Invitée à Grasse, la romancière Oya Baydar s'inquiète de la situation en Turquie
"Ce qui est dangereux et inquiétant, c'est qu'à l'époque des coups d'Etat, la population désapprouvait. Aujourd'hui, le président (Recep Tayyip) Erdogan a le soutien de la moitié de la population. Je ne dis pas encore que c'est du fascisme, mais nous sommes dans une période où l'on passe de l'autoritarisme au totalitarisme", affirme cette auteure de 77 ans.
"Moi je n'ai que deux procès contre moi, ce n'est rien par rapport à d'autres amis mais chaque matin, je me dis 'ouf, sauvée! Ils ne sont pas venus à la maison pour fouiller et m'arrêter !'", ajoute Oya Baydar dans un très bon français.
Dans l'une des procédures la visant, elle est poursuivie car elle soutient une enseignante de Diyarbakir accusée de terrorisme pour avoir demandé la paix en pleine émission télévisée. "Je me sens en liberté et pour mes romans, jusqu'à présent, je n'ai aucun problème mais on risque toujours, on ne sait pas. C'est vraiment le règne de l'absurde et de l'arbitraire", observe Oya Baydar qui n'entend pas quitter la Turquie : "Je comprends ceux qui partent mais je préfère maintenant être en prison qu'en exil. J'ai connu ça onze ans, ce n'est pas si facile, on perd son identité".
Son mari, journaliste, a été arrêté, puis libéré
Proche de la gauche démocrate, mariée à un journaliste du quotidien d'opposition Cumhuriyet, Oya Baydar a vu huit policiers frapper à sa porte en novembre. "Ils sont venus embêter mon mari, mais on ne sait toujours pas pourquoi. On s'y attendait, mais de quoi sommes-nous accusés, on ne sait pas ! Ils ont fouillé partout et n'ont saisi que deux livres qui sont des ouvrages de toute façon en vente libre", relate-t-elle.Son mari a été libéré au bout de cinq jours pour raisons d'âge et de santé mais il n'a plus le droit de quitter la Turquie.
"Chose absurde, il peut continuer à écrire et à faire paraître le journal alors que douze journalistes du Cumhuriyet sont toujours en prison, sans savoir de quoi ils sont accusés. Le comble c'est que le procureur qui a ordonné leur arrestation est lui-même sous le coup d'une accusation", s'étonne Oya.
"L'autocensure est très forte"
"On ne peut pas affirmer que c'est une dictature : d'un côté c'est vrai mais de l'autre non. En même temps, l'autocensure est très forte, même pour moi. Par exemple, je n'emploie plus le mot 'Kurdistan'", dit-elle.L'évolution actuelle était-elle prévisible ? "Certains disent qu'Erdogan avançait masqué, moi je ne sais pas. Il y a quinze ans, on a cru qu'il pouvait nous apporter de la démocratie mais maintenant c'est pire qu'il y a vingt ans, c'est un retour en arrière majeur du point de vue des droits démocratiques".
"Le rêve d'Erdogan est de faire une autre Turquie : une Turquie qui serait un pays musulman tournant le dos à l'Europe. Les événements extérieurs ont facilité et nourri son rêve, notamment la guerre en Syrie. Le grand danger, c'est que la moitié du pays est pour. L'islam en Turquie était une croyance, une confession. Maintenant c'est une politique et les gens le comprennent comme tel. J'ai peur de le dire mais je crains des heurts entre les laïcs vivant à l'occidentale et les autres, pas une guerre civile comme en Syrie, mais des affrontements armés", s'inquiète-t-elle.
La Turquie à TransMéditerranée
Et les négociations d'adhésion à l'Union européenne ? "Cela ne donnera rien mais c'est important car cela oblige la Turquie à ne pas se détacher tout à fait. Si on arrête les négociations, si tout est fini, alors M. Erdogan se prendra pour le nouvel Atatürk."Le 29e festival TransMéditerranée (du mardi 17 au vendredi 27 janvier au Palais des Congrès de Grasse) est consacré à la Turquie, avec exposition, soirée-débat, et concert).
Les romans d'Oya Baydar sont traduits en 28 langues. Elle est l'auteur notamment de "Parole perdue", considéré comme son chef-d'oeuvre (éditions Phébus, 2010), et "Et ne reste que des cendres" (Phébus, 2015), sélectionné l'an dernier pour le Médicis étranger. Ce dernier roman lui a valu le prix litteraire France-Turquie.
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