Les lisières, grand roman signé Olivier Adam
Quel plus beau témoignage de ce qui sépare les jurés Goncourt et les libraires ? Ecarté par les uns de la première sélection Goncourt, le dernier roman d'Olivier Adam, Les lisières, est de loin le roman favori des seconds en cette rentrée 2012, selon Livres Hebdo.
Plébiscité par les libraires
"Cette année, Les lisières, boudé par la critique et les prix littéraires, est véritablement plébiscité : quels que soient leur âge, leur sexe ou la catégorie de leur point de vente, les libraires interrogés pour Livres hebdo placent cet ouvrage largement en tête du palmarès de leurs romans français préférés", note Christine Ferrand, la rédactrice en chef du magazine professionnel.
Boudé par le jury Goncourt
Le romancier malouin a désormais l'habitude d'être écarté du Goncourt : "j'ai toujours terminé second, je suis le Poulidor de la littérature", se plaît-il à répéter. Il y a cinq ans, A l'abri de rien, arrivé en finale du plus prestigieux des prix, n'avait été éliminé qu'au bout de 14 tours du scrutin. Au roman sur les immigrés sans papiers, les jurés avaient préféré Alabama Song , autobiographie fictive de Zelda Fitzgerald signée Gilles Leroy.
Exclu d'emblée en 2012, malgré d'excellentes ventes, Olivier Adam pourrait désormais paraphraser Maurice Pialat au festival de Cannes :« Si vous ne m'aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus. »
Le roman de la France périphérique
Car Les lisières, livre fleuve de 450 pages, emporte le lecteur parce que l'auteur y règle ses comptes avec deux France qui s'ignorent et qu'il connaît l'une et l'autre : celle du Paris mondain qui le rejette - ou qu'il rejette, multipliant les piques contre le microcosme littéraire parisien, et celle du Front national qui l'horrifie.
Roman "social" dans le meilleur sens du terme, le livre conte le retour en banlieue parisienne de l'écrivain Paul Steiner, héros du livre et double de l'auteur, venu aider sa mère hospitalisée et son père en détresse.
Un voyage-réflexion sur l'inégalité des chances puisque le narrateur retrouve dans le quartier de sa jeunesse d'anciens camarades de classe. Les plus chanceux sont ceux qui ont un travail. Les plus nantis ont quitté la ville depuis longtemps, comme le narrateur.
Le temps de l'imparfait, le ton de la colère
Sur fond de campagne électorale présidentielle, Paul l'écrivain découvre les ravages des discours de "La Blonde" (Marine Le Pen). Jusqu'à son père qui qui lui envoie sans fard : "je vote pour qui je veux. Tes jugements d'intello bourgeois, tu peux les garder".
La xénophobie, Olivier Adam l'a toujours stigmatisée. D'où vient l'impression qu'il a franchi ici un cap supplémentaire ? De ces morceaux entiers de colère pure, trop nombreux pour être cités, qui portent le livre ?
Ce flot de pensées, de discours, de souvenirs, aller-retour entre un présent douloureux (le héros est séparé de sa compagne et ses enfants lui manquent), un futur incertain, et un passé changeant, est bercé par l'imparfait. Le temps du remords et du souvenir .
Dans ce grand roman de la bordure, de l'écart avec le centre, résonnent pleinement les divisions de la France d'aujourd'hui. Ni le grand public ni les libraires ne s'y sont trompés. Les jurés Goncourt prennent le risque de se couper d'une France qui peut être à la fois populaire et cultivée.
"Les lisières" Olivier Adam (Flammarion (21 euros)
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