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"Ce cœur changeant" : roman "en costumes" flamboyant d'Agnès Desarthe
Avec "Ce cœur changeant" (L'Olivier), son 12e roman, Agnès Desarthe réussit brillamment une incursion dans le roman "historique". Elle y fait de sa très belle écriture le récit haut en couleurs de la vie d'une femme née à l'aube du XXe siècle.
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Temps de lecture : 3 min
L'histoire : elle commence à Sorø au Danemark, en 1887. René, jeune militaire indécis et obsédé par Spinoza profite d'une permission pour venir rencontrer Kristina, une jeune fille que son père lui a recommandé d'épouser. Embarqué avec la belle sur un lac gelé, le jeune homme ne résiste pas au désir débordant de Kristina. Il lui faudra l'épouser. René espère un fils. "Comme il sera beau. Il aura le cuivre foncé de ses cheveux à elle, et ce teint étonnant, presque méditerranéen, un teint de poterie ancienne…". Mais 19 mois plus tard, c'est une fille que Kristina met au monde. Elle ressemble à son père et on la prénomme Rose.
On retrouve Rose 20 ans plus tard. Elle a quitté l'Afrique où son père est resté seul après le départ de l'épouse. La jeune fille se sent prête pour l'aventure : "elle connaissait plusieurs pays, plusieurs continents, avait mangé du serpent, du singe, patiné sur des lacs gelés, bu du champagne, de l'aquavit, porté un costume militaire, chassé le lion, dormi sous une tente, elle parlait le danois, le français, l'anglais…" Mais "elle ne savait rien de l'argent, des hommes, de la politique, du sexe". Désormais seule au monde, c'est une vie de misère dans le Paris des bas-fonds qui commence, jusqu'à ce que Louise, une extravagante femme la prenne sous son aile….
Agnès Desarthe ne s'encombre pas de chronologie : le personnage de Rose, "ce cœur changeant" dont la vie semble entièrement déterminée par le destin, se construit au gré des événements, du passé et du présent, heureux et tragiques, entremêlés. La romancière soigne particulièrement les personnages secondaires : Kristina, la mère nymphomane, nombriliste et si peu aimante, le père, éternel indécis, Zélada, la monumentale grand-mère danoise, Mama Trude, la nounou, une reprise de justice enveloppante, et l'amie, Louise, femme libérée.
Agnès Desarthe sert ce récit romanesque avec une écriture pleine de gourmandise, baroque et flamboyante. On se régale de ses descriptions, de ses dialogues : c'est sensuel, enlevé, plein d'esprit. Question cousinage, c'est au cinéma pétillant d'Alain Resnais que l'on pense, mais aussi à la musique, du côté de l'opérette.
"Ce cœur changeant" a reçu début septembre le prix littéraire du Monde. Bien mérité : il réunit les principales qualités d'un roman réussi : une bonne histoire, inscrite dans la grande, servie par une très belle écriture, l'humour en prime !
Ce cœur changeant Agnès Desarthe (L'Olivier – 336 pages – 19,50 euros)
Extrait :
"Elle est entrée, s'aidant de ses bras décollés du corps, comme qui se fraie un chemin dans des eaux boueuses ou infestées d'algues. Quelque chose résiste, mais ce n'est pas l'air, ni quoi que ce soit sur le sol. Ce qui entrave la marche, c'est la menace permanente de l'effondrement de chairs trop lourdes pour la frêle charpente du squelette. Comme elle a dû être menue, a pensé René. Et il a regardé la masse monstrueuse qui s'avançait vers lui avec l'œil attendri d'un amateur d'hirondelles."
On retrouve Rose 20 ans plus tard. Elle a quitté l'Afrique où son père est resté seul après le départ de l'épouse. La jeune fille se sent prête pour l'aventure : "elle connaissait plusieurs pays, plusieurs continents, avait mangé du serpent, du singe, patiné sur des lacs gelés, bu du champagne, de l'aquavit, porté un costume militaire, chassé le lion, dormi sous une tente, elle parlait le danois, le français, l'anglais…" Mais "elle ne savait rien de l'argent, des hommes, de la politique, du sexe". Désormais seule au monde, c'est une vie de misère dans le Paris des bas-fonds qui commence, jusqu'à ce que Louise, une extravagante femme la prenne sous son aile….
Roman d'apprentissage au féminin
Agnès Desarthe renoue avec la fiction, et pas qu'à moitié, avec ce pétillant roman d'aventures "en costumes", qui embarque le lecteur dans le Paris du début du XXe siècle. La romancière, d'une plume pleine d'allégresse, dessine le portrait d'une femme, et fait le récit d'une vie pleine de rebondissements, avec en toile de fonds l'affaire Dreyfus, la guerre 14, les années folles.Agnès Desarthe ne s'encombre pas de chronologie : le personnage de Rose, "ce cœur changeant" dont la vie semble entièrement déterminée par le destin, se construit au gré des événements, du passé et du présent, heureux et tragiques, entremêlés. La romancière soigne particulièrement les personnages secondaires : Kristina, la mère nymphomane, nombriliste et si peu aimante, le père, éternel indécis, Zélada, la monumentale grand-mère danoise, Mama Trude, la nounou, une reprise de justice enveloppante, et l'amie, Louise, femme libérée.
Baroque flamboyant
"Ce cœur changeant" (tiré d'un vers d'Apollinaire) explore toutes les dimensions d'une existence, de l'enfance à la maturité, vie traversée par le malheur, la souffrance, mais aussi l'amour, le désir, la maternité. Elle y tisse aussi tous les thèmes qui lui sont chers : les langues, la littérature, la philosophie.Agnès Desarthe sert ce récit romanesque avec une écriture pleine de gourmandise, baroque et flamboyante. On se régale de ses descriptions, de ses dialogues : c'est sensuel, enlevé, plein d'esprit. Question cousinage, c'est au cinéma pétillant d'Alain Resnais que l'on pense, mais aussi à la musique, du côté de l'opérette.
"Ce cœur changeant" a reçu début septembre le prix littéraire du Monde. Bien mérité : il réunit les principales qualités d'un roman réussi : une bonne histoire, inscrite dans la grande, servie par une très belle écriture, l'humour en prime !
Ce cœur changeant Agnès Desarthe (L'Olivier – 336 pages – 19,50 euros)
Extrait :
"Elle est entrée, s'aidant de ses bras décollés du corps, comme qui se fraie un chemin dans des eaux boueuses ou infestées d'algues. Quelque chose résiste, mais ce n'est pas l'air, ni quoi que ce soit sur le sol. Ce qui entrave la marche, c'est la menace permanente de l'effondrement de chairs trop lourdes pour la frêle charpente du squelette. Comme elle a dû être menue, a pensé René. Et il a regardé la masse monstrueuse qui s'avançait vers lui avec l'œil attendri d'un amateur d'hirondelles."
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