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"Gil" ou le chant d'amour de Célia Houdart à la musique
Auteure venue de la chronique théâtrale et musicale, Célia Houdart livre un quatrième roman, "Gil", narrant l'itinéraire d'un jeune artiste lyrique. Incursion romanesque dans la vie musicale tout à la fois réaliste et poétique, intimiste et universaliste. D'une justesse rare.
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L'histoire : Gil de Andrade a 18 ans au début du livre et caresse le désir d'embrasser une carrière de pianiste qu'il devine, par l'obstination et le travail, à portée de main. Mais les choses n'iront pas comme prévu : Gil a une voix, la découverte advient presque par effraction pendant les vacances, puis s'impose en cours de chant au Conservatoire. Dès lors, le jeune homme troque son instrument initial, le piano, pour un autre, venu du plus profond de lui-même. Il devient ténor et entame un parcours qui se révèle aussi brillant que tortueux.
"Sous sa courte barbe brune, il sentait une tension. Mais dans tout le reste de son corps il éprouvait plutôt l'inverse, une sorte de dissolution. D'étranges pressions déplaçaient des masses et des liquides. C'était comme une réorganisation de ses organes. La sensation était étrange mais au fond pas désagréable. Cependant très vite le malaise grandit. Les notes sur la partition avaient pris la forme de petits poignards et de herses griffantes".
Célia Houdart sait restituer ce qu'elle a su avant tout observer. "Pour ce livre j'ai convoqué des souvenirs, notamment dans le cadre de l'Atelier des Musiciens du Louvre de Grenoble où j'avais assisté à des séances avec les chanteurs. Les mots utilisés par la chef de chant dans le travail de la voix pour faire entendre le texte résonnaient particulièrement en moi. Mais j'ai aussi poussé l'enquête, avec l'aide de chanteurs qui m'ont accueillie dans leurs cours. C'est presque un travail de transcription de la leçon de musique, une relation très belle et par définition méconnue. Comment rendre compte de ces moments délicats, parfois drôles, parfois sportifs ? J'ai aussi découvert lors de ce travail de recherche, que beaucoup de chanteurs sont d'anciens instrumentistes, comme Gil dans le roman. Ce n'est pas rien de quitter un instrument pour sa voix, son propre instrument ! C'est un moment d'arrachement où on est tout nu…"
A commencer par la scène de la découverte de ce don vocal qui intervient par surprise : une première fois en voiture, fenêtre ouverte et nez au vent, en reprenant le refrain d'une chanson des Smithsonians. Puis, près d'une rivière d'une gorge non loin d'Uzès, en poussant un cri qui, amplifié par l'écho naturel du lieu, surprend le jeune homme : "Ce qu'il sentait, provenant de sa gorge, de sa poitrine, de tout son corps, fusait avec une force inaccoutumée dans le silence du ciel. C'était comme un pouvoir qu'il découvrait soudain", écrit Célia Houdart. Voix puissante, créatrice et libératrice. Tout au long du livre, le lecteur ressent le souffle de Gil, épouse les positions de son corps ou souffre avec lui quand on lui impose de chanter corseté pour interpréter une femme : "Il percevait la poussée du diaphragme sur les viscères, son propre maintien. Il n'avait jamais éprouvé à ce point ces sensations".
Gil de Célia Houdart (POL - 236 pages - 12.50 euros)
"Sous sa courte barbe brune, il sentait une tension. Mais dans tout le reste de son corps il éprouvait plutôt l'inverse, une sorte de dissolution. D'étranges pressions déplaçaient des masses et des liquides. C'était comme une réorganisation de ses organes. La sensation était étrange mais au fond pas désagréable. Cependant très vite le malaise grandit. Les notes sur la partition avaient pris la forme de petits poignards et de herses griffantes".
Observer, décrire
"Gil", le dernier livre de Célia Houdart, est une plongée dans l'univers de la musique classique. Une incursion de l'intérieur, par une tranche de vie, les 18-42 ans d'un artiste lyrique que l'on suit de près dès l'éclosion du talent. "Samuel Isherwood proposa à Gil de déchiffrer pas à pas Deucalione. Il insista sur les récitatifs, le placement de la voix parlée. La prononciation des doubles consonnes en italien. Comment exécuter une appoggiature, longue ou brève, un vrai trille". Célia Houdart raconte et abonde dans les détails. L'auteure maîtrise l'art de la description, elle l'avait déjà prouvé notamment dans "Carrare", joli récit d'une jeune femme française dans l'univers minéral de la Toscane, paru en 2011. Ici, c'est le quotidien d'un concertiste qui est dépeint, mais l'attention est la même, comme dans cet extrait où Gil, qui n'est plus un étudiant, se perfectionne avec un professeur qu'il est expressément allé voir à Londres.Célia Houdart sait restituer ce qu'elle a su avant tout observer. "Pour ce livre j'ai convoqué des souvenirs, notamment dans le cadre de l'Atelier des Musiciens du Louvre de Grenoble où j'avais assisté à des séances avec les chanteurs. Les mots utilisés par la chef de chant dans le travail de la voix pour faire entendre le texte résonnaient particulièrement en moi. Mais j'ai aussi poussé l'enquête, avec l'aide de chanteurs qui m'ont accueillie dans leurs cours. C'est presque un travail de transcription de la leçon de musique, une relation très belle et par définition méconnue. Comment rendre compte de ces moments délicats, parfois drôles, parfois sportifs ? J'ai aussi découvert lors de ce travail de recherche, que beaucoup de chanteurs sont d'anciens instrumentistes, comme Gil dans le roman. Ce n'est pas rien de quitter un instrument pour sa voix, son propre instrument ! C'est un moment d'arrachement où on est tout nu…"
La musique et le corps
Recherche, doutes, appréhensions, prudences, faux pas. Ces phases, classiques, du musicien qui entre dans le métier, Célia Houdart nous les livre à travers quelques prismes. L'un d'eux est sûrement la relation élève-professeur qui prend la forme d'hommage à certaines figures comme Vlado Permuter (qui prend le nom fictif de Vlado Blasko), pianiste et professeur dont la grand-mère de l'auteur fut longtemps l'assistante. Célia Houdart souligne avec minutie ces moments de pédagogie et de complicité à travers des rituels immuables et décrit ces comportements qui alternent sévérité, bienveillance, ruse… Un autre prisme, et sans doute le plus récurrent, est celui du lien indissoluble entre corps et musique. Le récit de "Gil"' est éminemment physique.A commencer par la scène de la découverte de ce don vocal qui intervient par surprise : une première fois en voiture, fenêtre ouverte et nez au vent, en reprenant le refrain d'une chanson des Smithsonians. Puis, près d'une rivière d'une gorge non loin d'Uzès, en poussant un cri qui, amplifié par l'écho naturel du lieu, surprend le jeune homme : "Ce qu'il sentait, provenant de sa gorge, de sa poitrine, de tout son corps, fusait avec une force inaccoutumée dans le silence du ciel. C'était comme un pouvoir qu'il découvrait soudain", écrit Célia Houdart. Voix puissante, créatrice et libératrice. Tout au long du livre, le lecteur ressent le souffle de Gil, épouse les positions de son corps ou souffre avec lui quand on lui impose de chanter corseté pour interpréter une femme : "Il percevait la poussée du diaphragme sur les viscères, son propre maintien. Il n'avait jamais éprouvé à ce point ces sensations".
Romanesque invention
"Gil" est, selon l'auteure elle-même, un "chant d'amour à la musique", hommage à un monde riche de diversités et de cultures et dont on perçoit profondément le poids de l'histoire. Et pourtant Célia Houdart a pris le parti de transformer tous les noms des compositeurs et des œuvres. L'intention est louable : "Parfois quand on cite l'opéra dans des fictions, on dit par exemple : "l'air de la comtesse", ou on cite le début de l'air… Je suis agacée par ces effets de clin d'œil, sorte de connivence avec ceux qui savent, laissant un peu de côté ceux qui ne connaissent pas". Soit. Nous pourrions répondre qu'offrir au lecteur un univers musical "réel" et non inventé constitue une mise à portée d'autant plus efficace que la narration est réussie et non excluante. Respectons ce choix, porté également (surtout ?) par le plaisir romanesque de l'invention : "comme lectrice, j'aime ces romans où l'invention d'un nom et du son de ce nom sont déjà comme la première esquisse de personnages. Comme auteure, j'avais le goût de trouver quelque chose qui sonne baroque, ou mélodie française, comme étant sous influence d'un répertoire réel que j'ai écouté, aimé. Et il y a parfois aussi des noms qui sont la fusion de plusieurs figures : Marguerite Meyer par exemple, c'est un hommage conjoint à Marguerite Long et à Marcelle Meyer, célèbres professeures. C'est un jeu de pistes, facétieux, amusant. J'avais en tête le grand modèle, Proust, qui a su créer des figures d'artistes qui n'ont pas existé mais qui ont su attirer toutes nos projections, tous nos imaginaires…".Gil de Célia Houdart (POL - 236 pages - 12.50 euros)
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