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"Le Grand Jeu", roman radical de Céline Minard sur l'isolement en milieu hostile

Après avoir exploré le western avec "Faillir être flingué"', Céline Minard publie "Le Grand Jeu" (Rivages), récit d’un isolement volontaire dans un refuge en haute montagne pour "apprendre à vivre". L'auteure de "Faillir être flingué" signe un roman dense et radical, qui interroge l'être humain dans son rapport au monde et à ses semblables.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
La romancière Céline Minard publie "Le grand jeu" (Rivages)
 (JOEL SAGET / AFP)
L'histoire : perchée, la femme a décidé de quitter la civilisation pour vivre dans la nature. Elle ne choisit pas la facilité en plantant son refuge sur une paroi rocheuse de haute-montagne, "à demi suspendu à un éperon granitique", à trois mille quatre cent mètres d'altitude. Il a fallu quatre hommes et un hélicoptère pour installer le "tonneau" dans lequel elle va vivre. "S'il y a une esthétique dans ce volume, c'est celle de la survie". Fibre de verre et PVC haute densité, isolant thermoréfléchissant, panneaux photovoltaïques, tout a été pensé, conçu pour supporter les conditions climatiques extrêmes et assurer à la femme un nid d'où elle pourra "observer et respirer le monde".

Au programme de cette retraite : lecture (une bibliothèque dans l'habitacle), cuisine, musique (elle a fait venir son violoncelle) jardinage (la femme compte se nourrir grâce à la pêche et à sa production de légumes, elle a fait un potager), marches, escalades, sa vie est réglée sur le temps de la montagne. Elle s'installe, commence à explorer l'espace environnant, et à remplir ses cahiers, à retourner la terre dans son potager, à s'organiser. C'est une vie qu'elle s'est choisie, les conditions exactes et nécessaires pour "apprendre à vivre". Elle a tout calculé, tout prévu, sauf l'apparition dans son environnement, d'un autre être humain, un petit caillou dans les rouages de cette folle aventure, sensée lui apporter la sérénité d'une vie sans rapport avec ses semblables, hypothèse que la narratrice tentait de vérifier.

Esthétique de la survie

Le roman démarre fort, description méticuleuse, voire maniaque de ce projet de vie radical. Rehauts, replats, brèches, la romancière transcrit la brutalité d'un environnement hostile, les conditions de vie extrêmes, la beauté des paysages, les efforts, les réconforts, les accidents. Mots choisis, phrases tranchées, une économie de moyens en adéquation avec la situation : pas de fioritures, pas de superflu. Comme la conception de l'habitacle, s'il y a une esthétique littéraire dans "Le grand jeu", elle relève de la survie.

La narratrice consigne l'expérience dans ses cahiers. Compte-rendu auquel elle ajoute ses réflexions métaphysiques essentiellement articulées autour de la question des rapports humains. Peut-on s'en passer ? Sont-ils irrémédiablement voués à être des rapports de domination ? Peut-on réellement vivre hors-jeu ? Et si oui l'isolement mène-t-il à "la paix de l'âme" ?  Ces questions jalonnent le roman, et resteront sans réponse. En arrière-plan aussi une forme de retour à la nature, loin des artefacts du monde moderne. L'homme (ici la femme), revenu à sa condition première, renouant ainsi avec le mythe du retour à la nature sauvage, mainte fois exploré dans la littérature. 

Le lecteur est placé au plus près, en poste d'observation de cette expérimentation. Il suit avidement la mise en œuvre du dispositif et ses effets sur la narratrice. Il se trouve même fasciné, comme on peut l'être parfois devant un documentaire animalier. "Le Grand Jeu" est un roman radical et audacieux, même s'il perd un peu de sa force dès lors que survient dans le paysage un autre être humain, qui perturbe et stoppe de manière imprévue l'expérience (mais cela pouvait-il se passer autrement ?), et nous contraint, comme la narratrice, à redescendre sur terre, parmi ses pairs.
 
Le Grand Jeu, Céline Minard (Rivages - 190 pages – 18 euros)

Extrait :
"L'environnement dans lequel j'ai situé mon abri est celui qui me convient. Qui me procure, par l'extérieur en frottant et raclant l'enveloppe de mon corps qui résiste et s'adapte, la forme nécessaire de ma vie. Ce monde d'isolement, de vide, de grands froids, de grosses chaleurs, de roche dure, de silence et de cris d'animaux, laisse peu de choix. C'est un guide précis. La situation dans laquelle je suis est pensée, calculée pour établir un entraînement maximal. Je l'ai soigneusement choisie. Je lui ai accordé mon assentiment le plus profond. Reste à découvrir si l'empreinte qu'elle a laissée dans mon esprit est une lumière – ou une erreur".

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