Boualem Sansal: "Il n'y a aucune réflexion sur l'islam dans le monde arabe"
La vie d’une population soumise, en 2084, à Abi, prophète de l’Abistan, empire où toute pensée est bannie, où l’amnésie s’est imposée et où la langue témoigne de cette mutation. Le personnage central, Ati, met en doute les certitudes imposées. Un futur que l’auteur présente comme « une hypothèse ». C’est aussi une caricature poussée à l’extrême, au style goguenard qui assure sa réussite.
Comme dans une fable, le lecteur se laisse porter par la logique absolue de cette fiction où les clés sont offertes. La réflexion sur la langue est particulièrement poussée comme dans l’extrait choisi ci-dessous, à l’image de la "novlangue" de "1984", de George Orwell, dont une nouvelle édition vient d’être publiée dans la collection Folio Plus classiques, complétée par un dossier pédagogique d’Olivier Rocheteau.
Un extrait (p. 238) :
« Musée ?… Qu’est-ce que c’est ? »
Ces pauvres diables ne savaient pas… comme Ati qui entendait le mot pour la première fois. Ce n’était pas de l’abilang puisque selon une récente promulgation du haut-commissariat à l’abilang et à l’abilanguisation, que présidait l’Honorable Ara, linguiste éminent et féroce adversaire du multilinguisme source de relativisme et d’impiété, les noms communs provenant d’une langue ancienne encore en usage devaient porter, selon le cas en préfixe ou en suffixe, les signes abi ou ab, yol ou yo, Gka ou gk. Tout appartenait à la religion, les êtres et les choses, et les noms aussi, il convenait donc de les marquer. « Musée » était soit une exception, ce que l’édit prévoyait ou tolérait pour un temps encore, soit il était issu de l’une des langues anciennes, prohibées mais ayant cours dans des enclaves ici ou là, pour lesquelles il n’existait ni bréviaire ni dictionnaire.
Pour Boualem Sansal : 2084 emprunte à l’Algérie ? à Daesh ? Non, pour Boualem Sansal, l’islamisme à craindre se construit en Iran, au Pakistan, en Afghanistan. "La mission historique du monde arabe est terminée". Il rejoint en cela Adonis, le poète syrien, que nous avions rencontré en juillet à Sète.
Mais Sansal va plus loin, son pessimisme s’applique à l’Occident qui "ne donne plus à rêver".
Interview Christian Tortel, Jean-Pierre Magnaudet, Bernard Blondeel
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