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"Billie", l'hymne à la liberté d'Anna Gavalda
Dans "Billie", Anna Gavalda, dresse le portrait de deux écorchés vifs, sauvés par leur rencontre puis l'amour étrange qui les lie. Avec ce 6e roman, l'auteur se livre à un exercice de style plutôt réussi : se mettre dans la peau d'une jeune femme du "quart-monde" et en faire un beau personnage incarnant la liberté.
Publié
Temps de lecture : 5min
L'histoire : Le livre commence dans un trou. Franck et Billie sont tombés au cours d'une ballade en montagne. Franck est sans connaissance. Billie s'adresse à son étoile. Il faut sauver Franck. Pour la convaincre, elle se lance dans le récit de sa vie… Née dans une petite ville de province de même pas 3000 habitants, "qui n'en finit pas de crever", sa mère l'a abandonnée quand elle n'avait pas un an et c'est son père et sa belle mère qui l'ont élevée (si on peut appeler ça comme ça), dans leur Mobile Home des Morilles, "un genre de zone artisanale… un genre de déchetterie où rien n'est trié…"
C'est son professeur de géographie qui la renseigne sur sa vie, "le quart-monde, il a dit". Elle découvre ainsi qu'il existe un mot dans le dictionnaire pour "désigner le gourbi" où elle vit. Alcool, violence… Des bribes : Billie ne rentre pas dans les détails, change vite de sujet quand sa mémoire s'approche de son enfance. Tout ce qu'elle en dit, c'est que pour rien au monde elle ne voudrait revoir les "raclures" qui ont pourri son enfance. Et puis il y a eu Franck, "cette fiotte de Franck Mumu, qui se faisait tout le temps emmerder à l'arrêt des cars". C'est grâce à une scène de Musset qu'ils jouent au lycée que ces deux "délocalisés d'eux-mêmes" se trouvent, et se sauvent mutuellement.
On ne badine pas avec l'amour
Billie est brute de décoffrage. Elle dit ce qu'elle pense des bobos, de la politique et du reste. Elle ne supporte pas qu'on maltraite les enfants, s'en fiche pas mal de ce que les autres pensent. Et elle connait son bonheur et le clame : "A partir de maintenant, on devient des petits bobos comme les autres et putain, et je ne devrais pas dire ce mot, mais je le dis quand même : et putain, que c’est bon ! Oh oui, que c’est bon d’être aussi cons que les Parisiens ! De se foutre en rogne contre un Vélib’ foireux, une place de livraison occupée, un PV injuste, un restau bondé, un téléphone déchargé ou un horaire de brocante mal indiqué (…) Je m’en lasserai jamais".
Elle le dit, on la croit car ce qui pourrait n'être qu'un banal et agaçant exercice de style nous emporte. Anna Gavalda adopte le langage cru d'une Billie écorchée, mais intelligente et pleine de vie. La romancière dessine un beau personnage affranchi. Affranchi de son enfance, de son milieu, de son histoire. Un personnage libre, à qui l'on n'a pas du tout envie qu'il arrive encore des misères. On tremble et on implore avec elle son étoile pour que sa vie, déjà une fois miraculeusement sauvée, ne sombre pas à nouveau avec la perte de son unique bouée, Franck, et l'amour qui les lie, magnifique parce que libre lui aussi.
Billie Anna Gavalda (Le Dilettante - 224 pages – 15 euros)
Extrait :
Alors ce petit Antoine, qui était super mignon, super bon marcheur, super gai, super courageux, super facile à vivre, super affectueux et super gentil avec ses petites sœurs, s'est mis à pleurnicher en appelant sa maman.
Et là, son père lui a donné une méchante petite claque derrière la tête pour lui apprendre la vie.
Oh, putain…
Oh, je la reconnaissais, celle-ci…
Je la reconnaissais parce que je la connaissais par cœur.
C'était la pire.
La plus lâche d'entre les lus lâches.
La plus vicieuse.
La plus douloureuse.
Celle qui ne laisse pas de marque et qui te décolle le cervelet dans la seconde.
Celle qui te fait le coup du lapin en interne.
Celle que personne ne soupçonne jamais et qui te brinquebale tellement la boîte crânienne que tu restes un moment sans pouvoir penser et tout le reste de ta vie un peu secoué.
Oh, putain….
Ma petite madeleine de Proust à moi….
Et puis je n'avais pas le temps de penser vu que j'étais déjà en train de décrire un grand arc de cercle derrière mon dos avec mon super beau bâton van Cleef de mon Francky et que je lui ai explosé la gueule direct à ce monsieur bien propre sur lui qui venait de lever la main sur un enfant.
Anna Gavalda est née le 9 décembre 1970 à Boulogne-Billancourt. Anna Gavalda participe à des ateliers d'écriture avant de remporter en 2000 le Grand Prix RTL-Lire pour son premier recueil de nouvelles, "Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part" (Le Dilettante), un best-seller vendu à près de deux millions d'exemplaires. Elle connait le même succès avec les romans qui suivent : "Je l'aimais"(2002), "Ensemble c'est tout" (2004), adapté au cinéma par Claude Berry en 2007, avec Audrey Tautou et Guillaume Canet, "La Consolante" (2008), "L'Echappée Belle" (2009), tous édités aux éditions Le Dilettante.
Ecouter Anna Gavalda sur France Inter
C'est son professeur de géographie qui la renseigne sur sa vie, "le quart-monde, il a dit". Elle découvre ainsi qu'il existe un mot dans le dictionnaire pour "désigner le gourbi" où elle vit. Alcool, violence… Des bribes : Billie ne rentre pas dans les détails, change vite de sujet quand sa mémoire s'approche de son enfance. Tout ce qu'elle en dit, c'est que pour rien au monde elle ne voudrait revoir les "raclures" qui ont pourri son enfance. Et puis il y a eu Franck, "cette fiotte de Franck Mumu, qui se faisait tout le temps emmerder à l'arrêt des cars". C'est grâce à une scène de Musset qu'ils jouent au lycée que ces deux "délocalisés d'eux-mêmes" se trouvent, et se sauvent mutuellement.
On ne badine pas avec l'amour
Billie est brute de décoffrage. Elle dit ce qu'elle pense des bobos, de la politique et du reste. Elle ne supporte pas qu'on maltraite les enfants, s'en fiche pas mal de ce que les autres pensent. Et elle connait son bonheur et le clame : "A partir de maintenant, on devient des petits bobos comme les autres et putain, et je ne devrais pas dire ce mot, mais je le dis quand même : et putain, que c’est bon ! Oh oui, que c’est bon d’être aussi cons que les Parisiens ! De se foutre en rogne contre un Vélib’ foireux, une place de livraison occupée, un PV injuste, un restau bondé, un téléphone déchargé ou un horaire de brocante mal indiqué (…) Je m’en lasserai jamais".
Elle le dit, on la croit car ce qui pourrait n'être qu'un banal et agaçant exercice de style nous emporte. Anna Gavalda adopte le langage cru d'une Billie écorchée, mais intelligente et pleine de vie. La romancière dessine un beau personnage affranchi. Affranchi de son enfance, de son milieu, de son histoire. Un personnage libre, à qui l'on n'a pas du tout envie qu'il arrive encore des misères. On tremble et on implore avec elle son étoile pour que sa vie, déjà une fois miraculeusement sauvée, ne sombre pas à nouveau avec la perte de son unique bouée, Franck, et l'amour qui les lie, magnifique parce que libre lui aussi.
Billie Anna Gavalda (Le Dilettante - 224 pages – 15 euros)
Extrait :
Alors ce petit Antoine, qui était super mignon, super bon marcheur, super gai, super courageux, super facile à vivre, super affectueux et super gentil avec ses petites sœurs, s'est mis à pleurnicher en appelant sa maman.
Et là, son père lui a donné une méchante petite claque derrière la tête pour lui apprendre la vie.
Oh, putain…
Oh, je la reconnaissais, celle-ci…
Je la reconnaissais parce que je la connaissais par cœur.
C'était la pire.
La plus lâche d'entre les lus lâches.
La plus vicieuse.
La plus douloureuse.
Celle qui ne laisse pas de marque et qui te décolle le cervelet dans la seconde.
Celle qui te fait le coup du lapin en interne.
Celle que personne ne soupçonne jamais et qui te brinquebale tellement la boîte crânienne que tu restes un moment sans pouvoir penser et tout le reste de ta vie un peu secoué.
Oh, putain….
Ma petite madeleine de Proust à moi….
Et puis je n'avais pas le temps de penser vu que j'étais déjà en train de décrire un grand arc de cercle derrière mon dos avec mon super beau bâton van Cleef de mon Francky et que je lui ai explosé la gueule direct à ce monsieur bien propre sur lui qui venait de lever la main sur un enfant.
Anna Gavalda est née le 9 décembre 1970 à Boulogne-Billancourt. Anna Gavalda participe à des ateliers d'écriture avant de remporter en 2000 le Grand Prix RTL-Lire pour son premier recueil de nouvelles, "Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part" (Le Dilettante), un best-seller vendu à près de deux millions d'exemplaires. Elle connait le même succès avec les romans qui suivent : "Je l'aimais"(2002), "Ensemble c'est tout" (2004), adapté au cinéma par Claude Berry en 2007, avec Audrey Tautou et Guillaume Canet, "La Consolante" (2008), "L'Echappée Belle" (2009), tous édités aux éditions Le Dilettante.
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