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"Je suis un homme de vocabulaire" : Erri De Luca, figure majeure de la littérature italienne, nous parle de son nouveau roman "Impossible"

A l'occasion de la sortie d'"Impossible", son dernier roman en forme de dialogue,  l'écrivain italien Erri De Luca nous confie ses réflexions sur ses combats, sur la montagne, sur l'écriture et sur son attachement à la précision dans l'usage des mots.

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 18 min
L'écrivain italien Erri de Luca, le 17 septembre 2020 dans les bureuax des éditions Gallimard (Laurence Houot / Franceinfo Culture)

Erri De Luca a publié le 20 août Impossible, un roman qui met en scène face à face deux personnages : un magistrat et un homme accusé du meurtre en montagne d'un de ses anciens camarades de lutte.

>> "Impossible", le très beau roman philosophique d'Erri de Luca en forme de dialogues

L'écrivain italien a accepté de répondre à nos questions dans les bureaux de Gallimard, son éditeur français. Il arrive à l'heure, chemise blanche, corps sec de montagnard, un visage dessiné à la serpe et des yeux qui pétillent, suggérant une fois le masque tombé, avec un large sourire et dans un français embelli d'accent chantant, de boire d'abord le café.

Franceinfo Culture : Comment est née l'idée d'Impossible, votre dernier roman ?

Erri De Luca : L'idée est venue comme toujours pour mes histoires : à travers un souvenir. Pouf ! Un souvenir vient qui me fait sursauter, qui m'émerveille. Mais ce n'est pas de la nostalgie. Je n'ai jamais de sentiment nostalgique, parce que je ne voudrais revenir sur aucune autre étape précédente de ma vie. Je n'ai pas non plus la nostalgie des personnes qui ne sont plus là. Les personnes qui ne sont plus là je les convoque avec l'écriture. Je prétends les extraire de leur absence à travers l'écriture. Pour ce livre c'est venu avec le souvenir de cette vire (sentier de montagne) dangereuse que j'avais parcourue dix ans plus tôt. J'aime suivre parfois les anciens sentiers des braconniers, qui étaient les premiers alpinistes dans la montagne. Je me suis souvenu de ce passage, ce long passage dangereux, et j'ai décidé d'installer là-haut cette histoire. Et la forme interrogatoire s'est tout de suite imposée : question / réponse.

Comment passe-t-on de l'interrogatoire au dialogue, comme c'est possible ?

Ce n'est pas mon expérience. J'ai été interrogé par des magistrats dans ma vie parce que j'étais un militant révolutionnaire dans les années 70 en Italie, et je n'ai jamais rencontré un magistrat comme celui du livre, parce qu'on ne peut pas avoir un dialogue dans une situation d'interrogatoire. On peut avoir un dialogue ici, entre nous, parce que vous me posez des questions, que vous êtes intéressée par mon livre, par moi, et par l'autre. Vous avez une curiosité qui rend possible le dialogue. Mais un magistrat ne veut pas connaître quelque chose de moi. Il prétend savoir déjà ce que j'ai commis. Il veut une confirmation de son hypothèse d'accusation. De plus, il se trouve dans une situation de supériorité. Il est le magistrat, c'est à dire l'Etat en personne. Et en face il y a un citoyen, quelqu'un qui se trouve face à l'Etat et doit se défendre de l'accusation, donc en condition évidente d'infériorité. Mais dans l'interrogatoire de mon histoire, il y a aussi des contrepoids : le jeune magistrat est jeune et l'ancien militant est ancien, vraiment ancien (presque mon âge …). Et ce jeune magistrat ne connaît rien du tout à ce qui s'est passé dans les années de la lutte clandestine et les grands procès, à part ce qu'il a pu lire dans les actes judiciaires, et d'autre part il ne connaît rien du tout à la montagne. Cette double condition d'infériorité égalise parfois la relation entre le magistrat et l'accusé. C'est ce qui permet le dérapage vers le dialogue. L'accusé accepte de lui expliquer des choses. Sur la montagne d'abord, et sur les raisons d'un engagement révolutionnaire ensuite. Dans cette relation entre ce magistrat et l'accusé, il y a d'abord un débat sur le vocabulaire.

Qu'est-ce qui vous plaît dans la forme du dialogue ?

Cette forme-là aime l'impartialité. Ecrire un dialogue c'est être complètement dans les raisons de l'un et après dans les raisons de l'autre. C'est être loyal avec les deux parties, même si dans le cas d'un magistrat et d'un accusé il est évident que mon sentiment personnel est plutôt du côté de l'accusé. Mais là, il y a un exercice de loyauté et d'impartialité qui me plaît.

Que peut produire le dialogue ?

Une amélioration des raisons de chacun à travers le contraste, à travers la confrontation avec l'autre. Parce que le dialogue n'exige pas le silence de l'autre, mais l'écoute de l'autre. L'écoute de l'autre qui s'arme pour améliorer ses propres convictions.

A quoi servent les mots, à quoi sert le vocabulaire ?

Les mots servent à toute notre conversation. Pour chacun d'entre nous, les mots servent à s'expliquer. Et mieux on connaît son vocabulaire, mieux on peut faire valoir ses raisons. Ici par exemple, la première objection de l'accusé, c'est de dire au magistrat : "vous appelez 'accidents' ce qui se passe sur le lieu de travail. Or il y a plus d'un millier de morts et plusieurs dizaines de milliers de blessés chaque année sur le lieu de travail". C'est comme une espèce de bataille, comme aller dans une tranchée de guerre. J'ai fait le métier d'ouvrier pendant de nombreuses années, une vingtaine d'années, donc j'ai eu la malheureuse occasion de voir ces meurtres, il s'agit bien de meurtres. Donc vous appelez "accidents" les choses qui se produisent sur le lieu de travail qui sont des meurtres et vous parlez de "meurtre" sur un lieu de montagne qui est le lieu des accidents par excellence. Il n'y pas de meurtres en montagne, il y a des accidents, parce que l'endroit est dangereux, et les personnes chutent. Même les plus experts chutent. Donc cet interrogatoire commence avec un débat sur le vocabulaire.

Qu'est-ce qui vous fait peur aujourd'hui ?

La peur est un sentiment qui s'est éteint. La peur s'est échappée de moi. Je n'ai peur de rien. Et je regrette le manque de peur. Quand je suis en montagne, je suis en alerte, je suis attentif à mon corps et à ce qui se passe autour de moi dans une escalade, mais ce n'est pas de la peur. C'est de l'attention à des circonstances particulières. Sinon la peur abstraite je ne l'ai pas. 

Par contre je crois que notre époque invente des peurs abstraites, non ?

Erri De Luca

Inventer la peur de l'étranger, de l'immigré, ça c'est une peur complètement inventée, qui provient du fait qu'on emploie du faux vocabulaire continuellement. Par exemple on parle de "vague d'immigration". Une terre ferme qu'est-ce qu'elle doit faire contre une vague d'immigration ? Elle doit faire des barrages non ? Le mot "vague" implique directement une réponse de repoussement, une aversion contre les vagues. C'est un emploi officiel, qu'on lit dans les journaux, utilisée par les autorités publiques et qui nous invite à nous sentir des terres fermes contre "les vagues". Mais si vous dites "flux", il n'y a plus cette réaction immédiate à vouloir étrangler le flux. Le flux circule librement.

C'est important de respecter le sens des mots ?

La précision. J'exige de moi-même la précision. Et je m'oppose au faux langage officiel. Je suis un homme de vocabulaire.

C'est une forme de liberté ?

L'idée de la liberté est décrite dans l'histoire du Livre de l'exode. On voit un peuple qui sort de l'esclavage égyptien et se retrouve dans la vastitude du désert sans savoir où aller. Ils passent leur temps à s'égarer dans le désert. Si on suit les étapes de leur cheminement pour arriver à la terre promise quarante ans après, cela ressemble au parcours d'un ivrogne qui ne retrouve pas sa rue ni sa maison. Donc la liberté n'est pas une liste de droits dont on peut jouir, mais c'est l'invention du parcours jour par jour. 

Pour moi, la liberté consiste tout simplement à faire tenir ensemble ce que je dis et ce que je fais. J'exige de moi cette liberté.

Erri De Luca

Et cette liberté est à l'écart de toute incarcération, parce que je suis dans ma liberté de tenir ensemble les mots et les choses accomplies.

C'est difficile de rester libre ?

Je ne sais pas si c'est difficile, ce que je sais c'est que j'ai un respect pour les mots qui me vient peut-être du fait que je suis un lecteur, et après un écrivain. Il y a aussi une phrase du Talmud qui dit : "quand les mots sont dans ta bouche tu es leur patron, mais quand ils sortent de ta bouche, tu es leur serf, leur servant, leur esclave". Donc cette responsabilité du mot je la garde pour moi.

Quand on dit quelque chose il faut qu'on agisse dans le sens des mots, c'est ça ?

Exactement. La première objection qu'un petit enfant fait au monde des adultes est : "ce n'est pas juste". Et pourtant que sait-il de la justice ? Il ne connaît pas la justice, mais il s'aperçoit quand il y a une différence entre ce que disent les adultes et ce qu'ils font.

Dans votre livre l'accusé se sent libre, même en prison et il le dit dans des lettres adressées à sa compagne

Ce sont des lettres d'amour, et les lettres d'amour ou les lettres d'un prisonnier ont cette capacité à convoquer la personne, à la faire être là, dans la cellule. Le destinataire ou la destinataire est là quand on écrit une lettre d'une cellule de prison. C'est sa manière à lui d'être avec son amoureuse. C'est aussi une manière de faire passer le temps quand on se trouve en isolement et que l'on doit inventer toute une journée. Je pense qu'il faut une semaine pour s'adapter. Après une semaine, on commence à oublier parfois, à certains moments, où on se trouve. Ça c'est l'adaptation.

Votre livre parle beaucoup de la révolte. Pensez-vous qu'aujourd'hui la révolte est toujours possible ?

D'abord j'emploie le mot "révolution", parce que c'est le mot du XXe siècle. Le XXe siècle a produit ça, un déchaînement de révolutions, qui ont servi à se libérer des empires coloniaux, et à former une nouvelle géographie politique du monde avec des nouvelles nations qui ont gagné l'indépendance. Pas à travers des consultations, mais à travers ce maudit outil de la lutte armée et de la révolution. On prend les armes et on devient révolutionnaire par force majeure. Ce n'est pas un choix parmi d'autres. C'est pas "alors on fait quel choix ce matin". Non. Le XXe siècle a utilisé cet outil par urgence et par nécessité. La révolte c'est quelque chose de personnel. 

Moi en tant qu'adolescent, j'étais un révolté, un rebelle. Mais je suis devenu révolutionnaire parce qu'il y avait une génération entière qui était déjà dans les rues. Alors j'ai adhéré à cette collectivité.

Erri De Luca

Sinon j'aurais été un révolté solitaire, individuel et peut-être déjà pourri depuis longtemps, perdu quelque part. Je ne me suis jamais drogué. Je n'ai pas eu cette curiosité, ni ce désir d'altérer mes perceptions. Je suis déjà altéré de moi-même. Mes perceptions sont déjà surexcitées, survoltées. Donc ne n'ai pas eu le besoin de faire cette expérience. Donc l'éventuelle pourriture de ma révolte ne serait pas passée par la drogue.

Est-ce que vous êtes encore révolté, qu'est-ce qui a changé pour vous ?

Ce qui a changé c'est que je n'appartiens plus à une communauté. Une communauté d'insurgés, de révolutionnaires, une communauté organisée, de partage et de coresponsabilité. Je suis seul. Et je prends des engagements qui me prennent par le col et qui me secouent et m'interdisent de tourner le dos. Donc je ne suis pas un engagé. Je suis quelqu'un qui prend des engagements parce qu'il ne peut pas faire autrement. Comme citoyen je me retrouve à être convoqué par des événements, des luttes qui se trouvent dans mon pays, comme par exemple la lutte de la vallée de Suse, que j'ai suivi depuis le début presque, depuis une dizaine d'années. (La lutte des habitants de la vallée de Suse dans le Piémont opposés à la construction de la ligne TGV Lyon-Turin, NDLR). Et j'ai adhéré aux raisons de cette lutte. J'ai été poursuivi pour mon adhésion à cette lutte mais le procès s'est bien passé, et à la fin j'ai été complétement acquitté. Je prends des engagements comme ça. Par exemple Médecin sans frontières m'a invité sur son bateau dans la Méditerranée il y a quelques années. Pour moi ce n'était pas une invitation, c'était un ordre. J'ai obéi à cette invitation. Parfois je désobéis au désordre. Mais il y a des invitations qui sont plus fortes que les autres. J'ai obéi. Je ne pouvais pas le faire tout seul. J'ai reçu cet ordre, j'ai obéi.

Dans vos livres il était autrefois beaucoup plus question de la mer. Aujourd'hui de montagne. Est-ce que la mer c'est le lieu de l'enfance et la montagne le lieu de la maturité ?

Non, le déclic de l'écriture c'est toujours un souvenir qui me vient. Un souvenir, ça veut dire quelque chose que j'ai oublié. Parce que pour se souvenir, il faut avoir d'abord oublier. Pour moi, c'est un rapprochement. On prétend que l'écrivain doit établir une distance. Pour moi c'est le contraire, il faut que s'établisse un rapprochement vers le souvenir. Et mes souvenirs se trouvent toujours dans des endroits : la mer, la montagne, Naples, les révoltes, les révolutions, l'engagement révolutionnaire. Pour prolonger un souvenir comme ça qui me revient, pour le faire durer un peu plus, parce que j'oublie tout, je l'écris. Je commence à l'écrire. Je ne sais pas où ça va se terminer, mais je commence à l'écrire.

Pourquoi écrivez-vous ?

D'abord pour me tenir compagnie. Quand je commence à écrire une histoire, tant que je l'écris, l'histoire ne se laisse pas raconter par moi. Elle ne reste pas disponible. Elle commence à bouger, à me faire venir des digressions, des divagations, d'autres souvenirs. Elle me fait perdre continuellement le fil. Et ça, ça me plaît. C'est ce qui me plaît dans l'écriture, c'est d'être en train de me raconter une histoire qui se produit pendant que je l'écris.

Elle se poursuit en même temps que vous écrivez ?

Oui parce que le souvenir a une ramification. C'est comme si je partais d'un tronc d'arbre sans savoir où vont aller les ramifications. Je commence à grimper dans les branches et à la fin je choisi une ramification, une bifurcation, et j'essaie de laisser tomber tout le reste de la frondaison de l'arbre.

C'est pour cette raison que vos livres sont courts ?

Ils sont courts oui parce qu'en tant qu'écrivain je suis hôte d'un lecteur, qui prend et qui choisit mon bouquin parmi les milliers d'autres qu'il y a autour. Et donc il prend ce livre, mon livre et il va le lire dans son intimité, dans son temps sauvé d'une journée, en isolement, et donc je sens la responsabilité de me lever de sa table avant qu'il soit fatigué de moi. Le meilleur résultat d'une lecture pour moi, c'est le lecteur qui me dit "mais, j'aurais voulu d'autres pages", et encore mieux "quand j'ai terminé j'avais besoin de continuer donc je le relis".

Est-ce que vous vous vous arrêterez d'écrire un jour ?

Jamais. Je me tiens compagnie avec l'écriture. Et avec la lecture. Parce que ma définition de moi-même, personnellement c'est que je suis un lecteur, parce que j'ai lu beaucoup plus que j'ai pu écrire. Mais l'écriture me tient une belle compagnie depuis l'âge de 11 ans. Mon premier récit était un récit à l'âge de 11 ans sur un poisson.

Qu'est-ce qui vous pousse vers le sommet des montagnes ?

Prendre une distance. Partir, me séparer d'un lieu et commencer à donner doucement mon dos à tout le reste. Plus je m'approche d'une paroi, plus je laisse tout le monde en arrière. Quand je suis collé à une paroi, je suis complètement séparé.

Le premier pas vers le haut sur une paroi me sépare de tout le reste.

Erri De Luca

Je me procure un passage dans un désert magnifique et j'arrive au sommet où il y a tout simplement la fin de la surface terrestre. La frontière. Parce que la terre a aussi une frontière : la frontière des sommets des montagnes. Avec l'infini, l'univers, l'air. Donc je me procure une distance. J'arrive sur un sommet et là je suis au point le plus éloigné du point de mon départ. Je ne m'approche de rien là-haut. Rien n'existe là-haut qui me donne l'impression de m'être rapproché de quelque chose. Je me sens physiquement et heureusement loin du point de départ, que je dois rejoindre après. Car c'est un aller-retour, et le retour c'est important. La plupart des accidents en montagne se produisent en descente. On a complété une ascension quand on est revenu au point de départ.

Pourquoi vous avez besoin de cette distance ?

C'est une distance qui me donne de la précision, C’est-à-dire que nous sommes ici dans des grandes villes, dans la majorité écrasante. Il n'y a pas d'ambiance. En montagne je suis dans une infériorité totale. Je suis minuscule et insignifiant. Et l'ambiance, l'immensité de l'ambiance est ce qui domine. Et ça c'est la taille juste et exacte de l'espèce humaine sur la surface de la terre. Se sentir profondément inférieur face à l'immensité de la nature, c'est sanitaire.  

Et la mer ?

C'est la même chose. Il y a l'immensité. Sur un petit bateau en mer on est perdu, on n'est pas invité, on est là pour se frayer un passage. La mer, comme le disait Homère, c'est "une voie liquide". Cela signifie que la mer c'est une voie. La montagne n'est pas une voie. La mer est l'ancienne voie par laquelle l'humanité a connu son terrain. Parce que la terre est en majorité constituée d'eau et donc il fallait la traverser pour connaître d'autres terres. Il fallait naviguer. Et si la mer est une voie liquide, elle ne peut pas être un fossé avec des crocodiles. Elle ne sert pas à faire des barrages. C'est ouvert. Dans un livre j'ai dit que la mer est plus juste que la terre ferme. Parce que même quand elle soulève des vagues hautes comme des murailles, elle finit toujours par redescendre aussi bas qu'un tapis.

Vous êtes solitaire, mais vous êtes en même temps très attaché au collectif. Ce n'est pas paradoxal ?

J'ai besoin de prendre de la distance, mais il y a un retour. Par exemple quand je lis l'hébreu ancien chaque matin, c'est un passage dans le désert. J'ai besoin de ce passage dans le désert pour commencer une journée, et pour vivre ensuite dans la civilisation. Ça me fait du bien, mais ce n'est pas un programme, je l'ai découvert en le faisant.  

L'accusé est un peu un sage dans ce livre. C'est un peu vous. Est-ce que vous êtes devenu un sage ?

Non jamais, parce que je ne profite pas de l'expérience.

Je suis toujours débutant. Débutant dans toute chose de la vie et aussi dans l'écriture.

Erri De Luca

Pour moi toute écriture que je commence, c'est comme la première. Toutes les autres ne m'ont rien appris. Et je n'ai aucun répertoire auquel recourir pour écrire une histoire. Donc non, je ne suis pas un sage. Et aussi parce que j'ai complètement raté l'expérience de la paternité, qui est un passage qui rend adulte. Alors comme dit Brel je suis vieux sans être adulte.

On ne peut pas être adulte sans être père ?

C'est un passage important. Mais on peut sans doute être adulte par d'autres manières mais moi je n'ai pas réussi à être adulte.

Est-ce que vous pensez à la mort ?

Oui. Je l'ai côtoyée, alors je pense que je peux l'accepter et je peux aussi dire que c'est moi qui passerai chez elle au moment de la gare finale. Si elle est là, elle est là. A mon âge, elle est presque une compagnie.

Ça veut dire que vous y pensez souvent ?

Elle est souvent à côté.

Mais elle ne vous fait pas peur ?

Non. Non, non. Ça tient compagnie. J'exagère peut-être mais elle donne même un peu plus de douceur aux moments de la vie.

Est-ce que vous avez encore des rêves ?

J'ai des désirs imaginaires. Je voudrais visiter la Odessa d'Isaac Babel, dans les années 20 de l'autre siècle, et quelques autres lieux comme ça…          

Couverture de "Impossible", de Erri de Luca (GALLIMARD)

"Impossible", d'Erri de Luca, traduit de l'Italien par Daniele Valin (Gallimard – 176 pages – 16,50 €)  

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