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"Le petit joueur d'échecs", le dernier roman merveilleux de Yôko Ogawa

Un enfant bouche cousue, une éléphante coincée sur un toit de grand magasin, une petite fille perdue dans l'étroit espace entre deux maisons, un gros homme doux expert en pâtisserie et joueur d'échecs… Le dernier roman de la japonaise Yôko Ogawa est un conte poétique et merveilleux.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
"Le petit joueur d'échecs", Yôko Ogawa
 (Actes Sud)
L'histoire : quand le livre commence, le petit joueur d'échecs a 7 ans. Il est né avec les lèvres soudées et malgré une opération qui lui a ouvert la bouche, il reste silencieux. Il vit avec ses grands-parents et son petit frère dans une maison étroite séparée de celle des voisins par un mince interstice, dans lequel une petite fille, Miira, s'est glissée autrefois par mégarde. L'enfant aime aller au grand magasin avec sa grand-mère et son petit frère. Pendant qu'ils explorent le rayon des jouets, lui médite sur la mort d'Indira, une éléphante morte sur la terrasse, grandie là-haut et trop lourde, du coup,  pour redescendre.

La découverte d'un noyé dans le bleu d'une piscine donne au petit garçon la chance de rencontrer le "maître", un gros homme bienveillant, qui vit dans un bus immobile, fait de la pâtisserie et lui enseigne les échecs. Le petit garçon apprend à jouer sous la table, caché, "pour mieux voir son jeu" et quand le maître disparaît, le petit joueur d'échecs prend place dans le ventre d'un automate… "Little Alekine" (c'est ainsi qu'on le surnomme), pour qui "grandir est un drame", freine son corps pour pouvoir continuer à jouer caché…

Yoko Ogawa déroule la vie du petit joueur d'échecs avec une grande délicatesse, comme toujours. Elle promène son lecteur en apesanteur, dans une histoire où les personnages clés sont pourtant des mastodontes. Comme tous les contes, "Le petit joueur d'échecs"  dévoile des peurs, révèle la force des sentiments, fixe des repères. Point n'est besoin de connaître les règles du jeu de stratégie, même si Yôko Ogawa reconnait en avoir étudié les subtilités avant d'attaquer ce roman.

L'échiquier y fait figure de théâtre, où le mouvement des pièces est celui de la vie. Dans cette partie des milliers de fois rejouée, les pièces trouvent des alliés, des ennemis, du danger et du réconfort. Peu importe qui gagne, ce qui compte, c'est qu'on ne joue pas seul, mais avec l'autre, dans un mouvement ininterrompu jusqu'à la mort, chaque partie donnant naissance à une poésie.

La romancière Yôko Ogawa ajoute avec "Le petit joueur d'échecs" une pierre à l'édifice romanesque singulier qu'elle construit livre après livre. Une œuvre qu'on a chaque fois plaisir à retrouver, un peu comme un rêve suspendu entre deux nuits…

Le petit joueur d'échecs Yôko Ogawa, traduit du japonais par Martin Vergne (Actes Sud – 332 pages - 22,80 Euros)

Extrait
"Le maître qui n'utilisait qu'un réchaud à gaz et un récipient en fer, fabriquait tout un assortiment surprenant de gâteaux qu'il rangeait dans son placard. Dans la seule catégorie des biscuits, il y en avait toute une variété, aux pépites de chocolat, au gingembre, aux raisins et aux noix, et de la simple génoise au gâteau à la crème en passant par le soufflé, les beignets croustillants à la mélasse, le savarin et le nougat, il n'y avait rien qu'il ne puisse fabriquer dans son autobus aménagé.
Voûté comme un chat, le cou rentré dans les épaules, dans le tremblement de ses multiples bourrelets de graisse, il disposait fourchettes et serviettes en papier sur la table avant de préparer une boisson tout aussi sucrée que le goûter. Et après avoir mangé dix fois plus que le garçon, enfin satisfait, il se frottait les mains en disant :"Bien…" L'expression de son visage à ce moment-là était celle que le petit préférait. Ses larges paumes émettaient un agréable bruit de succion, tandis que des miettes de gâteau restaient collées à ses lèvres. L'intérieur de l'autobus était inondé de lumière, le jardin environné de calme,. Son sourire était un appel, son expression semblait vouloir dire qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter, qu'ils allaient se lancer dans la partie."

Yôko Ogawa est une romancière japonaise née en 1962 à Okayama. Diplômée de l'Université de Waseda, elle vit à Ashiya avec son mari et son fils. Depuis la fin des années 80, elle a publié une vingtaine d'œuvres, en commençant par des récits courts, dont "La grossesse" a été récompensé par le prestigieux Prix Akutagawa en 1991. " "L'Annulaire" (1999) a également été adapté au cinéma en 2005 par Diane Bertrand avec Olga Kurylenko et Marc Barbé. Elle affirme avoir eu une révélation sur les vertus de l'écriture en lisant à 13 ans "Le journal d'Anne Frank".

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