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"La fille de mon meilleur ami" : la belle mécanique à frissons d'Yves Ravey

"La fille de mon meilleur ami" (Editions de Minuit) est le 13e roman d'Yves Ravey. Après "Un notaire peu ordinaire", publié l'année dernière, le romancier met cette fois en scène un couple bizarre, lancé dans une expédition illicite dans une petite ville de grande banlieue. Yves Ravey fait la synthèse du polar façon Simenon et du nouveau roman, doublant ainsi le plaisir pour le lecteur.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Yves Ravey, auteur de "La fille de mon meilleur ami" (Editions de Minuit)
 (Roland Allard)
L'histoire : juste avant de mourir, Louis demande à son meilleur ami (le narrateur, nommé Bonnet) de prendre soin de sa fille Mathilde. Louis a perdu sa trace. Il sait seulement qu'elle a fait un séjour de plusieurs années dans un hôpital psychiatrique et que divorcée, elle a perdu la garde de son petit garçon. Deux ans plus tard on retrouve Bonnet avec Mathilde. Elle est manifestement devenue son amante et lui demande de l'accompagner dans sa ville natale (au sud de Savigny-sur-Orge) pour voir son fils de 5 ans, malgré l'interdiction du juge. Les voilà partis en Nissan Sunny vers la ville où le petit garçon vit avec son père et sa nouvelle femme Sheila…

Le roman raconte ce périple, (l'expédition, même, pourrait-on dire) du point de vue de William Bonnet, dévoilant peu à peu une réalité troublante. Yves Ravey distille le doute de telle manière qu'au fil du récit, on finit par ne plus très bien savoir qui est le plus fou, qui fait quoi, qui est hors la loi… On y repense longtemps après avoir refermé le livre, à essayer de démêler le vrai du faux, à repenser au récit de Bonnet en se demandant s'il ne nous a pas menés en bateau depuis le début.

Roman noir minimaliste

Le romancier est un maître dans l'art de troubler son lecteur, l'air de rien. Il parvient à créer un climat de terreur en juxtaposant la menace au banal, à la manière d'Hitchcock. Il sait nous glacer le sang, par exemple, avec une scène parfaitement anodine de dégustation de milk-shake dans un bar … L'essentiel est hors-champ, entre les lignes, se niche dans les détails, la violence est sous-jacente et la vérité jamais où l'on croit qu'elle est.

Tout cela avec en arrière-plan une peinture sociale, qui met en scène des personnages enfermés dans leur condition. Yves ravey dessine aussi la France et ses paysages, ses banlieues, ses zones pavillonaires et industrielles, ses motels ou ses cafés de centre-ville. On y voit les photographies de Raymond Depardon. En prime : un art consommé du dialogue, et l'humour souvent en embuscade. Il y a aussi toutes ces petites phrases à double sens : où "faire fondre la glace" ne fait pas seulement référence au milk-shake et "tourner à l'orage" à la météo.

L'écriture d'Yves Ravey, limpide et discrète, est redoutablement efficace pour servir un récit obscur et déroutant. La performance tient autant de l'écriture que de la construction romanesque, et notamment du choix du narrateur, celui-là même qui est censé détenir la vérité, mais qui trimballe le lecteur de bout en bout, le laissant pantelant sur le bord de la route, avec des questions non résolues, preuve que la vérité n'est jamais qu'une question de point de vue. Une fois encore Yves Ravey sème le trouble, et on se laisse faire avec délice.
 
La fille de mon meilleur ami Yves Ravey  (Editions de Minuit – 153 pages – 14 euros)

Extrait
"Le cri de Mathilde a jailli dans l'air, suivi d'un claquement de porte. Je me suis levé, ébloui par le soleil, en renversant la chaise, à la recherche des mes lunettes à verre fumé : Mathilde, vêtue d'un déshabillé, lançait sa valise ouverte sur le parking, une jupe chiffonnée dans la main. J'ai couru."


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