami que l'on vient du rien et que l'on revient au rien", explique Hélène Morita. "On peut être un peu surpris par ces deux courts romans, parce qu'il n'y a pas une narration suivie. Amis c'est vraiment très beau, et j'ai pris beaucoup de plaisir à les traduire", dit-elle.
 
Ecoute le chant du vent, suivi de Flipper, 1973 Haruki Murakami, traduit du japonais par Hélène Morita (Berfond - 21,50 euros)

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