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"Le désordre azerty", l'abécédaire surréaliste d'Eric Chevillard

Eric Chevillard a écrit son abécédaire, qu'il a choisi de décliner selon le clavier à la française. "Le désordre azerty" (Minuit), ni roman ni essai, parle des animaux et de l'homme, de ponctuation et de littérature, de style et de bien d'autres choses encore, sans jamais se prendre au sérieux. Savoureux. Les éditions de Minuit publient aussi "Pour Eric Chevillard", un essai qui lui est consacré.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Eric Chevillard
 (Patrick Box / hop / Minuit)

"Nous attendons d'un livre qu'il nous parle de neige, de marquise, d'île, de zoo, de style, de photographie, de Beckett, d'humour, de Dieu, de virgule, de littérature et évidemment de kangourou. Ce sera le cas de celui-ci, entre autres questions de semblable importance." Voilà l'argumentaire de ce dernier ouvrage d'Eric Chevillard, abécédaire moderne puisqu'il suit l'ordre du clavier azerty. Recueil de textes hétéroclites, sur des sujets qui le sont aussi, "Le désordre azerty" n'appartient à aucun genre littéraire, et c'est tant mieux.

Un inventaire farfelu

Pensées, jeux littéraires (un chapitre entier sans ponctuation, du même nom), contes, morceaux d'autofiction… L'ordre que Chevillard a donné à cette somme n'est qu'apparent. En fait son livre ressemble plutôt à un assemblage surréaliste, "un programme poétique", une sorte d'inventaire spontané, où l'auteur se serait autorisé à laisser sa pensée déambuler autour des lettres, comme des piquets entre lesquels il slalome avec souplesse.

La forme n'enlève rien au fond, au contraire. Chevillard parle de choses plus ou moins sérieuses avec intelligence et un constant humour (la lettre H lui est même consacrée). Il dissèque notre présent, sur lequel il porte un regard toujours critique, tantôt amusé, parfois atterré. L'écrivain est autant inspiré par la fin du monde, Dieu, la littérature ou les kangourous, sans parler du quinquagénaire, qui lui souffle ses meilleures pages…

Décalé

La forme littéraire singulière et un brin artisanale de Chevillard évoque l'univers de Gondry et imprime au texte un rythme qui colle à l'époque : on zappe, on rit, on se révolte avec lui. Le décalage aussi est sa marque de fabrique. L'autocritique -ou au moins la mise à distance- arrive quasi en même temps que les mots, comme si l'écrivain anticipait les objections, et y répondait directement. Chevillard livre le texte, l'explication de texte et la critique, invitant le lecteur dans son atelier d'écrivain, à la manière du spectacle contemporain, où parfois, comme chez Découflé, les coulisses et les procédés sont dévoilés en même temps que se joue le spectacle, sur scène. 

On ne peut pas ranger Chevillard dans une case, c'est certain. On peut néanmoins le classer dans une famille, qui n'appartient à aucun genre : celle des auteurs qui ont du style, qu'il définit lui-même comme "la langue natale de l'écrivain". 

Décortiquer Chevillard

Souvent décrit comme "inclassable" par la critique, Eric Chevillard mérite que l'on "s'intéresse à lui, "cas singulier de folie littéraire", nous dit Pierre Bayard, professeur et psychanalyste, contributeur avec Bruno Blanckeman, Tiphaine Samoyault et Dominique Viard de "Pour Eric Chevillard" (Minuit, janvier 2013), ouvrage savant, destiné à un public averti ou/et passionné de Chevillard.

On peut aussi en apprendre beaucoup sur l'écrivain en suivant "L'autofictif", son blog, qu'il nourrit quasi quotidiennement depuis plusieurs années. Les textes de son blog sont édités en version papier : le dernier épisode, "L'autofictif en vie dans les décombres / Journal 2012-2013", paraît le 15 janvier aux éditions de l'Arbre vengeur

Dans le post du 6 janvier 2014, Eric Chevillard annonce qu'il a décliné l'invitation de La grande Librairie sur France 5, pour des raisons morales, parce que "l'écrivain ne saurait être le bonimenteur de son livre sans reconnaître implicitement que celui-ci n'est que camelote (…) Parce qu'il ne saurait devenir marchand sans vendre d'abord son âme" nous dit-il. "Avec une implacable fermeté morale, une incontestable rigueur intellectuelle, et parce que j'avais salement les jetons d'y aller", conclut-il, en bon Chevillard qu'il est…

 
Le désordre azerty Eric Chevillard (Editions de Minuit – 224 pages – 17 euros - En librairie le 9 janvier 2014).

Pour Eric Chevillard Bruno Blanckeman, Tiphaine Samoyault, Dominique viard et Pierre Bayard (editions de Minuit – 128 pages – 12 euros -  En librairie le 9 janvier 2014).

L'autofictif en vie dans les décombres / Journal 2012-2013 Eric Chevillard (Editions de L'arbre vengeur -  240 pages – 15 euros - En librairie le 15 janvier 2014).


Extrait
"Elle est l'image sacrée de l'humanité, dit Chesterton de la petite fille. Exactement ! Ni l'étude ni la sagesse ni le comble de l'art ne forment rien qui approcherait cet idéal atteint sans effort du simple fait d'être une petite fille.
Attention : je ne parle pas ici de Lolita. Je parle des petites filles, des pré-nymphettes dont le corps grêle et rond est encore dans le cocon des limbes, et qui sont si belles justement de ne pas prêter le flanc au désir, de n'être pas saccagées déjà virtuellement par le désir, de n'être pas des objets de convoitise ni davantage des corps défendant, point enfermées du coup dans la minuscule cellule du désir masculin à l'imagination si pauvre, si pauvre, qu'on dirait l'homme mû toujours par son pas militaire et que nul amour ne résiste bien longtemps à ce pilonnage répété supposé représenter les couronnement ou l'acmé de la rencontre entre deux êtres.
Une petite fille ! Voilà vers quel état, quelle réalisation de soi il faudrait tendre, tous autant que nous sommes : devenir des petites filles".

Éric Chevillard est né en 1964 à La Roche-sur-Yon. Il est l’auteur d’une vingtaine de romans et textes brefs. Il est aussi chroniqueur au Monde des Livres. Ses romans sont publiés aux éditions de Minuit.

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