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Irving : à lui seul bien des personnages

John Irving a écrit treize romans. Le dernier, "A moi seul bien des personnages" (Seuil), concentre toutes ses obsessions d'écrivain depuis les années 70. Au fil d'une œuvre magistrale, John Irving est à lui seul bien des personnages, en voici une liste non exhaustive.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
John Irving à Madrid pour présenter son roman "A moi seul bien des personnages"
 (Culturebox avec TONI ALBIR/EPA/MAXPPP)
Le lutteur
La lutte est un thème qui revient dans presque tous les romans d'Irving. A la fois image de la beauté et de la force masculine, la figure du lutteur représente la discipline et le courage. Dans son dernier livre, tous les personnages ont un lien avec la lutte. Kittredge est "le lutteur au corps superbe entre tous", Miss Frost, la belle et athlétique bibliothécaire de First Sister, dont Bill le narrateur, est amoureux, a elle aussi un passé lié à la lutte. Billy lui-même reçoit une leçon de lutte à l'adolescence, où il apprend à maîtriser le "duck-under", une  prise censée le protéger, et dont il ne fera usage qu'une seule fois, bien plus tard dans sa vie…
 
L'adolescent
Un des personnages favoris du romancier, l'âge de l'éveil de la sexualité et des vocations quil'accompagnent, comme l'écriture par exemple. Irving raconte les différents âges de ses personnages, mais aime s'attarder sur cette période de la vie. L'adolescence de Billy occupe une grande partie de son dernier roman. C'est la période initiatique, celle des événements fondateurs, la période où chacun se cherche et engage son histoire.
 
Le père
Ce personnage est plutôt en creux chez Irving. La figure du père absent, souvent entourée de mystère et de légendes, est omniprésente dans l'œuvre de l'écrivain. Dans "Le monde selon Garp" le père est un soldat blessé utilisé comme simple géniteur par la mère infirmière de Garp. Exit le père. Dans "L'Œuvre de Dieu, la part du Diable", Homer est orphelin. Jack dans "Je te retrouverai" recherche son père. Dans son dernier roman, Billy, le narrateur, ne connait pas non plus son père biologique. Il ne sait que ce que sa mère veut bien lui dire (des mensonges), des bribes lâchées ici ou là par l'entourage, et une anecdote qui tourne autour du roman de Flaubert,  "Madame Bovary", anecdote dont il comprendra la signification bien plus tard, là aussi. Dans nombre de ses romans, l'absence du père biologique est comblée par la présence d'un beau-père aimant, qui s'acquitte merveilleusement du rôle de père de remplacement de l'enfant. C'est encore le cas dans le dernier roman d'Irving, où Richard Abbott veille sur Billy comme un père, et lui donne même son nom.
 
La mère
A l'opposé du père, la mère est un personnage tout puissant. La mère de Garp, Jenny est décidée à élever seule son fils. Dans son dernier roman, Mary est une mère aimante, qui le devient moins quand Billy s'éloigne du modèle qu'elle a imaginé pour son fils. Elle a peur de tout et surtout de ces choses qui concernent le sexe. Son fils la considère comme une demeurée. Il faudra beaucoup de temps à Billy pour se souvenir qu'elle l'a aimé, et retrouver des raisons de la pleurer.
 
Le transsexuel
Roberta, Alberta ou Georgia… le transsexuel dans les romans d'Irving est souvent un être ultra séduisant, pour les hommes comme pour les femmes, puisqu'il (elle) concentre à elle seule tous les atouts de la séduction des deux sexes. "A moi seul bien des personnages" met en scène plusieurs transsexuels, d'âges différents, opéré(e)s ou pas, qui vivent leur "spécificité sexuelle" chacun à leur manière, selon leur histoire mais aussi l'époque dans laquelle ils vivent (le roman parcourt un demi siècle de l'histoire des Etats-Unis).
 
L'Ours
L'ours est un personnage qu'Irving aime bien. Des vrais ours, on en croise dans plusieurs de ses romans. Ils sont même le personnage principal de "Liberté pour les ours", son premier. Dans le dernier, ce sont d'autres ours qu'on croise, cette fois plutôt dans les bars,  ils ont de l'ours les poils et l'allure...
 
Vienne
La ville de Vienne est "la ville européenne" où les personnages d'Irving font des escapades. Ses quartiers chauds, ses prostituées, la font apparaître comme un espace de liberté, d'émancipation. Dans "A moi seul bien des personnages", Billy y fait un séjour avec Tom avant son entrée à l'Université, juste après son aventure avec Miss Frost, qui le marque pour la vie. "Aller jusqu'au bout", voilà ce qu'il part faire à Vienne, faute de l'avoir fait avec Miss Frost. Bref, Vienne est le lieu où il devient un homme.
 
La mort
Irving ne livre en général pas les vies de ses personnages par bribes, par tranche. Il les accompagne tout au long de leur existence, de leur naissance ou presque, jusqu'à leur disparition. C'est pourquoi la mort est un personnage présent dans tous ses romans, à travers la guerre,  notamment au Vietnam, qui a tué tant de jeunes américains. Dans son dernier roman, c'est sous la figure agonisante des malades du SIDA qu'on la croise. Les camarades de Billy meurent très nombreux de cette abominable maladie, apparue dans les années 80. Mort tragique, qui dit aussi des secrets de chacun.
 
L'Amérique
L'Amérique est un personnage à part entière des romans d'Irving. L'histoire du pays des années 50 à nos jours est en arrière-plan de toute l'œuvre d'Irving. Le dernier roman ne fait pas exception : on y retrouve la vie dans les campus, avec la prédominance du sport, l'amour de la littérature, la guerre du Vietnam, la politique, le SIDA et les luttes des homosexuels pour la reconnaissance de leurs droits.
 
L'écrivain
Irving est-il vraiment tous ces personnages ? On peut creuser sa biographie et trouver des éléments dans la vie de l'écrivain, faire des ponts, imaginer des hypothèses, mais est-ce vraiment ce que l'on veut savoir ? Est-ce si important de savoir si Irving est bisexuel, si son père était absent, si son grand-père s'habillait en femme, si sa mère avait peur de tout ? Il semblerait, comme l'indique le titre du premier chapitre de son dernier roman, que la distribution des rôles est souvent "bien compliquée". Ce qui est certain, c'est que quand on referme "A moi seul bien des personnages", on est certain que Billy existe, de même que toute la galerie des personnages qui l'accompagnent, Miss Frost, Kittredge, Tom, Elaine… Par qui sont-ils inspirés? Peu importe. Irving est un grand écrivain. Il  réussit merveilleusement à faire ce qu'il considère comme le talent du romancier : "être capable d'imaginer de façon vraie". Le personnage d'écrivain est donc celui qu'il joue avec le plus de sincérité et de virtuosité, celui aussi qui lui permet d'être à lui seul bien des personnages… pour notre plus grand bonheur.

A moi seul bien des personnages, John Irving, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Josée Kamoun, Olivier Grenot
Edtions du Seuil - 480 pages - 21.80 € 

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