Festival Hors Limites : des lycéens rencontrent les auteurs d'un reportage dessiné
Alexandra Bogaert est journaliste et Thierry Chavant est dessinateur de BD (entre autres). Ce matin ils sont venus jusqu'à Noisy Le-Grand, une commune de Seine Saint Denis, pour parler de leur reportage "Les Parias de la SNCF", publié dans le numéro 9 de la Revue Dessinée (une revue trimestrielle, vendue en librairie, qui publie des reportages dessinés). Les jeunes qui sont là pour les rencontrer sont en 1ère ES au lycée Flora Tristan. Ils ont lu leur reportage il y a quelques semaines déjà, lors d'une première visite à la médiathèque, où se déroule la rencontre d'aujourd'hui.
"On en a profité pour leur faire visiter la médiathèque. Et du coup quelques-uns d'entre eux ont pris leur carte avant de repartir. C'est un des objectifs aussi de ces rencontres", raconte Sophie Roussier, bibliothécaire de la médiathèque Georges Wolinski, en charge avec Nathalie Boeuf des relations avec les adolescents, collégiens et des lycéens. C'est la 8e édition de ce festival, organisé par l'association Bibliothèques en Seine-Saint-Denis, qui fête la littérature sous toutes ses formes et propose des rencontres, des lectures, pour tous les publics, et aussi des séances particulières à destination des scolaires de la région.
"Les parias de la SNCF"
Avant la rencontre d'aujourd'hui, les lycéens ont travaillé avec Emilye Sentenac, la documentaliste du lycée, et avec leur professeur d'éducation civique et morale. "On a lu le reportage, et des articles qui traitent du sujet, et ils ont réfléchi aux questions soulevées par le sujet du reportage dessiné, "Les parias de la SNCF", l'histoire d'Ahmed Katim, recruté en 1972 par la SNCF pour venir travailler en France à la construction des voies de chemin de fer. Embauché comme "travailleur étranger", il comprend après 40 années de dur labeur, qu'il touchera une retraite trois fois inférieure à celle des cheminots français. Il entame alors un combat pour défendre ses droits et ceux de ses pairs."C'est un sujet que je suis depuis 2010", explique la journaliste Alexandra Bogaert. Au départ, c'est un mail d'un travailleur collègue de Monsieur Katim qui m'a amenée à découvrir ce sujet", poursuit cette journaliste indépendante qui travaille pour Slate, Le Monde et d'autres journaux."Depuis j'ai suivi le sujet et je l'ai traité sous diverses formes. Et comme j'aime beaucoup la Revue Dessinée, de fil en aiguille je me suis dit que cela pouvait être intéressant de faire un reportage dessiné avec l'histoire de Monsieur Katim, avec qui j'ai toujours eu un bon contact. Alors j'ai envoyé un synopsis à la Revue Dessinée et ils ont été intéressés", explique Alexandra Bogaert.
Elle passe ensuite la parole à Thierry Chavant, le dessinateur du reportage. "Ils sont venus me chercher pour faire l'album parce qu'il fallait travailler vite (un mois) et comme j'ai bossé pour la pub, je suis rapide", explique Thierry Chavant. "On avait un mois pour boucler le projet", poursuit Alexandra Bogaert en souriant. J'avais énormément de matière, et il fallait raconter toute l'histoire, celle d'Ahmed et aussi le contexte, en 25 pages. C'est contraignant, donc c'était un peu chaud, mais à force d'échanges, on a réussi", poursuit Alexandra Bogaert.
"Est-ce que tout ce que vous avez raconté dans le reportage est vrai ?"
"Est-ce que tout ce que vous avez raconté dans le reportage est vrai ? Vous avez pas menti ? " questionne un élève au fond de la salle. "J'ai recueilli la parole de Monsieur Katim. Je suis allée chez lui à Bondy, et il m'a raconté sa vie, comment il avait été recruté, puis son arrivée en France, les conditions dans lesquelles il travaillait, comment il était logé. Mais bien sûr en 1972, je n'étais pas au Maroc pour vérifier, mais j'ai recueilli aussi de nombreux témoignages d'autres ouvriers comme lui, et ils m'ont raconté exactement la même chose qu'Ahmed, donc je pense que c'est assez fidèle à la réalité. J'essaie d'être le plus honnête possible dans ma démarche de journaliste, mais les journalistes sont des êtres humains, donc l'objectivité absolue, ça n'existe pas", explique Alexandra Bogaert."C'était la première fois que je travaillais sur un sujet de reportage", explique Thierry Chavant, "et pour moi, le souci c'était d'exprimer quelque chose de vrai, qui ne trahit pas le travail du journaliste. Il y a quand même une vérité à faire passer, mais on la transforme, on fait un métier d'"ornementeur", et dans "ornementeur", il y a "menteur", mais comme le dit Franck Bourgeon, le rédacteur en chef de la Revue Dessinée, on ne trahit pas plus que la télé qui montre des petits moments du réel, mais sans montrer ce qu'il y a avant, ou après", souligne Thierry Chavant. "Il a fallu que j'apprenne à écrire dans des bulles. Ce n'est pas du tout ce que j'ai l'habitude de faire", raconte Alexandra Bogaert.
"Ça aide à comprendre"
Les lycéens écoutent attentivement, même si ce sont toujours un peu les deux mêmes (des garçons) qui posent les questions. La professeure qui les accompagne prend la parole. "Pendant la séance préparatoire, on a parlé de l'efficacité de cette forme de reportage", explique t-elle, "et les élèves ont trouvé que c'était une forme plus efficace, quand ils ont comparé avec les articles de la revue de presse qui abordaient le même sujet", raconte-t-elle. "Ca aide à mieux comprendre", confirme un élève. "C'est vrai que parfois on peut faire passer des informations de manière très synthétique avec l'image. Par exemple pour dire que Monsieur Katim est très sollicité (800 travailleurs comme lui ont entamé une démarche auprès des tribunaux pour faire valoir leurs droits, et Ahmed Katim est le pivot de toute cette affaire), le dessin avec trois téléphones qui sonnent en même temps, ça dit tout", explique Alexandra Bogaert."Le dessin c'est une écriture, et avec les dessins on entend les sons, il y a l'imaginaire qui se met en route, c'est vraiment une écriture, et j'ai trouvé ça intéressant de travailler avec des journalistes, parce que beaucoup d'entre eux ne lisent pas de BD, et ça met un regard frais dans le travail", explique Thierry Chavant. "Les auteurs de BD travaillent avec leur sensations, et moi par exemple là j'ai beaucoup pensé au père de ma compagne, qui est algérienne. Il n'a pas eu la même histoire, mais en tous cas quand je travaillais sur le projet, j'ai beaucoup pensé à lui".
"Est-ce que vous pensez que votre reportage peut faire évoluer le droit du travail?" demande un autre élève. "J'aimerais bien, mais j'ai peur que non", répond la journaliste. "Qu'est-ce qui vous a paru le plus déplaisant, dans cette histoire?", demande un autre. "Ce qui m'a fait le plus plaisir, j'en ai eu des frissons", raconte la journaliste, "c'est quand monsieur Katim a levé les bras de joie à l'annonce de la condamnation de la SNCF. Et puis le plus mauvais moment, c'est quand j'ai appris que la SNCF allait faire appel, au dernier moment. J'ai pensé à tous ces messieurs qui allaient devoir encore attendre des mois même des années avant que leur droits soient reconnus", explique la journaliste. "Est-ce que vous allez raconter la suite ?" demande l'un d'entre eux. "Oui pourquoi pas", répondent les auteurs.
"J'ai été captivé"
Puis les questions s'orientent sur les métiers des deux auteurs. Le parcours, le salaire, les galères, la passion … La rencontre dure depuis maintenant plus de deux heures, il faut conclure. Les élèves remercient et applaudissent. Il est temps de retourner au lycée. Avant de partir, Terence exprime sa satisfaction: "Nous on est de la génération d'aujourd'hui. On est des jeunes. On adore la BD, alors quand on nous a donné le reportage à lire, tout de suite j'ai vu la première page et d'un coup j'ai lu tout en entier. J'ai été captivé", raconte-t-il. "Il y a les dessins, les couleurs, et on suit bien l'histoire, on n'est pas perdu", poursuit-il."Et l'histoire, ça m'a touché. Ça aurait pu arriver à mon grand-père", dit-il. "J'ai trouvé ça intéressant aussi de rencontrer les auteurs. On sent leur implication dans le sujet et puis c'est toujours intéressant de pouvoir poser des questions directement aux personnes concernées. Et là, ils ont répondu à nos questions sans détours. Je trouve ça bien que des personnes très occupées viennent jusqu'à nous pour nous parler de leur travail. Et aussi c'est intéressant de les entendre parler de leur métier. Ma sœur elle veut être journaliste ça l'aurait vraiment intéressée aussi de pouvoir parler avec eux", conclut-il avant de rejoindre le groupe.
De leur côté, les auteurs sont ravis de cette rencontre. "C'était vraiment sympa !", dit Thierry Chavant qui n'a pas l'habitude de rencontrer un public de lycéens. "Oui vraiment intéressant", ajoute Alexandra Bogaert, "même si j'aurais bien aimé entendre un peu plus les filles !", dit-elle en souriant. "Mais c'était vraiment chouette et puis c'est toujours bien aussi de parler du métier, de casser un peu les idées reçues sur le journalisme", conclut-elle.
Plus de 100 rencontres sont programmées cette année par le Festival Hors Limites, qui a commencé le 1er avril et se poursuit jusqu'au 16 dans tout le département de la Seine-Saint-Denis.
A lire, La Revue Dessinée (15 euros, en librairie)
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