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"La Trinité bantoue", de Max Lobe : un conte helvète à la mode africaine

"La Trinité bantoue" de Max Lobe, écrivain camerounais vivant en Suisse, raconte la vie de Mwána, jeune homme originaire du Bantouland, confronté au chômage et à la maladie de sa mère, soignée dans ce pays où certains se sont lancés dans la chasse aux "moutons noirs". Ce conte helvète à la mode africaine décrit sans manichéisme la vie d'immigré, la vie d'un Noir au milieu de ses "cousins blancs".
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Max Lobe, auteur de "La Trinité bantoue" (Zoé)
 (Yvonne Böhler)
L'histoire : Mwána vit à Genève. Avec sa très pieuse sœur Kosambela, ils ont quitté leur pays d'origine, le Bantouland, quelques années auparavant, pour la Suisse. Mwàna y a fait ses études, chez ses cousins blancs. Quand on fait sa connaissance, le jeune homme attend le bus sur les hauteurs de Lugano, où vit sa sœur, en scrutant une affiche où il est question de "moutons noirs". Il a perdu son emploi chez Nkamba African Beauty, où il était commercial ambulant pendant 5 ans. "La galère cogne fort à notre porte depuis quelques temps", s'inquiète-t-il, ne pouvant compter sur Ruedi, le garçon avec qui il vit, un helvète fils de famille et rouquin, peu enclin à travailler pour subvenir aux besoins du couple.

Ses recherches d'emploi ne donnent rien, quand il décroche un stage dans une ONG engagée dans la lutte contre les discriminations raciales. Madame Bauer en est la présidente, affublée d'une secrétaire qui cherche à éviter l'euthanasie à son chien, et d'un fidèle ami Khalifa, petite troupe sympathique occupée à organiser une manifestation contre l'affiche du mouton noir…

La faim, les humiliations… Mwàna tente de garder la tête haute dans les épreuves, mais l'arrivée de Monga Mingà, sa mère, venue en Suisse pour soigner un cancer en phase terminale, n'allège pas son fardeau…

Un conte helvète à la mode africaine

Mwàna est stratégiquement posté entre deux cultures. Ni juge ni victime, il pose son  regard d'Africain sur la société suisse et ses contradictions : sa modération, ses paysages sublimes et ses trains (pas toujours aussi à l'heure qu'on le croit), sa fantaisie, et aussi son intolérance et sa rigidité. Devenu un peu helvète par la force des choses, il observe également d'un œil critique son Afrique natale, le poids de ses traditions, ses croyances (la fameuse "trinité bantoue" – Nzambé, Dieu, Elôlombi, Dieu des Esprits, et les bankólko, les ancêtres qui veillent sur la vie des hommes), et ses excès.

Avec ce double point de vue, aiguisé mais toujours empreint de bienveillance et d'optimisme, Max Lobe donne avec "La trinité Bantoue" un conte africain à la mode helvète, ou un conte suisse à la mode africaine, comme on voudra.

Dans une langue unique, inventive, très imagée, chantée presque -on entend la musique des mots- le romancier fait la synthèse de ces deux cultures en apparence aux antipodes. Il croque avec une profondeur mêlée d'humour ces deux terres et les êtres qui les peuplent, questionne les problèmes de société auxquels ils sont confrontés, aborde avec pudeur les drames intimes qu'ils traversent. On se laisse emporter par cette fable moderne et intelligente, qui offre un éclairage neuf et singulier sur des questions mille fois ressassées.
 
La Trinité bantoue Max Lobe (Editions Zoé – 200 pages – 18,50 euros)

Extrait :
"Pendant que j'attends le bus, ce n'est pas cette histoire avec Nkamba African Beauty qui me dérange. Monsieur Nkamba a fait son choix. Moi, je finirai certainement par me trouver un vrai boulot à la hauteur de mes compétences, me dis-je avec une maigre conviction qui dégouline de mon crâne nu.
Ce n'est pas le retard de bus qui m'importe. On a l'habitude de dire de nos cousins éloignés qu'ils sont des gens d'une ponctualité irréprochable. Oui, mais il peut tout à fait arriver qu'ils soient en retard –et bien en retard, eux aussi. Ce n'est pas non plus la colère de la vieille dame près de moi qui m'importe : elle peut toujours râler comme elle veut, elle finira simplement par attendre ce putain de bus qui fait son escargot. Ce n'est même pas cette affiche politique-là, placardée là-bas en face de moi et dont j'apprendrai des semaines plus tard le caractère détestable que beaucoup lui trouvent, qui m'importe. Non. Même pas mes chaussures Louboutin rouges que je m'étais fièrement achetées à l'époque où tout allait bien. Ce qui me préoccupe le plus en ce moment-ci, ce sont ces deux Mbànjok que je trimbale avec moi ! Deux gros sacs d'au moins trente kilos chacun. Ce qu'il y a là-dedans ? De la bouffe ! Eh oui ! De la bouffe et rien que ça. Qui vient tout droit du Bantouland."

Max Lobe est né à Douala en 1986. Arrivé en Suisse à l'âge de 18 ans, il étudie la communication et le journalisme à Lugano, puis les sciences politiques à Lausanne. Il vit aujourd'hui à Genève. Il a reçu en 2009 le prix littéraire de l'Université de Lausanne pour une nouvelle "Le baccalauréat. En 2011, il a publié "L'enfant du miracle (Editions des Sauvages) et a reçu le Prix du roman des Romands pour "39 rue de Berne", publié aux éditions Zoé en 2013. La trinité bantoue est son deuxième roman publié aux éditions Zoé.


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