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"La femme que nous sommes", premier roman édifiant d'Emma Deruschi sur les violences conjugales

Emma Deruschi, jeune romancière de 29 ans, décortique les mécanismes de la violence conjugale dans un premier roman efficace, construit comme un thriller.

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
La romancière Emma Deruschi, mars 2021 (Céline Nieszawer / Flammarion)

Publié le 5 mai aux éditions Flammarion, le premier roman d'Emma Deruschi raconte méthodiquement l'histoire d'Elisa, une jeune femme maltraitée par son mari, qui tente de sortir de la prison dans laquelle la violence de son mari, conjuguée à son propre silence, l'a enfermée. Emma Deruschi décortique avec réalisme les mécanismes de la violence conjugale, dans un roman traversé de bout en bout par une tension extrême.  

L'histoire : Elisa est une jeune kiné mariée et mère d'une petite fille de trois ans, Lucie. Sur le papier elle a tout pour être heureuse, et c'est d'ailleurs l'image qu'elle s'efforce de renvoyer à son entourage, à sa famille, à sa bande de copines. Derrière la façade, c'est une toute autre histoire. Elisa se débat avec son mari Loïc, de plus en plus violent. Elle encaisse les humiliations et les coups, tout en déployant son énergie à dissimuler à son entourage, sa mère, sa sœur, ses amies, ce qu'elle endure depuis des années. Les mots de plus en plus durs de son mari, ses coups de plus en plus violents et la crainte pour sa fille poussent Elisa à prendre une décision. Pendant des semaines, elle a organisé dans le plus grand secret son départ. La veille du jour J, elle règle les derniers détails, rédige une lettre à son ami et associé de travail Marc et surtout, fait bien attention de ne pas éveiller les soupçons de son mari. Tout est prêt, quelques heures seulement maintenant la séparent d'une nouvelle vie avec sa fille, à l'abri de la brutalité de son mari…

Une "prisonnière"

Pourquoi Elisa se laisse-t-elle enfermer dans ce système ? Pourquoi ne se confie-t-elle pas à ses proches ? Comment ces derniers n'ont-ils rien vu venir, pourquoi la jeune femme persiste-t-elle à rester aussi longtemps auprès de son bourreau de mari ?

"Elle voulait un ailleurs mais elle n'avait qu'un maintenant. Elle rêvait de jours meilleurs et était prisonnière d'un ici. Penser à demain pour tenir aujourd'hui."

"La femme que nous sommes"

Page 140

Ce premier roman dissèque les mécanismes d'une violence perpétrée dans l'intimité du foyer, à l'abri des regards extérieurs. Le récit est concentré sur cette dernière journée, pendant laquelle la jeune femme se refait le film de sa vie. La romancière déroule les différentes étapes du processus qui petit à petit a grignoté Elisa, avec la montée en puissance de la brutalité, la surveillance de plus en plus oppressante du mari, les humiliations, jusqu'à la réduire au silence, à l'immobilité, le moindre de ses mouvements, quel qu'il soit, provoquant l'ire de son mari.

Dans un chœur de femmes

Cécile, Ani, Lenita, Eugénie, Nola, Gabrielle… le récit d'Elisa est accompagné d'un chœur de femmes, celles, plus ou moins proches, qui croisent sa route au cours de cette dernière et interminable journée avant son départ. On y rencontre toutes sortes de femmes, d'Eugénie, la patiente préférée d'Elisa, vieille dame espiègle, à sa petite fille Jeanne, Youtubeuse acharnée dont la vie manque de sens, en passant par Ani, la nounou, Lenita, punkette faisant la manche dans le quartier d'Elisa, mais aussi ses amies, la belle Gabrielle ou la jalouse Nola, ou encore sa sœur Cécile, mère célibataire qui a du mal à joindre les deux bouts…

Ce chœur de femmes aux notes parfois un peu trop attendues dessine néanmoins une palette de la féminité à tous âges, et dresse le portrait d'une Elisa totalement seule pour affronter l'enchaînement des événements d'une tragédie dont l'issue jusqu'à la dernière page, reste incertaine.

Construit comme un thriller, ce roman met en scène le scénario "classique" et "banal" de la violence conjugale. Selon une étude de l'observatoire des violences faites aux femmes, on dénombrait, en 2019, 213 000 femmes victimes de violences physiques et/ou sexuelles commises par leur conjoint ou ex-conjoint et 146 femmes tuées par leur partenaire ou ex-partenaire. 

Dans un récit factuel, déployé d'une écriture fluide et efficace, Emma Deruschi donne chair à ces chiffres vertigineux et aussi une voix aux femmes qui comme Elisa ne trouvent la force ni en elles-mêmes, ni auprès des proches, pour dire non à la violence quand il est encore temps. Ce premier roman est en lice pour le Prix Maison de la Presse 2021.

Couverture du roman "La femme que nous sommes", d'Emma Deruschi, mai 2021 (FLAMMARION)

"La femme que nous sommes", d'Emma Deruschi (Flammarion/ Versilio-256 pages-18 €)  

Extrait :  

"Elle regarda sa montre. Eugénie Marteau, sa patiente préférée, allait arriver. Elle était très ponctuelle. Habitude de vieille dame. Elle se tortilla sur sa chaise derrière son bureau pour que le haut de sa colonne craque. Comment était-ce avant les premiers cris ? Avant la première gifle ? Le temps des tendresses était révolu. Dissous lui aussi. Elle avait le don d'énerver Loïc, son mari, et elle s'en voulait de le mettre dans de tels états. Elle avait vraiment essayé de s'améliorer, d'être plus intelligente, plus jolie aussi, mais sans succès. Elle n'était pas assez, ne faisait jamais bien. Mais une partie d'Elisa, la partie la plus pure de son être, celle à laquelle il n'aurait jamais accès, savait qu'elle ne méritait pas cela." ("La femme que nous sommes", page 14)

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