"Le cas Eduard Einstein": la relativité des sentiments
Écrivain et médecin, Laurent Seksik fait s'entrecroiser dans ce roman polyphonique publié chez Flammarion trois destins et trois voix discordantes confrontées à la folie. Il y a Albert Einstein, géant scientifique mais aussi homme à femmes, mari et père égoïste, qui tourne le dos à ce fils dont la maladie mentale le tétanise et le culpabilise.
Il y a Eduard, le fils oublié et méconnu, emmuré dans sa folie et bouleversant. "Hors mon père, je n'ai pas d'existence légale. Qu'ai-je fait pour ne pas exister? Il n'y a pas de place dans ce monde pour un autre Einstein. Je pâtis d'un trouble du culte de la personnalité", lance Eduard.
Il y a Milena, la première épouse d'Einstein, une mathématicienne serbe dévouée sa vie durant à son fils, et désespérée. "Rien de ce qui est étranger à Eduard ne compte", écrit Seksik au sujet de Milena. "Sa vie tient en six lettres", celles du prénom de son fils.
Trois personnages meurtris
Si le lecteur ne peut s'empêcher de juger sévèrement le Prix Nobel et d'être ému par Eduard, Laurent Seksik tente de parler sans manichéisme de la douleur de ces trois personnages meurtris. Le roman aborde aussi l'âpre combat d'alors entre médecine et psychanalyse. Albert Einstein quitte Milena en 1914 pour sa cousine, avec qui il émigre aux Etats-Unis afin d'échapper à la persécution nazie.
Outre-Atlantique, il subit le maccarthysme et le harcèlement du FBI. Pacifiste, il regrette aussi toute sa vie d'avoir incité Roosevelt à lancer le projet Manhattan d'arme nucléaire. Auparavant, Milena Maric et Albert Einstein ont perdu une petite fille, Lieserl, dont la courte existence ne fut révélée qu'en 1986 après la découverte de la correspondance du couple. Ils se marient en 1903. Puis naissent deux fils, Hans Albert et Eduard, jeune homme brillant, pianiste doué, qui se destine à la psychanalyse et vénère Freud.
Génie et faiblesse
A 20 ans, Eduard est diagnostiqué schizophrène et reste jusqu'à sa mort en 1965 dans un asile, à Zurich. Son père lui rend visite une fois, en 1933, avant son exil à Princeton. Pas question pour lui d'y emmener Eduard. Une unique photo rassemble le père et le fils. Preuve que la grandeur intellectuelle peut se conjuguer à la faiblesse, et que la conjonction entre génie et sentiments est elle aussi très relative.
En s'appuyant sur ces trois voix, Laurent Seksik donne à lire une fiction très documentée, recrée des scènes poignantes. Un voyage aux accents de tragédie, de 1896 à 1965, de Novi Sad, la ville natale de Milena, à Zurich, en passant par Berlin, Princeton et Vienne où Eduard subit un traitement barbare.
Le cas Eduard Einstein Laurent Seksik (Flammarion - 301 p. - 19 euros)
Laurent Seksik est né en 1962 à Nice. Il déjà écrit une biographie fouillée d'Albert Einstein en 2008. Il est l'auteur de six romans dont plusieurs traversés par la folie. Parmi ceux-ci, "Les mauvaises pensées", en 1999, où apparaissent déjà Einstein et Freud, "La Folle histoire", en 2002, sur la quête de Ben, né à Sainte-Anne de deux parents malades mentaux, "La consultation", en 2005, histoire d'un fils malade et mal aimé. Il est aussi l'auteur des "Derniers jours de Stefan Zweig" (2010) qui relate l'exil brésilien de l'écrivain et de sa femme avant le suicide du couple. Traduit en quinze langues, ce roman a connu un formidable succès et a été adapté au théâtre.
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